Jeune Marine N°268

Les ancres et mouillages perdus en zones d’attente portuaire 2/2

par Bertrand SCIBOZ

La relocalisation et l’identification

Jusqu’à récemment, les méthodes utilisées pour trouver des chaînes de mouillage perdues étaient souvent basées sur des techniques et des méthodes que l’on peut considérer aujourd’hui comme empiriques, et peu fiables.

On utilisait un grappin fixé sur une chaîne ou bien un câble, qui était ensuite traîné sur de longues distances, faisant fi de l’environnement en labourant profondément les fonds marins sur des dizaines de kilomètres, dans des caps supposés perpendiculaires à l’axe de la marée, donc de la perte, jusqu’à ce qu’il croche la chaîne du mouillage. Il suffisait ensuite de virer en espérant que l’ensemble ne se décroche pas, afin de le remonter à la surface et commencer à envisager la suite des opérations.

Cependant, cette méthode s’avérait peu efficace lorsqu’il s’agissait de trouver une ancre seule, en raison de sa taille réduite et de la difficulté de la localiser avec précision, ou encore lorsque plusieurs ancres étaient emmêlées les unes dans les autres. C’est ainsi que sur la seule zone portuaire de Rouen, les 25 ancres retrouvées avaient, malgré tout, fait l’objet de vaines tentatives de recherches au préalable, par des entreprises équipées des moyens de l’époque, sans sondeur précis, sans GPS précis et sans instruments de navigation permettant d’enregistrer les trajets déjà parcourus.

De nos jours, bien que les navires soient équipés de GPS qui permettent de fournir une position précise et submétrique de la perte, que les capitaines sont de plus en plus précis dans leurs rapports de mer, et que les archives AIS peuvent aider les opérateurs désignés à trouver la bonne position par une étude précise de circonstances de la perte, il peut toujours être très difficile de retrouver une ancre perdue, essentiellement lorsqu’elle est seule, voire enfouie dans le sédiment.
C’est pourquoi, pour faire face à ce défi, les entreprises aujourd’hui mandatées pour de telles opérations ont dû s’adapter aux nouvelles technologies, faute de ne pouvoir répondre aux nouvelles exigences de leurs clients, poussés en cela par les mises en demeure des diverses préfectures maritimes, mais également aux injonctions des autorités portuaires.

C’est donc naturellement inspirés par les méthodes classiques de cartographie des fonds marins et de recherche d’épaves, que les sonars à balayage latéral de dernière génération sont maintenant utilisés dans de nombreux pays pour la recherche d’ancres.

Il est bien évident que ces outils dont le prix dépasse largement les 100K€ n’ont rien à voir avec les sondeurs de pêche, pourtant aussi appelés quelquefois sonars car utilisant les ondes acoustiques comme leurs grands frères.
Bien évidemment seuls les véritables sonars à balayage latéral utilisés pour la réalisation de cartes et mosaïques ou bien destinés à l’hydrographie, peuvent retrouver une ancre perdue a fortiori, petite, seule et partiellement enfouie, les autres ne servant que d’artifice sémantique à des opérateurs peu scrupuleux.

Le sonar à balayage latéral

Le sonar à balayage latéral est une sorte de torpille, le « Poisson », tracté par un navire à une vitesse de 3 à 5 nœuds, et à une altitude d’une dizaine de mètres par rapport au fond. C’est un système acoustique qui utilise des ondes sonores pour cartographier les fonds marins.
Contrairement aux sondeurs qui envoient un faisceau directement vers le fond marin, le sonar à balayage latéral utilise une méthode différente. Il émet des signaux sonores de chaque coté du « poisson » tracté sur un angle oblique par rapport à la surface de l’eau, ce qui permet au sonar de couvrir une zone allant d’une dizaine de mètres à plus de 200 mètres de chaque coté, d’où son nom « A balayage latéral ».

Sonar à balayage latéral. @ Cérès
Ancre seule de 8T au sonar. @ Cérès
Ancre de 30T et sa chaine. @ Cérès

Ce type de sonar peut déterminer la topographie et la morphologie du fond marin, la présence d’objets tels que des épaves ou des rochers, et se révèle redoutablement efficace lorsqu’il est couplé à un positionneur sub-métrique, pour trouver les ancres et mouillages perdus.
Lorsque l’ancre et la chaîne sont totalement enfouies dans le sédiment marin, se posent alors deux nouveaux problèmes, le premier étant bien évidemment la localisation puisque le sonar ne détectera que les objets émergeants du fond, et celui-ci peut être résolu par l’utilisation d’un magnétomètre qui permettra de localiser une telle masse métallique à plusieurs mètres de profondeur.

Le magnétomètre

Magnétomètre. @ Cérès

Tout comme le sonar le magnétomètre est un instrument tracté derrière le navire, si ce n’est que cette fois, c’est le champ magnétique d’un objet ou d’une zone, qui est détecté et mesuré. Couplé à un système GPS, il permet une cartographie précise des champs magnétiques enregistrés.
Ainsi, les données collectées peuvent être utilisées pour créer des cartes de champs magnétiques sous-marins, détecter les objets ferromagnétiques tels que les épaves de navires, les pipelines et les câbles sous-marins, et donc à fortiori les ancres perdues.

Couverture magnétométrique ZAP Barcelone. @ Cérès

Un autre problème plus que récurrent, qui augmente la difficulté de renflouer une ancre perdue lorsque sa chaîne de mouillage n’est plus présente, est le fait qu’elle est soit partiellement soit totalement enfouie dans le sédiment.
En effet le plongeur sous-marin ou le robot utilisé pour fixer une sangle devient rapidement impuissant puisque n’ayant plus aucun point de fixation, ces derniers étant recouverts par le sable ou les graviers formant le sédiment marin.

Ancre de 12T enfouie à 90%. @ Cérès
La même sur le pont. @ Cérès

Si grâce à toutes ces innovations technologiques, il est désormais possible de trouver avec précision même les ancres les plus petites et les plus isolées, dépassant à peine du sédiment, le problème du relevage et de l’extraction de telles masses de ferraille des fonds marins reste entier, c’est donc à ce stade qu’intervient le Grab, sorte de pince à sucre géante, actionnée par l’hydraulique d’un navire en surface et opérée depuis ce dernier.

Le relèvement

Si pour les ancres de petite taille jusqu’à 2.5T ou de taille moyenne jusqu’à 5T, le relèvement peut être réalisé par des petites barges ou remorqueurs disposant de treuils classiques, voire même par des ballons fixés par des plongeurs sous-marins, il en va différemment pour ce qui est des ancres dont le poids peut quelquefois excéder les 25 tonnes pour les plus grosses, et qui sont encore, pour certaines, fixées sur leur ligne de mouillage pouvant, elle, peser jusque plus de 100T.
Donc, rapidement, il a fallu s’affranchir de l’utilisation de plongeurs sous-marins qui dans tous les cas étaient limités dans les temps et profondeurs, au profit direct de ROV ou encore de caméras fixées sur le Grab.

Ancre de 10T inspectée par un plongeur et enfouie à 75%. @ Cérès

Un Grab est une pince articulée équipée de caméras sous-marines et de projecteurs puissants qui va permettre de visualiser, saisir et pincer les objets très précisément et très fermement afin de les remonter ensuite. Il peut lever des poids de plusieurs dizaines de tonnes sans problème.
C’est le bateau qui déplace le Grab depuis la surface, et généralement le navire doit être équipé d’un système de positionnement dynamique, qui va lui permettre de pouvoir rester en stationnaire au-dessus de l’ancre malgré les courants souvent violents en Manche.

Relevage au Grab. @ Cérès
Relevage au Grab. @ Cérès

Conclusion

Aujourd’hui, et grâce, comme nous avons pu le voir, aux technologies et méthodes modernes, il est peu probable qu’une ancre, une ligne de mouillage, ne puisse pas être retrouvée, si l’on considère que les informations initiales fournies par le bord sont exactes.
En effet, même une mauvaise position, si elle est comparée avec les archives de la trace AIS, peut être corroborée avec les déclarations du capitaine, et ainsi résoudre par une courte enquête le problème qui, il y a quelques années encore, était impossible de solutionner.
Même si, pour des raisons pratiques, elles sont encore utilisées dans les petits fonds, les méthodes utilisant la  plongée humaine sont devenues obsolètes au profit de l’utilisation d’appareils acoustiques et de robots équipés de caméras puissantes.
Dans certains ports, les données enregistrées par les sociétés de renflouement disposant de sonar sont compilées  et archivées et permettent de faire ainsi un suivi annuel  des fonds marins qui pourra être utilisé en cas de contestation des mise en demeure par les armateurs.

@ Cérès

 

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