Dénoncée par tous les acteurs français du secteur, bon nombre de transbordeurs internationaux et même européens ont adopté une politique low cost, inspirée de celle qui gangrène l’aérien depuis deux décennies. En tête de réduction des coûts, la détérioration des conditions de travail de l’équipage. En 2021, le dépavillonnement des navires P&O dans le détroit, aboutissant au licenciement brutal de 800 marins britanniques pour remplacement à bas coût, a marqué les esprits : la France s’est emparée du problème et imposé des minimums sociaux sur le secteur transmanche. Un an après l’entrée en vigueur de la Loi Le Gac, les Assises de l’Économie de la Mer furent l’occasion d’une table ronde, pour un premier bilan de ses conséquences.
Anne Legregeois, Adjointe au service des flottes et des marins à la DGAMPA, rappelle les trois éléments réglementés par la Loi Le Gac : le salaire horaire minimum, le rythme de repos des marins, et la documentation bord enregistrant le respect de ces minimums. « Nous ne pouvons pas aller au-delà, sans entraver la réglementation européenne sur le travail », explique-t-elle. La loi a été élaborée en coordination avec les instances européennes et britanniques : la Grande-Bretagne a inclus ces minimums dans son Seafarer’s Act, qui rentrera en vigueur ce 1er décembre.
Hormis deux armateurs, les acteurs du détroit se sont rapidement engagés à respecter ces points. Étienne Melliani, Directeur Général de DFDS France, y salue un accord multi-latéral qui dépasse le cadre concurrentiel. « Ce n’est pas une micro-mesure à l’échelle d’un détroit, mais bien plus ». Parmi les entreprises concernées par ces mesures figure aussi Eurotunnel : « nous sommes directement concernés par les affaires maritimes », décrit David Marteau, Directeur adjoint des affaires publiques Getlink-Eurotunnel. « En tant que société franco-britannique, nous suivons de toute façon un droit social harmonisé entre les deux socles ».
Les syndicats dénoncent la quasi-absence d’inspection. « En deux ans, seulement un contrôle a été effectué », rapporte Leila Mesli, coordinatrice CFE-CGC Marine de Brittany Ferries. « On a encore peu de résultats, il faut maintenir une pression si l’on ne veut pas créer un hub low cost ». L’assemblée est également interpelée par Frédéric Alpozzo, secrétaire général CGT de Corsica Linea : « nous avons besoin de plus d’actions pour défendre notre place et nos conditions de travail ». En Méditerranée, malgré le décret sur l’État d’accueil, il dénonce un nombre très réduit d’inspections et aucune visibilité sur les résultats de ces inspections. « Nos concurrents opèrent sous pavillon international, avec un contrat qui ne répond pas à nos standards ». Leila Mesli voit en la situation méditerranéenne un « Far West » : « il faut trouver des solutions pour faire appliquer ces standards ; c’est notre pavillon qui est en jeu. » Elle craint l’arrivée de nouveaux armements low cost en Méditerranée.
Étienne Melliani appelle à une coordination à l’échelle européenne. « Au sein de DFDS, nous appliquons déjà des standards communs. On peut voir la Loi Le Gac comme une première pierre à un édifice européen ». David Marteau rappelle le travail pour les conducteurs routiers : « on l’a fait sur la route, pourquoi pas sur l’eau ? ». Anne Legregeois rapporte un enthousiasme faible dans les instances européennes : « hormis la Belgique, on a vu peu de pays soutenir notre démarche ». Étienne Melliani y voit cependant une avancée progressive, dans la logique du droit du travail. « Si l’UE n’intègre pas le fait social, elle ne peut pas se construire ».
Mathieu BURNEL