Gaspard Ravel, alias Bill Ravel, fondateur de la Sofrana (Société française de navigation) est décédé à Paris le 16 octobre 2024, des suites d’une longue maladie. Sa vie d’armateur aura été un vrai roman d’aventures où son habilité et son flair dans les affaires, son culot et son don pour s’associer aux bonnes personnes, en s’affranchissant des us et coutumes, lui ont donné une renommée d’entrepreneur incroyable, particulièrement dans le Pacifique Sud.
De Saint-Etienne à Nouméa.
Né en 1940 dans une famille de mineurs de fond à Saint-Étienne, il est mis en pension très jeune avec son frère et son cousin qui deviendront ses principaux associés dans nombre de ses affaires. Peu motivé par les études, il devance l’appel pour le service national à 18 ans après une formation de plombier-couvreur et débarque du Tahitien des Messageries Maritimes à Nouméa fin 1959. Sous les drapeaux, il choisit son surnom de Bill en raison de sa dextérité sur le stand de tir. Affecté au service du matériel, il profite de ses temps libres pour arrondir sa solde comme serveur ou plombier.
Démobilisé sur le caillou, il est embauché par le plombier où il arrondissait sa solde, juste le temps de partir vers d’autres horizons, accompagné de la femme du plombier. Il monte un premier restaurant « asiatique » avec l’épouse vietnamienne d’un militaire qui était une excellente cuisinière. Dans la foulée, il reprend un bar qu’il transforme en cantine de dockers, très appréciée des Mélanésiens employés de la principale société d’acconage. Avec l’accord de cette dernière, la clientèle dockers signait des bons de consommation qui étaient ensuite retenus sur les salaires et remboursés au bar. Il pose alors indirectement un premier pied dans le monde portuaire et maritime.
En 1962, avec sa compagne, il reprend la gérance du restaurant puis de l’hôtel Lutetia, qui devient très vite le point de ralliement du mouvement indépendantiste calédonien, et des Européens débarquant en Calédonie à la recherche d’opportunités professionnelles. Il monte également un garage à l’arrière de l’hôtel, réputé pour sa dextérité au dépannage ultra rapide sur tous les accidents, grâce aux informations des taxis de Nouméa. Au cours de ces années d’hôtelier, Bill Ravel va nouer des relations fortes dans toutes les sphères de la société calédonienne, notamment en embauchant comme employée la sœur d’un indépendantiste radicalisé dont il prendra en charge les études de ses deux fils. L’aîné, Louis Kotra Uregeï deviendra ensuite l’un de ses fidèles soutiens comme leader du syndicat USTKE (Union des Syndicats des Travailleurs Kanaks et Exploités) et finira par devenir lui-même armateur de caboteurs en Nouvelle-Calédonie (la STIL).
Entrée par effraction dans le maritime.
La création de la Sofrana à Wallis fin 1967 est le premier coup de poker de Ravel dans le maritime. Depuis le début des années 60, la desserte maritime de Wallis et Futuna est chaotique et aléatoire depuis les Fidji, les Nouvelles-Hébrides ou de Nouvelle-Calédonie. En 1966, Bill Ravel devient l’un des cinq actionnaires fondateurs de la compagnie Cofrana crée aux Nouvelles-Hébrides. Cette dernière exploite le Moana Raoi, petit caboteur de 47,2 m construit à Hong Kong en 1958, qui a bien du mal à remplir ses obligations, enchaînant les pannes. Mandaté par les autres associés, Ravel va à Wallis rencontrer l’Administrateur supérieur du Territoire pour lui proposer que le Territoire rachète le navire et confie son exploitation à la Sofrana, qu’il crée par la même occasion le 15 décembre 1967 à Mata-Utu, avec son ami Jacques Sebelis qui a servi d’intermédiaire pour rencontrer l’Administrateur. Accord immédiatement obtenu auprès de Paris, qui ne voit pas la subtilité entre Cofrana et Sofrana …. En changeant une lettre, Bill Ravel récupère le marché pour lui seul en empochant sa côte part de la vente du Moana Raoi, rebaptisé Moana, laissant sur le quai ses associés de Cofrana.
Les bureaux de Sofrana s’installent d’abord dans ceux de son frère Jean Ravel débarqué quelques années auparavant comme juriste à Nouméa, puis rejoignent l’hôtel Lutétia, véritable berceau de la compagnie. Bill Ravel fait venir son cousin Jean-Pierre Varnier pour s’occuper de l’administratif.
Le premier voyage du Moana en janvier 1968 aurait pu être le dernier. Le Moana affronte pendant plusieurs jours le cyclone Brenda, en tournant autour de l’île d’Anatom au sud des Nouvelles-Hébrides, complètement perdu. (Ce cyclone faillit coûter la vie à Éric Tabarly qui se réfugia avec le Pen Duick III dans le lagon d’Ouvéa). Unique navire jusqu’en 1970, le Moana effectue des rotations de 45 jours entre Nouméa, Suva et Lautoka (Fidji), Futuna, Wallis, Espiritu-Santo et Port-Vila (Nouvelles-Hébrides).
Le troisième homme.
Après Jean-Pierre Varnier, Bill Ravel va rapidement embaucher le troisième homme de la Sofrana, un Capitaine au long cours exceptionnel, Alain Munch, naviguant alors comme Commandant du navire de recherche Coriolis de l’Orstom. Né la même année que Gaspard Ravel, il intègre l’Hydro en 1958 encore localisée… au numéro 15 de l’avenue Foch à Paris, à quelques numéros du futur domicile de Ravel à Paris. Après une navigation effectuée essentiellement aux Messageries Maritimes où il découvre l’océan Indien, l’Asie, l’Afrique et le Pacifique. En février 1968, il revient à Tahiti pour embarquer à bord du Coriolis.
Alain Munch prend donc le Commandement du Moana pour quelques voyages vers Wallis …où il se forge très vite une image de « Seigneur des mers » … Diamant à l’oreille, habillé d’un manou (pagne traditionnel en tissu) et d’un tee-shirt. Lors des escales à Mata-Utu, dès l’accostage du navire, il chevauchait un cheval aimablement mis à sa disposition à la coupée pour rallier au galop le bar situé au début de la jetée et savourer une première bière bien fraîche. Il se lasse rapidement de cette navigation des îles, et part en « congé sabbatique » début 1969 au Cambodge, accompagné de René Blaise, le second capitaine du Moana, avec l’idée de monter une compagnie de navigation fluviale sur le Mékong. Faute de concrétiser ce projet, les deux compères reviennent à Nouméa où Alain Munch prend le commandement du Capitaine Cook, second navire de la compagnie. Très rapidement, Munch pose sac à terre pour devenir capitaine d’armement, basé à Suva aux Fidji, où il s’installera en épousant une Fidjienne.
Une Dream Team magique.
Dès lors, le succès de la Sofrana va reposer sur ce trio de personnalités, comme le souligne Georges Trompas, ancien DG de la compagnie : « Bill Ravel, l’homme qui avait une idée à la minute, Alain Munch, le pragmatique, qui effectuait un tri et retenait les bonnes, et Jean-Pierre Varnier, le sage qui leur donnait un cadre administratif ». La compagnie va croître rapidement et étendre son réseau sur l’ensemble du Pacifique Sud.
Sydney, Auckland, Suva, Port-Vila et Nouméa deviennent les points d’attache de la compagnie. Gaspard Ravel rachète des cargos classiques à coût minimum aux armateurs qui passaient tous aux porte-conteneurs.
Alain Munch appelle à la rescousse ses copains des bancs de l’Hydro où il avait déjà acquis une réputation d’original brillant. C’est ainsi que Philippe Hurstel, Georges Trompas, Alain Cesbron, et d’autres CLC rallièrent le Pacifique sans se poser de questions. Alain Cesbron venait de poser sac à terre au Bureau Véritas quand Munch l’a appelé… Quinze jours après il embarquait sur le Capitaine Cook. D’autres CLC de cette promotion regrettèrent ensuite de ne pas avoir sauté le pas en acceptant la proposition d’Alain Munch (Confidence d’un ancien directeur des Chargeurs Réunis). Ce « clan des Capitaines » fut étoffé par des Capitaines au grand cabotage outremer calédonien ou tahitien, brevet de commandement limité à la zone Pacifique. Pour motiver ses Commandants, Ravel et Munch les impliquaient dans la gestion technique et commerciale des navires, tout en leur laissant une large autonomie d’action. Les navires n’étant pas de prime jeunesse, l’équipage était souvent complété de soudeurs, tuyauteurs et peintres pour entretenir à la mer les navires, dans une zone géographique dépourvue de chantiers de réparation performants.
Parallèlement, Ravel et Munch recrutèrent de fortes personnalités comme représentants de la compagnie dans les différents archipels et ils nouèrent en particulier des relations amicales avec les leaders syndicaux des différents ports desservis, ce qui sauvera à maintes reprises la compagnie des soubresauts politiques agitant cette partie du globe, notamment les boycotts de protestation contre les essais nucléaires français, ou des coups d’État comme aux Fidji. Cette connivence avec les leaders syndicaux se retournera contre lui plus tard à Tahiti.
Sofrana s’installe dans le paysage d’un Pacifique très anglo-saxon et anti-français.
À partir de 1970, la compagnie Sofrana va réussir à faire flotter le pavillon français au milieu d’une chasse gardée de sociétés australiennes et de syndicats néo-zélandais. Après le Capitaine Cook et le Capitaine Bougainville (ex-Balzac), Ravel rachète à Jean Rousset, propriétaire de la Méridionale deux anciens pinardiers l’Akela et le Nemours qui deviendront respectivement Capitaine Wallis et Capitaine Tasman fin 1971. En 1973, Sofrana compte 9 navires et va atteindre 17 navires à son apogée au milieu des années 80.
Le premier coup dur pour la jeune compagnie Sofrana fut le boycott des intérêts français lors de la reprise des essais nucléaires à Mururoa en 1972. A Auckland, les bureaux de la compagnie aérienne UTA sont incendiés. Le consul honoraire de France qui n’est autre que le maire d’Auckland, devant une foule de manifestants jette alors sa Légion d’honneur depuis le balcon de la mairie etc… Plusieurs navires de la compagnie se retrouvent bloqués dans les ports. Ravel et Munch organisent des manifestations de marins originaires des autres États insulaires pour attendrir sans grand succès les syndicats de dockers. Certains commandants de la Sofrana vont jouer les briseurs de boycott en appareillant tous feux éteints sans pilote de Tauranga (René Blaise), ou en entrant sans pilote dans la baie de Sydney pour mouiller avec le pavillon français bien déployé en face de l’Opéra (Patrick Le Rohellec).
En 1974, Un mouvement de protestation contre les prix de l’essence à Wallis et Futuna (arrivée en décalé du premier choc pétrolier) pousse dehors Ravel et ses navires. Les émeutiers, téléguidés par des personnalités politiques locales, exigeant une baisse immédiate de 50% des taux de fret (1). L’approvisionnement de Wallis et Futuna va à nouveau être aléatoire jusqu’à l’arrivée du Moana 2 en 1977 de la toute jeune Compagnie Wallisienne de Navigation créée par Francis Bourgade, un tahitien marié à une wallisienne.
Deux tragédies maritimes endeuillent la compagnie.
Le 3 septembre 1975 vers 02h du matin, le Capitaine Bougainville est victime d’un feu à la machine qui l’immobilise dans un fort coup de vent d’est le poussant à la côte au niveau de Whangareï, au nord d’Auckland. Le feu devient incontrôlable et se propage à l’ensemble du château. Après avoir réussi à mouiller une ancre pour stopper la dérive, le commandant Jean-Raymond Thomas (2) déclenche l’évacuation du navire dans une mer très forte et un vent de force 8. Malheureusement 16 personnes sur les 36 à bord périrent noyées.
Fin 1989, la Sofrana rachète le Sunny Isabella à la Dutch Africa Line. Délivré à Emden en Allemagne, il est rebaptisé Capitaine Torrès sous pavillon du Vanuatu et traverse l’Atlantique pour aller charger une usine en kit sur les Grands Lacs, à destination de Taïwan. Le 8 décembre 1989, en sortie du Saint-Laurent, le Capitaine Torrès, commandé par Claude Vicario, affronte une énorme tempête au nord de la Nouvelle-Ecosse et disparaît après une panne du moteur principal. Seuls les débris d’un canot en bois, des brassières et un radeau gonflable vide seront retrouvés. Les 23 membres d’équipage ont disparu corps et bien.
Un entrepreneur tous azimuts.
Bill Ravel a exercé ses talents d’entrepreneurs dans de multiples domaines avec plus ou moins de réussite : hôtelier, garagiste, pompes funèbres, élevage et culture du coprah, santalier, promoteur immobilier et transport aérien.
C’est dans l’aérien qu’il va y exercer le mieux ses talents de négociateur et bousculer l’ordre établi des compagnies aériennes. La desserte aérienne de la Nouvelle-Calédonie est assurée au début des années 70 par un monopole de fait d’UTA, filiale du groupe des Chargeurs Réunis. Dès 1971, Gaspard Ravel, via l’armateur suédois Fred Olsen, obtient l’agence de la compagnie aérienne scandinave SAS à Nouméa. Puis ce sera l’aventure de la Thaï avec l’ouverture de la ligne Paris-Bangkok-Manille- Nouméa, qui va directement concurrencer le monopole d’UTA. Fin 1978, l’ouverture par Bill Ravel de l’agence parisienne de la Thaï sur les Champs-Élysées va marquer le début de l’engouement des Français pour la Thaïlande, avec l’aide des principaux voyagistes français que Bill Ravel a su séduire, en les promenant dans sa Rolls à travers Paris. L’aventure Thaï va s’arrêter après un changement de gouvernement à Bangkok en 1983.
A la même période, Ravel glisse l’idée d’une compagnie aérienne internationale calédonienne à Jean-Marie Tjibaou, leader des indépendantistes, élu à la tête du Congrès à Nouméa. Mi-1983, Air Calédonie International est créée, avec Gaspard Ravel comme premier PDG.
Dans le maritime, Bill Ravel tente de séduire les grands du shipping pour intégrer le Pacifique sud dans les lignes autour du monde. Hamburg Süd, Hyundai, dont il sera le « sous-marin » dans la conquête du marché européen, puis la PAD (Pacific Australia Direct Line) et New Zealand Shipping Company, rachetées avec la CGM pour les fusionner ensuite dans l’ANZDL qui sera revendue en 1986 à Delmas-Vieljeux, avant que cette dernière ne récupère la Sofrana .
1984, point de bascule.
Les événements violents qui secouent la Nouvelle-Calédonie en 1984 vont marquer le début des tensions entre Bill Ravel et ses relations calédoniennes. Gaspard Ravel est accusé par la population loyaliste d’être le financier des indépendantistes. Les bureaux et installations de la Sofrana seront défendus pas ses employés face aux tentatives de mise à sac par les Loyalistes, guidés par Jacques Lafleur. Après deux tentatives de plastiquage de son yacht, l’Odyssée, il l’envoie à l’abri en Australie. (Ce yacht aura une fin énigmatique aux Philippines, sur la route de Suez, attaqué par des pirates).
Les relations avec ses plus proches collaborateurs vont se dégrader fortement jusqu’à la rupture lors de l’entrée au capital de Delmas-Vieljeux en 1987. Exemple : Alain Munch, accompagné d’un commandant de la compagnie part visiter un navire en vente au Chili. Avant de reprendre l’avion vers Nouméa, Munch fait un bref rapport téléphonique à Bill Ravel, lui conseillant de ne pas acheter ce dit navire. Le temps du retour vers la Calédonie, Ravel avait acheté le navire (le Capitaine Quiros), qui se révélera coûteux et inadapté aux trafics de la Sofrana.
1987, Sofrana passe sous contrôle de Delmas-Vieljeux.
Auparavant, en 1978, Bill Ravel avait fait entrer dans le capital de la Sofrana, la banque Paribas, le courtier Barry Rogliano, l’armateur suédois Peter Carlson et le pétrolier Elf Gabon. En 1987, approchés par Gaspard Ravel, Tristan Vieljeux et Alain Wills acceptent de prendre 47,5% du capital de la Sofrana, en rachetant les parts de ceux de 1978 (8 fois la mise de départ !!!), complétées d’une partie des siennes. Les « historiques » vont quitter alors le navire Sofrana en cédant leurs parts, pour voguer vers d’autres horizons. Alain Munch en premier lieu, qui crée ultérieurement la compagnie Neptune Shipping en reprenant notamment le Capitaine Wallis (III), navire emblématique de la Sofrana. Son condisciple René Blaise quitte Nouméa à destination de la Thaïlande avec une valise de dollars qu’il va investir dans deux bars à Bangkok et Phuket, où il terminera sa vie. Pour Alain Cesbron ce sera la reprise de la CWN et la desserte de Wallis. D’autres iront vers le pilotage maritime. Quelques-uns resteront fidèles à la compagnie. Bill Ravel reste PDG de la Sofrana jusqu’au raid de Vincent Bolloré sur Delmas-Vieljeux en 1991. Ce dernier va engager une douzaine de plaintes à l’encontre de Ravel, pour « abus de biens sociaux ».
Migration vers la Polynésie.
À partir de cette époque, Ravel jette son dévolu sur la Polynésie française, où Gaston Flosse, pendant de Jacques Lafleur à Tahiti, va l’accueillir à bras ouverts. Depuis 1986 Ravel s’était associé avec Jean-Marc Poylo, de Services et Transports, et TOTAL pour l’approvisionnement en hydrocarbures de Tahiti au départ de l’Australie ou de l’Asie. Ce sera la mise en service des Captain Martin, Captain Ann et Captain Helen. Dans la foulée, Ravel pousse Poylo à exploiter le paquebot à voile Club Med2 dans le Pacifique Sud en commençant par la Nouvelle-Calédonie. Puis ce sera le Paul Gauguin, qui aujourd’hui est exploité par la compagnie Ponant.
En Nouvelle-Calédonie, les tensions avec Jacques Lafleur vont culminer en 1994 avec l’affaire du ferry Président Yeiweiné (articles publiés dans JM 201 et 202). Bête noire de Jacques Lafleur, Bill Ravel prend un malin plaisir à inonder les fax du territoire de Nouvelle-Calédonie de tracts et lettres ouvertes révélant les dessous des contentieux entre les deux hommes d’affaires. Un article du journal Le Point, en avril 1994, sous la plume de Sophie Coignard, « Dallas sous les cocotiers », résume bien la situation.
Translink, les Russes et la ligne tour du monde.
Entre 1990 et 1996, Bill Ravel va jouer sur l’effondrement de l’URSS en affrétant pas moins de 24 navires à la Baltic Shipping Compagny, basée à Saint-Pétersbourg. Il crée la Compagnie Translink navigation à Wallis, mais gérée depuis Auckland par son frère Jean Ravel. Translink (via son entité Translink Shipping immatriculée à Port-Vila au Vanuatu), va exploiter une partie de cette flotte sur la ligne tour du monde, taillant des croupières aux armateurs occidentaux en cassant le marché… grâce à une originalité de l’affrètement qui incluait le combustible et le jeu de conteneurs attachés au navire. Cette aventure est un véritable roman digne de John Le Carré où l’on croise un colonel du KGB, alias Kostiouk ou Vladimir retourné par la DST, des intermédiaires douteux, quelques mafieux et anciens apparatchiks moscovites ( Le Pdg de la Baltic Shipping et trois de ses directeurs) qui termineront incarcérés en 1993 pour corruption et crime organisé, des équipages qui revendent en pièces détachées les apparaux des bords ou les roues de toutes les voitures transportées, pour survivre et compléter leurs salaires ( à l’époque, un matelot russe gagnait environ 35€ par mois), un agent maritime marseillais qui disparaît après l’incendie de ses locaux détruisant les données informatiques des affrètements, les saisies des navires dans tous les ports, quelques noms du shipping marseillais (Jean Rousset de la CMN et Raymond Vidil de Marfret (3)) etc… Bill Ravel reconnaîtra y avoir gagné pas mal d’argent dans cette rocambolesque aventure.
Pendant cette période il développe avec son frère Jean Translink puis Pacific Direct Line (4) en venant concurrencer directement les lignes de la Sofrana et celles de ses anciens associés en premier lieu Alain Munch et la compagnie Neptune Shipping. Les tensions seront d’autant plus fortes qu’ils connaissent tous très bien Bill Ravel et ses méthodes. Le Cdt Munch était persuadé être l’objet d’un contrat sur sa tête de la part de Ravel.
Juste avant de se brouiller définitivement avec la CGM (qui est intervenue comme conseil dans l’achat du Président Yeiwéné et qui subit de plein fouet cette concurrence sur la ligne tour du monde), Bill Ravel rachète le Borodine à la CGM, petit roulier, qui va devenir le Pacific Link de la Translink, exploité sur la ligne de Wallis et Futuna pour concurrencer la CWN d’Alain Cesbron.
Entrepreneur multicarte à Tahiti.
Sous la bienveillance de Gaston Flosse, Gaspard Ravel va continuer ce qu’il sait faire.
Un pied dans le maritime comme armateur de Pétrocéan, la compagnie qui a repris les contrats d’approvisionnement d’hydrocarbures de la Polynésie. Quelques tentatives de lancer des ferries sur les îles Sous-le-vent, avec en 2010 l’épisode Raromaitai et le King Tamatoa (ex-NGV Limone de la SNCM, qui après 3 mois d’exploitation, sera désarmé à Nouméa, puis revendu trois ans après à Taiwan).
Un pied dans l’aérien, où il va aider à la création d’Air Tahiti Nui, puis tenter de casser le monopole d’Air Tahiti sur les lignes intérieures en tentant de créer la compagnie aérienne Islands Airlines qui ne verra pas le jour.
Un pied dans le bâtiment comme promoteur de complexes résidentiels de luxe, sans oublier sa propre demeure, un petit « faré », style palais des milles et une nuits, à 7 millions d’euros avec une vue imprenable sur Moorea et le soleil couchant.
Rattrapé par la justice…. Pour corruption active.
Appliquant toujours ses méthodes « border line », Bill Ravel est mis en examen en 2012 pour corruption active et trafic d’influence. Il goûtera à la vie de Nuutania, la prison de Papeete, pendant quelques mois de détention provisoire.
En 2008, une grève des employés du terminal pétrolier empêche le déchargement du James Cook, pétrolier de sa compagnie Pétrocéan. La situation se débloque miraculeusement au treizième jour, après versement d’un pot-de-vin à Cyril Le Gayic, secrétaire général du syndicat CSIP. L’enquête va révéler un système de versements sur cinq années, pour la modique somme de 335 000€, en contrepartie d’une paix sociale.
L’affaire Le Gayic – Ravel n’aboutira finalement qu’en février 2024, avec une aggravation des peines en appel pour Bill Ravel qui écopera de 2 ans avec sursis, un an de prison ferme et une amende d’environ 85 000€.
Un personnage qui ne laissait personne indifférent.
Pour avoir navigué dans ce Pacifique Sud et rencontré nombre de ses relations j’ai retenu que Gaspard Ravel ne laissait personne indifférent. Persuasif en affaires et charmeur en amour (5), il savait rallier à son panache toutes les personnes servant ses intérêts, quitte à utiliser au mieux ses perceptions des faiblesses humaines. Qu’ils aient gardé de fortes rancunes ou de la sympathie pour lui, tous expriment une admiration sincère pour l’homme, aussi baroque fut-il.
Dans le livre consacré à la Sofrana, écrit par son ami Philippe Godart en 2014, Bill Ravel se confie : « Dans ma vie, le seul vrai regret que j’ai eu, c’est de n’avoir pas été commandant de bord d’un 747 pour traverser les halls des aéroports avec un essaim de jolies hôtesses de l’air à mes basques ».
Tiens, tiens !!! Comme une scène du film « Arrête-moi si tu peux » de Steven Spielberg avec Tom Hanks et Leonardo Di Caprio… Comme le jeune imposteur du film, il faut peut-être remonter à l’enfance de Bill Ravel avec un couple de parents qui se sépare sur fond d’alcoolisme, pour trouver la motivation de réussir à sortir d’une situation précaire en associant toujours sa proche famille. Là s’arrête la ressemblance avec le héros du film, car « Bill » Gaspard Ravel a été un réel entrepreneur iconoclaste pour ses fidèles, sulfureux pour d’autres et certainement hors normes pour tous .
©Jean-Vincent Dujoncquoy
(1) Événements relatés par le Cdt Renaud d’Herbais dans son livre « Larguez le marin ! ».
(2) Jean-Raymond Thomas aura ensuite une belle carrière chez Brittany Ferries.
(3) Raymond Vidil relate cette aventure dans le livre Le Chemin du Monde co-écrit avec Patrick Mouton publié en 2006 chez Acte Sud.
(4) Bill Ravel et son cousin Jean-Pierre Varnier ont revendu leurs parts dans PDL en 2006 à PIL (Pacific International Lines ) qui est devenu actionnaire majoritaire. Ironie de l’histoire, en mars 2020, Neptune ( détenue par le fond américain Wonderful Company) a racheté 100% de PDL à PIL, devenant NPDL (Neptune Pacific Direct Line). La compagnie Neptune Shipping avait été rachetée par Fiji Waters après le décès d’Alain Munch en septembre 2006. La tradition des noms de baptême de navire persiste avec les Capitaine Wallis, Tasman etc…Belle revanche posthume du Cdt Munch.
(5) Bill Ravel a partagé un moment de sa vie avec nombre de conquêtes féminines. En amour il n’hésita pas non plus à s’affranchir de la tradition, en se pliant au rite musulman pour épouser Randa, Koweïtie d’origine palestinienne, rencontrée en Australie.