Organisé par le Propeller Club du Havre et le Club Logistique du Havre, dans les locaux de la CCI Seine Estuaire, ce colloque a réuni une centaine de personnes pour échanger sur le rôle clé de la voile dans la transition énergétique du transport maritime. Animés par Yann ALIX, délégué général de la Fondation SEFACIL, les débats ont essayé d’apporter un éclairage nouveau au travers d’exemples concrets.
Roberto RIVAS HERMANN, professeur à l’Université de Bødø, Norvège, a présenté la situation actuelle du transport vélique au niveau mondial et les pistes possibles de développement. Le transport maritime c’est plus de 12 milliards de tonnes transportées par environ 105 000 navires, dont seulement une petite centaine sont propulsés en partie par des systèmes véliques. La trajectoire imposée par l’OMI pour atteindre le seuil de zéro émission en 2050 semble impossible à atteindre aujourd’hui et dépend en grande majorité de la maturité et de la disponibilité qu’atteindront les carburants alternatifs. Actuellement, 6% de la flotte mondiale est adaptée aux carburants alternatifs et 45% des navires en commande le seront.
Le vent bénéficie d’un imaginaire maritime puissant dans la population. Seule solution disponible actuellement sur l’étagère pour remplacer les carburants fossiles, elle demeure aujourd’hui très marginale dans les choix de propulsion. Pour Roberto RIVAS HERMANN, les solutions véliques seront pertinentes dans le cas de certains retrofits de navires, ou combinées avec des solutions d’E-Fuel+ batteries. Sur la centaine de navires en service déjà assistés par la force du vent, 40% sont équipés de rotors, 43% d’ailes fixes, 4% de « kites » et 13% d’autres systèmes.
Madame Diana MESA, cofondatrice et DG de l’armement TOWT, a présenté l’aventure de cette jeune compagnie née en 2011, qui est la première à disposer d’une flotte de navires à voile homogène. Les deux voiliers de 80 mètres actuellement en opération seront rejoints d’ici 2027 par six autres unités actuellement en construction dans les chantiers Piriou au Vietnam. Les 40 marins sont à 90% français, recrutés en fonction de leur parcours personnel, animés d’une passion particulière pour la voile. Ces marins se sont adaptés sans aucun problème ni formation particulière à la propulsion vélique. La création d’un module de formation vélique par l’ENSM ne semble pas nécessaire dans l’immédiat.
La principale réussite de cette jeune compagnie est d’avoir trouvé le financement de ces huit unités, au travers de deux campagnes de financement participatif à hauteur de 9,5 millions € et surtout d’avoir convaincu des fonds à impact et des investisseurs au travers d’un montage de crédit-bail fiscal.

Victor GIBON, directeur de la filiale guyanaise de Jifmar, a présenté le projet Canopée, navire roulier de 121 mètres, propulsé par quatre ailes fixes, pour assurer le transport des éléments de la fusée Ariane 6 entre l’Europe et le pas de tir de Kourou en Guyane française. Jifmar est un armement récent qui opère une flotte de 80 navires, principalement de servitude pour l’industrie off-shore (pétrole et éolien). Associés avec le cabinet Zephyr&Borée dans la Coentreprise Alizée, ils ont remporté l’appel d’offres d’Ariane Espace en 2019. Construit aux Pays-Bas, le navire a été équipé de voiles réalisées par Océan Winds sur un design du cabinet d’architectes VPLP.
Pour Victor GIBON, la clé de la réussite de ce projet a été la rencontre d’hommes motivés, notamment celle du directeur du programme Ariane 6 qui a fait une confiance totale au projet Canopée. Les performances sont au rendez-vous avec des vitesses de plus de 11 nœuds sous voiles uniquement et des économies allant jusqu’à 30% sur certaines traversées. Canopée est un navire roulier léger, transportant une cargaison volumineuse à forte valeur ajoutée, mais d’un poids inférieur à 1000 tonnes. Il n’y a pas de sister-ship envisagé pour l’instant.

Madame Nathalie PINCON-DANIEL, directrice commerciale chez Seafrigo, logisticien du froid, a présenté le chalenge compliqué qui consiste à convaincre des chargeurs d’utiliser les navires de TOWT pour exporter le fret à température ambiante vers les États-Unis. C’est encore plus difficile dans le sens États-Unis-France. Trop faibles volumes et surcoûts ne sont pas compensés par un « transit-time » plus favorable.
La seconde table ronde a abordé le sujet de l’accueil dans les ports de ces navires véliques. Il n’y aucun problème particulier en dehors de la hauteur des mats en cas de passage sous un ouvrage. Les ports secondaires ont l’opportunité d’attirer ces trafics marginaux à la condition de mettre à disposition un système d’information portuaire performant facilitant le traitement numérique des formalités de douanes.

La conclusion du colloque est revenue à Madame Agnès FIRMIN-LE BODO, députée, ancienne ministre de la Santé, à l’origine de la proposition de loi sur le transport vélique qui devrait être débattue en décembre 2025 à l’Assemblée nationale. Maîtrisant bien son sujet, elle a insisté sur la nécessité d’accompagner tous les acteurs pour que le secteur atteigne un seuil minimum d’industrialisation. Cela passe plus par une démonstration de la fiabilité de la filière que par les volumes susceptibles d’être transportés. Il va falloir trouver le bon modèle économique.
Les travaux préparatoires à ce projet de loi ont montré qu’il est difficile de mettre d’accord les acteurs du vélique, ne serait-ce que sur la définition même du transport vélique, sur les certificats d’énergie et sur la fiscalité. Il faut être capable de construire une filière sans subventions, excepté l’exonération fiscale pour les marins des jeunes compagnies du secteur.
Le transport vélique est encore à l’état embryonnaire avec une perspective limitée à un marché de niches qui mérite de se structurer autour de projets à impacts forts avec une communication transparente et objective.