ÉnergieMarine marchande

Les réacteurs nucléaires pour la marine marchande : quelles options pour l’avenir ?

par Éloi Bouault

L’avenir de la marine marchande pourrait être radicalement transformé par l’adoption de réacteurs nucléaires comme méthode de propulsion. À une époque où la réduction des émissions de carbone et l’optimisation de l’efficacité énergétique sont des priorités mondiales, les réacteurs nucléaires offrent une alternative prometteuse. Tentons, dans cet article, d’examiner les différents types de réacteurs nucléaires pouvant être utilisés sur des navires marchands et de trouver des pistes pour déterminer lequel serait le plus adapté : les réacteurs à eau pressurisée (REP), les petits réacteurs modulaires (SMR), les réacteurs à neutrons rapides (RNR) et les réacteurs à sels fondus (RSF). Nous analyserons leur puissance, leur sûreté passive, leur gestion des déchets et leur viabilité économique pour déterminer lequel serait le plus adapté à la marine marchande.

N° 1 : le navire allemand à propulsion nucléaire OTTO HAHN (1968 – 1982 – 38 MWth) © DR

Une énergie au service de la marine

Dans le commerce maritime international, le besoin croissant d’une énergie propre et durable pousse les acteurs du secteur à explorer des solutions technologiques avancées (rotor Flettner, voiles, e-combustibles, …). Les réacteurs nucléaires, en dépit de leurs spécificités, se positionnent comme une option viable grâce à leur capacité à fournir en mer une puissance stable et très importante. Leur utilisation pourrait réduire la dépendance aux combustibles fossiles et minimiser les émissions de CO2, répondant ainsi aux exigences environnementales de plus en plus strictes.

Les types de réacteurs nucléaires et technologies

  1. Réacteurs à Eau Pressurisée (REP)

Les réacteurs à eau pressurisée (REP), largement déployés dans les centrales nucléaires terrestres et sur les sous-marins ou porte-avions, utilisent de l’eau sous haute pression comme caloporteur et modérateur afin d’éviter l’ébullition dans le circuit primaire. Ces réacteurs sont éprouvés, robustes, et bénéficient de décennies de retour d’expérience. Toutefois, dans leur forme conventionnelle, leur gabarit imposant, leur complexité d’intégration et leurs exigences de maintenance rendent leur embarquement difficile sur des navires civils. Par ailleurs, bien que la gestion des combustibles usés soit maîtrisée dans les installations à terre, l’adaptation de cette logistique au milieu maritime nécessiterait la mise en place de filières spécifiques, notamment si des combustibles spécifiques (à haute densité ou à longue durée de vie) étaient utilisés.

  1. Petits Réacteurs Modulaires (SMR)

Les petits réacteurs modulaires (SMR) désignent une approche renouvelée de la production d’énergie nucléaire, reposant sur la standardisation, la compacité et l’intégration en usine. Nombre d’entre eux sont basés sur la technologie REP, appliquée à une échelle réduite (puissances de 50 à 300 MW), avec des architectures simplifiées et souvent conçues pour une exploitation autonome de longue durée. Grâce à leur format modulaire, les SMR présentent des avantages d’implantation dans des environnements contraints, comme les navires ou les sites isolés, et sont dotés de systèmes de sûreté passive limitant les risques en cas de défaillance. Certains projets explorent également des filières alternatives, comme les combustibles au thorium ou les cœurs à très longue durée de vie, pouvant atteindre 10 à 15 ans sans rechargement.

Cependant, dans leur grande majorité, les SMR actuellement envisagés pour le maritime utilisent encore l’uranium enrichi comme combustible, et génèrent donc des sous-produits similaires aux REP conventionnels, notamment du plutonium. Par conséquent, ces réacteurs ne suppriment pas les enjeux liés à la prolifération nucléaire ou à la gestion des déchets, même s’ils en modifient l’échelle et les modalités. Le développement de ces technologies devra donc s’accompagner d’un cadre rigoureux en matière de sûreté, de sécurité et de gouvernance internationale.

  1. Réacteurs à Neutrons Rapides (RNR)

Les réacteurs à neutrons rapides, capables de fonctionner avec des combustibles tels que l’uranium ou le plutonium, sont connus pour leur efficacité et leur capacité à recycler le combustible usé. Cependant, leur complexité technique et les exigences de sécurité élevées (le plutonium est une matière encore plus surveillée que l’uranium) peuvent rendre leur mise en œuvre sur des navires marchands délicate. Bien qu’ils produisent moins de déchets à long terme, leur coût initial, les risques associés et la complexité technique font que ce type de chaufferie n’est pas pour l’instant la technologie privilégiée pour alimenter en électricité les navires de demain.

  1. Réacteurs à Sels Fondus (RSF)

Encore au stade de développement, les réacteurs à sels fondus suscitent un intérêt croissant dans le domaine maritime en raison de leurs caractéristiques uniques. Fonctionnant avec des sels liquides servant à la fois de caloporteur et de combustible, ils permettent d’atteindre des températures élevées tout en conservant un système à pression atmosphérique, ce qui simplifie l’architecture du réacteur. Leur sécurité intrinsèque, notamment la capacité à se vidanger automatiquement en cas de surchauffe, en fait une solution particulièrement robuste. De plus, les RSF présentent un potentiel de réduction significative des déchets nucléaires à vie longue et une flexibilité accrue dans l’utilisation du combustible, des atouts décisifs pour l’environnement marin et la logistique embarquée. Autant d’arguments qui en font une des pistes les plus sérieuses pour une propulsion nucléaire durable en mer.

Le projet de navire à propulsion nucléaire de Jiangnan Shipyard (Chine). © DR

Évaluation des critères de sélection

  1. Sûreté passive et gestion des déchets

La sûreté passive est un critère essentiel dans le choix d’un réacteur nucléaire pour les navires marchands, car elle permet de minimiser les risques de contamination radiologique. Les systèmes de sûreté passive fonctionnent sans intervention humaine, ce qui est crucial en mer où les conditions peuvent être imprévisibles. Ainsi même en cas de faute de l’opérateur ou de manque d’analyse de celui-ci, le système doit pouvoir se mettre en sécurité seul pour éviter toute catastrophe. En parallèle, la gestion des déchets est un autre facteur critique. Les réacteurs capables de recycler le combustible ou de réduire la quantité de déchets produits, comme les réacteurs à neutrons rapides et à sels fondus, offrent des avantages environnementaux significatifs. Cependant, leur mise en œuvre sur des navires présente des défis techniques et logistiques complexes.

  1. Puissance et adaptabilité

La puissance nécessaire pour un navire marchand dépend de sa taille et de son rôle, ce qui rend l’adaptabilité de la technologie nucléaire choisie cruciale. Les réacteurs doivent être capables de fournir une puissance suffisante tout en s’adaptant aux contraintes d’espace, de poids et d’encombrement des navires. Les SMR, avec leur flexibilité et leur capacité à fournir une puissance adaptée, répondent bien à ces exigences. En revanche, les réacteurs plus volumineux, comme les REP, peuvent poser des problèmes d’intégration. Les technologies innovantes comme les RNR et les MSR nécessitent encore de plus grandes avancées technologiques et réglementaires pour être pleinement viables.

  1. Investissement et viabilité économique

L’investissement initial et la viabilité économique à long terme sont des facteurs déterminants dans le choix d’une technologie nucléaire. Pour donner un ordre d’idée de l’investissement, on peut citer Loïc Rocard, PDG de TechnicAtome), déclarant durant les Assises de la mer de novembre 2024, lors de la discussion avec Pierre Éric Pommellet (PDG de Naval Group), que le coût d’une chaufferie nucléaire égalerait le coût du navire. Or, les coûts de construction, d’exploitation et de maintenance doivent être équilibrés avec les bénéfices économiques potentiels. Les SMR sont souvent considérés comme économiquement viables en raison de leur coût initial réduit et de leur potentiel pour une construction modulaire, permettant des économies d’échelle. En revanche, les technologies en développement, comme les RNR et les MSR, peuvent entraîner des coûts plus élevés à court terme, mais pourraient offrir des avantages économiques à long terme grâce à leur efficacité et à leur capacité à recycler le combustible.

Un brise-glace russe à propulsion nucléaire en Arctique. © DR

Conclusion : Vers un futur nucléaire pour la marine marchande?

L’étude des différentes technologies de réacteurs nucléaires applicables à la marine marchande révèle un éventail de solutions aux caractéristiques diverses, chacune avec ses promesses et ses contraintes. Des REP bien connus pour leur robustesse, aux SMR qui gagnent en maturité, en passant par les RNR et les RSF qui ouvrent des perspectives encore peu explorées, la propulsion nucléaire offre aujourd’hui un champ de réflexion stratégique pour les décennies à venir.

Si aucune technologie ne s’impose encore comme une évidence, toutes permettent d’alimenter un débat nécessaire sur l’avenir énergétique du transport maritime. La réussite de cette transition dépendra de plusieurs facteurs : l’évolution des réglementations internationales, la maturité technologique des solutions proposées, leur acceptabilité sociale, et bien sûr, leur viabilité économique.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que le besoin d’une propulsion plus propre, plus autonome et moins dépendante des énergies fossiles devient pressant. Dans ce contexte, le nucléaire, sous ses différentes formes, ne peut plus être ignoré. Il appartient désormais aux ingénieurs, aux armateurs, aux législateurs et à la société tout entière, d’évaluer si et comment cette énergie peut, à terme, prendre sa place au cœur de la flotte marchande mondiale.

Dans ce panorama, une évidence technique commence cependant à se dessiner : seuls les formats de SMR (Small Modular Reactors) semblent véritablement adaptés aux contraintes spécifiques du transport maritime. Leur gamme de puissance, généralement comprise entre 10 et 300 MW électriques, correspond aux besoins énergétiques d’un grand navire marchand. Leur conception modulaire, standardisée et pensée pour une exploitation sûre et durable renforce leur adéquation avec l’environnement marin, où l’espace est compté, où la maintenance doit être rationalisée, et où la fiabilité est primordiale.

Reste la question cruciale du choix du procédé pour ces SMR embarqués. Faut-il s’en remettre à la technologie éprouvée des REP (réacteurs à eau pressurisée), avec leur historique de fonctionnement solide mais leurs contraintes de maintenance et de sûreté bien connues ? Doit-on parier sur les RNR (réacteurs rapides), qui offrent une autonomie de combustible accrue et une meilleure valorisation des ressources fissiles, mais dont l’application navale reste encore expérimentale ? Ou bien faut-il envisager l’intégration de réacteurs à sels fondus, encore au stade de développement, mais porteurs d’avancées majeures en matière de sûreté intrinsèque et de compacité ?

Ces questions structurent déjà les réflexions industrielles et académiques sur le futur du nucléaire marin. Elles dessinent aussi, en filigrane, le profil des navires de commerce du milieu du XXIe siècle, plus propres, plus performants, mais aussi plus complexes à concevoir, à certifier et à exploiter.


 

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