Lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, deux tableaux ont mis en avant le génie français : la vasque olympique s’élevant au-dessus du jardin des Tuileries et le cheval d’argent flottant sur les flots de la Seine. La féerie de cette descente de la Seine a fait l’unanimité des spectateurs et des milliards de téléspectateurs en mondovision, à l’opposé d’autres séquences hors sujet, contraires à l’esprit olympique, ayant entraîné de nombreuses polémiques.
Sous cette chevauchée fantastique, point d’orgue de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques Paris 2024, se cache sous l’eau un trimaran « invisible », une innovation et une prouesse technologique réalisée par MMProcess, petite TPE installée à Quiberon, créée il y a 4 ans par Morgane Suquart et Madeg Ciret-Le Cosquer.
Un parcours maritime complet
Passés tous les deux sur les bancs de l’ENSM (Morgane en OCQM à Saint-Malo et Madeg en polyvalent) puis après avoir navigué ont suivi ensemble un Master 2 en architecture navale à l’École d’Architecture de Nantes (Master ouvert aux architectes, ingénieurs et officiers de la Marine Marchande), ils sont tous les deux également des sportifs accomplis en Moth à foils (Morgane Championne d’Europe et Madeg Vice-champion de France). Évoluant dans le milieu de la course au large, ils ont eu l’envie de partager leurs compétences acquises à bord des navires de commerce, leurs expériences vécues au sein de TPE spécialisées (par exemple SeaAir à Lorient, concepteur d’un zodiac sur foils) et des années d’enseignement qu’ils ont assurées à l’École d’Architecture de Nantes.
Ils fondent MMProcess en septembre 2020 à Saint-Pierre de Quiberon, hébergée au sein de l’École Nationale de Voile. MMProcess (10 employés, 300k€ de CA) se spécialise dans la conception de foils et dans la maîtrise d’œuvre pour des prototypes destinés à la course au large (dernier en date le trimaran Primonial, du skipper Sébastien Rogues).
Le hasard d’une conversation
Parallèlement, Madeg Ciret-Le Cosquer continue ses vacations à l’École d’Architecture de Nantes. Lors d’une séance de TP au bassin des carènes de l’École Centrale de Nantes, en compagnie d’un autre enseignant associé au sein de l’Atelier BLAM (1), il découvre l’idée de BLAM de faire naviguer sur la Seine un cheval d’acier lors des Jeux Olympiques, d’une hauteur de 1,80 m au garrot. Son collègue enseignant lui confie alors que le projet est en passe d’être abandonné faute d’avoir trouvé un architecte capable d’inventer un flotteur pouvant déplacer une masse de plus d’une tonne à une vitesse élevée, sans faire de vague derrière lui et sans être visible en surface.
À la suite de cette conversation sur les bords du bassin des carènes, Madeg Ciret-Le Cosquer propose trois solutions de flotteur que l’atelier BLAM recommande au comité d’organisation des JO, le COJO.
Une course contre la montre s’engage
Avant même que le contrat soit signé (en février 2024), MMProcess se lance dans l’aventure avec un premier projet d’avion sous-marin abandonné rapidement pour celui du trimaran qui a nécessité (voir diaporama ci-dessous) trois mois d’études en bassin de carènes numérique, beaucoup de calculs d’hydrodynamique pour notamment avoir une carène parfaite avec un même champ de pression uniforme. Les bras aériens entre les flotteurs sont refusés, remplacés par des bras immergés pour ne pas les voir, mais qui se comportent comme des foils d’où des profils à portance nulle. Seul le safran comporte un foil permettant de corriger l’assiette. Les flotteurs remplacent les ballasts et les mouvements du cheval n’ont pas eu d’impacts sur la stabilité ni la tenue du trimaran. Une maquette au 1/8éme est fabriquée pour valider les études.
De son côté BLAM a retravaillé son cheval pesant une tonne au départ, pour un cheval plus léger et aérien ramené à 300 kg.
Durant trois mois, MMProcess va employer jour et nuit, week-end compris, 30 ouvriers spécialisés issus du monde des préparateurs et équipes techniques de la course au large pour réaliser ce bateau inédit et non réglementaire, poussant la perfection jusqu’à obtenir que chaque composant soit aux normes en vigueur afin d’être sûr d’obtenir la certification et l’approbation des autorités.
Entièrement fabriqué en carbone, avec du tissu composite recyclé fourni par l’usine Airbus de Nantes issu de surplus COVID et de la mousse également recyclée, le bateau mesure 14 m de long par 5 mètres de large, avec un tirant d’eau de 1,8 m et un franc-bord « ridicule » de 15 cm pour un déplacement de 2,5 tonnes. Propulsé par un moteur électrique de 123 KW (200 Kg), alimenté par 18 batteries, entraînant une hélice à quatre pales de 40 cm. Une 19éme batterie alimente le mécanisme du cheval.
Essais et certification
Terminé en juin 2024, le bateau a parcouru plus de 60 milles nautiques en baie de Quiberon, montrant une stabilité parfaite, traversant droit les vagues sans mouvement de plate-forme. Avec l’aide du cabinet H&T, MMProcess a présenté le bateau aux inspecteurs de la DRIEAT, de la Préfecture d’Île-de-France et des Voies navigables de France. Après certification, le bateau a obtenu ensuite l’accord du COJO et du Préfet de la Région Île-de-France au cours d’une démonstration en eau fluviale. Pour des questions de sécurité, afin d’éviter tout sabotage, les organisateurs ont exigé que les commandes du trimaran restent mécaniques. Les rênes sont des bouts en kevlar, comme un système de winch utilisé en course au large, à défaut d’un joystick.
Le jour J : Une cavalière d’exception
Sous traitant de BLAM, MMProcess ne pensait pas jouer le premier rôle le jour J. “Morgane devait simplement faire les essais et être remplaçante. On pensait que l’on allait nous présenter un pilote, mais en fait, ça n’est jamais arrivé. Il faut dire que c’est très technique, ce n’est pas donné à tout le monde de piloter un prototype comme celui-ci”, nous précise Mareg Ciret-Le Cosquer.
Fille de cavalier, Morgane Suquart ne se désarçonne pas, et après trois nuits d’essais en catimini in situ, elle enfile le costume censé représenter la déesse Sequana, symbole de résistance et divinité celtique qui habitait la Seine.
Pour se diriger en pleine nuit, Morgane est équipée d’une oreillette dans laquelle lui parle Mareg Ciret-Le Cosquer, embarqué sur un zodiac derrière elle. “Son costume la gênait pour voir sur les côtés. Je lui donnais des ordres de barre de 5°. Mais finalement elle avait intégré par cœur la trajectoire, et n’avait pas besoin de moi », raconte son associé et compagnon à la ville. Elle disposait également d’un récepteur GPS entre ses jambes pour contrôler sa vitesse.
« Le timing a été plus compliqué à suivre. Le top départ se faisant attendre, elle a dû reculer d’un demi mille le long de la Seine, avant de repartir à 21 nœuds pour franchir le rideau d’eau, réduire à 18 nœuds le long des premiers jets d’eau et enfin se caler à 12,5 nœuds pour la suite de la descente de la Seine. » (le Préfet avait imposé une vitesse maximale de 12 nœuds ).
Quittant les écrans de télévision du monde entier, en passant fictivement le drapeau olympique à la cavalière, qui a traversé le pont d’Iéna sur un vrai cheval blanc, Morgane Suquart et son iconique destrier ont rejoint port de Javel, base de l’équipe de MMProcess. Hyper détendue lors de cette traversée, elle a parfaitement géré la pression, étant même partante pour repartir dans l’autre sens. Morgane s’est sentie portée par la foule massée sur les quais, donnant un sentiment de communion avec le public. (2)
Un grand bravo à Madeg Ciret-Le Cosquer et Morgane Suquart d’avoir relevé le défi de marier le maritime au monde du spectacle au travers cet incroyable engin propulsé sur l’eau et tenu les rênes pendant cette performance époustouflante. Une séquence féérique capturant l’imagination et l’admiration de tous les spectateurs, célébrant le génie créatif français en conservant l’esprit olympique.
Fort de cette exposition médiatique inespérée, MMProcess continue ses projets. « A très court terme nous faisons l’étude d’un nouveau BIRDYFISH catboat, et commençons la navigation sur le mini 6.50 (1044) que nous avons dessiné » nous indique Madeg Ciret-Le Cosquer. « A plus long terme, nous aimerions diversifier notre activité dans les drones sous-marin et les navires de travail à foil tout en continuant le développement de bateau de course. » Nul doute que cette pépite a des talents maritimes à valoriser.
- BLAM est une agence de design autant qu’un atelier de fabrication, créée en 2015 et dirigée par Aurélien Meyer, ancien de la compagnie La Machine à Nantes, compagnie à l’origine du Grand Éléphant de Royal de Luxe.
- Une autre start-up du maritime participait à la cérémonie d’ouverture : FinX, fondée par Harold Guillemin, elle développe une propulsion électrique sans hélice reproduisant les mouvements d’une nageoire. Ils ont construit en 10 mois un bateau, qui a descendu la Seine avec la délégation du Vanuatu, pour ensuite la remonter avec la flamme olympique portée par quatre icônes du monde olympique : Rafael Nadal, Serena Williams, Carl Lewis et Nadia Comăneci.
© Jean-Vincent Dujoncquoy