Actualité MaritimeArmementsFlotte FrançaiseJeune Marine N°275

Le Bretagne tire sa révérence

Dernière traversée pour le doyen de Brittany Ferries

Le Bretagne quitte la flotte de Brittany Ferries. Ce week-end du 3 au 4 novembre, le navire effectuait son dernier aller-retour de Saint-Malo à Portsmouth. Une traversée émouvante, qui a réuni de nombreux membres d’équipages et autres admirateurs du navire, pour un bel au-revoir – tourné vers l’avenir.

Dimanche 3 novembre, 10h30. Alors que retentit sa puissante sirène, le Bretagne se décolle des ducs d’albe malouins. Sur l’aileron bâbord, ils sont quatre : Ronan Grimault et Olivier Raimbeaux, Commandants en titre, Jean-Marc Roué, Président de Brittany Ferries, et Joseph Hardouin, premier Commandant du navire. En passerelle, une dense assemblée s’est réunie, pour saluer ce dernier départ ; sur le pont extérieur, le bagad de l’association Bleuniadur joue avec émotion un au-revoir à Saint-Malo.

Le Bretagne conclut ainsi trente-cinq années d’exploitation sous les couleurs de Brittany Ferries. La silhouette du navire a marqué toute une génération, tant à bord qu’au port. « J’ai grandi devant ce navire » nous raconte Loïc, lieutenant navigation né à Saint-Malo. « C’est le premier que j’ai dessiné, quand j’étais enfant ! »

Le Bretagne en escale à Saint-Malo – ©JM

« Pour Brittany Ferries, ce navire a été un tournant » décrit Jean-Marc Roué. Lorsqu’il est lancé en 1989, le Bretagne est le premier navire neuf de Brittany Ferries. L’armement breton exploite alors plusieurs car-ferries d’occasion entre l’Angleterre et la France, de Caen à Roscoff : avec le Bretagne, il veut améliorer son service, l’adapter aux lignes longues. « On s’est appuyé sur le savoir-faire des Chantiers de l’Atlantique en matière de croisière, pour créer un cruise-ferry. » Brittany Ferries lance alors sa première ligne vers l’Espagne : de Plymouth à Santander, la traversée du golfe de Gascogne dure plus de 20 heures, selon les aléas de la météo. « En 1989, le Bretagne est arrivé sur le transmanche comme un OVNI. » Un OVNI qui va faire le succès et la réputation de la compagnie, par sa fiabilité et son confort. Brittany Ferries commence alors à renouveler sa flotte : en 1992 est livré le Barfleur pour la ligne de Cherbourg à Poole, en 1993 le Normandie pour la ligne de Caen-Ouistreham à Portsmouth. « le Bretagne a inspiré les navires qui suivront », analyse Joseph Hardouin. Lui-même le commandera pendant près de quinze années : d’abord entre l’Espagne et l’Angleterre, puis entre Saint-Malo et Portsmouth.

Dans le Raz Blanchard : la Pointe de la Hague vue du Bretagne – ©JM

La liaison entre la cité corsaire et l’Angleterre correspond au modèle de la croisière transmanche : alors que Poole est atteignable depuis Cherbourg en seulement 4 heures, il faut compter 8 à 12 heures pour rallier Portsmouth depuis Saint-Malo. De la France à l’Angleterre, le navire appareille de Saint-Malo le matin, pour une matinée entre les Îles anglo-normandes et le Cotentin. Il franchit le Raz Blanchard en milieu de journée, puis passe l’après-midi dans la Manche. Au printemps, il atteint Portsmouth au crépuscule, offrant un superbe panorama sur l’entrée du principal port militaire anglais. Au retour, le navire quitte l’Angleterre en début de soirée, pour une soirée dîner-spectacle telle qu’on la retrouve à bord des navires de croisière. Interrogé par une journaliste sur la durée de la traversée retour, le Commandant Grimault répond simplement que l’on prend son temps : « nos passagers viennent passer un agréable moment à bord, puis une bonne nuit. Il serait inutile d’arriver à 5 ou 6 heures le matin. »

Dernière arrivée à Portsmouth – ©JM

Nous sommes attendus en grandes pompes à Portsmouth : les remorqueurs nous accueillent de leurs jets d’eau, alors que plusieurs dizaines de curieux et passionnés de car-ferries nous saluent à l’entrée du port. Au poste à côté du nôtre, le Salamanca commence un concours de corne endiablé ! En passerelle l’on agite le drapeau breton ; sur son pont supérieur, Bye-Bye Bretagne est codé en pavillons.

Nous passons à peine une heure et demie à quai : le temps d’accueillir nos passagers pour le retour. Plus encore que l’aller, les passionnés et amoureux du navire sont très nombreux. Certains arborent un sweat-shirt orné d’une photo du Bretagne et des dates (mise en service – dernier voyage). « C’est un navire français sur une ligne unique ! », témoigne l’un d’entre eux. « Le Bretagne fait partie des navires qui ont une âme », analyse le Commandant Raimbeaux. « Il a marqué tous ceux qui sont venus à bord. On n’est pas pareil quand on embarque et quand on débarque de ce navire. »

Adieu au Bretagne par le Salamanca : BYE-BYE Bretagne, selon le Code International des Signaux – ©JM

À l’appareillage, le Salamanca nous salue une nouvelle fois en grandes pompes : il est suivi du Mont Saint Michel, que l’on rencontre devant la Tour Spinnaker. Pour les navires de Brittany Ferries, c’est peut-être la dernière rencontre avec le Bretagne, avec son équipage. « Notre équipage est particulièrement soudé », analyse le Commandant Raimbaux. « Même s’il change constamment, la cohésion est très forte. » Certains marins rejoindront le Saint-Malo, successeur du Bretagne : à commencer par les deux Commandants, déjà en lien avec le suivi du chantier. D’autres, en revanche, attendent leur affectation sur une autre ligne. Mais dans tous les cas, c’est une nouvelle aventure qui commence.

À bord du Bretagne : Jean-Marc Roué, Président de Brittany Ferries, entouré d’Olivier Raimbeaux et Ronan Grimault – ©JM

La traversée retour est avant tout, l’occasion de découvrir le futur Saint-Malo, remplaçant du Bretagne à partir de février 2025. Le Saint-Malo est un E-flexer, série développée par l’armement Stena avec les chantiers chinois CMI Jinling. Il sera le quatrième navire de ce type, après les Galicia, Salamanca et Santona. « Travailler avec des sisterships permet une beaucoup plus grande efficacité », analyse Erwann Gabriel, Directeur Flotte et Ports Groupe. « On partage les pièces, les connaissances. Chaque membre d’équipage a une connaissance globale de la flotte. » Pour Brittany Ferries, c’est un changement de cap majeur : du Bretagne à l’Armorique, chaque navire était jusqu’alors un prototype unique. Seuls les Cotentin et Armorique ont une coque similaire – même si le premier est un fréteur et le second un car-ferry classique. « On a eu un bon retour de nos équipages », rapporte Erwann Gabriel. « Stena est une entreprise très fiable, qui développe des modèles solides, bien conçus – en tenant compte des retours d’expérience. Les soucis rencontrés à bord du Galicia ont permis une simplification des suivants. »

Danses traditionnelles endiablées dans l’atrium du Bretagne, par l’Association Bleuniadur – ©JM

Le défi maintenant, est de retrouver l’ambiance du Bretagne à bord du Saint-Malo. Le nouveau navire reprendra de nombreux éléments de l’ancien, notamment la plupart des œuvres de Goudie, véritable maître-d’oeuvre des emménagements du Bretagne. « Goudie a fait du Bretagne un musée flottant, une lettre d’amour d’un Écossais tombé amoureux de la Bretagne », explique Jean-Marc Roué. « Le Saint-Malo sera comme le Bretagne, un ambassadeur de notre magnifique région. De par sa décoration, ses expositions, sa vie à bord… ». Nous profiterons d’un article ultérieur pour vous présenter ce futur navire.

Le Bretagne a atteint Saint-Malo au petit matin, sans encombre – hormis une épaisse couche de brume, ayant quelque peu déçu certains photographes. Au débarquement, plusieurs passagers ont essuyé quelques larmes d’émotion, le Commandant Joseph Hardouin confiant lui-même un moment bouleversant. Le Bretagne fait maintenant route vers Le Havre, en attendant sa nouvelle vie. Plusieurs rumeurs circulent sur un éventuel rachat – rendez-vous dans quelques semaines pour en savoir plus.

©JM
CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE

Nos abonnés lisent aussi...

Bouton retour en haut de la page