Dans le N°266 de Jeune Marine, nous vous présentions les jeunes Editions Voilier Rouge qui ne publient que des textes issus du patrimoine maritime. Cette chronique vous présente succinctement chacune de leurs nouvelles publications.
Quand l’audace supplée à la puissance
Bien des chapitres de notre histoire rendent hommage à la débrouillardise gauloise et à l’insolent culot des soldats français confrontés à des forces supérieures en nombre. Le récit de la guérilla maritime menée en océan Indien contre la marine anglaise par Bouvet de Maisonneuve en est un exemple peu connu mais réjouissant.
La paix d’Amiens, signée en 1802 entre une France encore République et la Grande-Bretagne, est précaire. Le temps qu’une escadre partie de Brest pour aller recouvrer les comptoirs indiens restitués à la France, double le Cap de Bonne Espérance, les hostilités ont repris. Le 21 octobre 1805, la bataille de Trafalgar consacre la suprématie navale de l’Angleterre. Pendant dix ans, Napoléon va affronter sur terre sept coalitions et ne regarde plus vers la mer : « l’Empereur, alors tout puissant sur le continent, négligeait sa Marine qu’il n’estimait pas ». Pourtant, il faut ruiner le commerce maritime de l’ennemi, empêcher son ravitaillement depuis ses colonies et mobiliser au loin ses forces. Telle est la mission que se donne Bouvet de Maisonneuve, jeune officier de 30 ans, avec une audace stupéfiante. Qu’on en juge : son premier bateau est une barque à fond plat, un patemar utilisé pour caboter en Inde, armée d’un canon et de 40 marins, avec lequel il se glisse dans les lignes ennemies et fait ses premières prises qu’il ramène à l’Île de France (l’île Maurice). Sur le brick qui suivra, Bouvet écumera l’océan, depuis Mascate jusqu’à la mer de Chine en passant par tous les comptoirs de l’Inde. Il est partout à la fois et capture 19 navires ennemis. La presse anglaise le surnomme « l’Eclair » car il surgit là où on ne l’attend pas. Des navires sont lancés à ses trousses, mais en vain. Son courage est à la mesure de son habileté manœuvrière : il force les passes d’un port tenu par les Espagnols et les Anglais et en ressort à leur barbe sans avoir essuyé un seul boulet.
Les Anglais se sont emparés de Port-Louis, sur l’île Maurice, et y stationnent 5000 fantassins. Le gouverneur français a dû se rendre. Bouvet, à la tête d’une escadre, force l’entrée de Grand-Port et livre une féroce bataille aux navires de la perfide Albion. Ce sera l’une de nos rares victoires en mer sous l’Empire.
Au-delà des anecdotes historiques, toutes passionnantes, il faut admirer toutes les qualités qu’un tel marin concentre. Son récit est clair comme un rapport de mer : « j’ai revu – pour l’écrire – mes journaux, tables de loch, instructions, rapports d’officiers ». Combien de fois nous faudra-t-il, pour rendre compte des mémoires d’un marin, saluer la qualité rédactionnelle que ce métier nous enseigne, avec ses exigences de clarté, de précision et de concision ? Bouvet navigue au début du XIXème siècle : l’éloignement, les caprices d’Eole et les aléas de la voile, la lenteur des manœuvres, l’absence de liaisons et de communication, les incertitudes géopolitiques (qui est en guerre et qui ne l’est pas ?), tout concourt à offrir à un capitaine une incroyable autonomie et une entière liberté, mais celles-ci se payent par une exigence de clairvoyance, de décision, d’improvisation et d’audace.
Officier régulier et flibustier, soldat au combat et négociant la revente de ses prises, Bouvet de Maisonneuve est un grand aventurier doublé d’un écrivain. Son talent est à la mesure de sa modestie. Les Editions Voilier Rouge nous offrent à nouveau une belle page de notre histoire maritime.
Avec la flotte des Indes sous Napoléon
Amiral Bouvet de Maisonneuve (Préface d’Olivier Aranda)
Editions Voilier Rouge. www.editionsvoilierrouge.com