CroisièreFlotte FrançaiseJeune Marine N°269

Latitude Blanche : faire vivre plutôt que démolir

Arrêt technique du Polarfront cet hiver : détail des travaux

Avant-dernier volet de notre dossier « transition énergétique et nouveaux armements », nous vous présentons cette semaine les détails du rétrofit du POLARFRONT, le navire d’expédition du tout jeune armement Latitude Blanche qui va subir une rénovation de la cale au mât, en passant par une remotorisation complète. Revue plus détaillée de ces travaux, programmés cet hiver aux Chantiers Piriou, d’un armement qui a choisi de rénover au lieu de passer par la case construction neuve.

Fondée en 2017, la compagnie Latitude Blanche exploite le Polarfront pour des croisières en Arctique. Construit en 1976 en Norvège, il a été exploité  pour des relevés météo jusqu’à sa conversion en navire d’expédition en 2017. Long de 54m, il affiche un tonnage de 927 UMS… une taille unique pour un navire d’expédition ! Avec une capacité unique aussi, puisqu’il n’accueille que 12 passagers. Alors que la croisière d’expédition connaît une expansion sans précédent, une dizaine de paquebots destinés à la navigation polaire ont été mis en service ces dernières années : leur capacité semble se stabiliser entre 200 et 500 passagers.

À bord du Polarfront – ©Latitude Blanche

« Les passagers trouvent très vite leurs repères à bord » explique Yann Le Bellec, Directeur de Latitude Blanche. « Ils se sentent en sécurité, le Polarfront inspire une confiance. » La jeune compagnie a trouvé sa clientèle et le Polarfront a séduit ses passagers : les repeaters [passagers effectuant plusieurs croisières sur le même navire] sont de plus en plus nombreux, certains embarquant désormais plusieurs fois par an.

Le choix d’un navire assez ancien avait pu surprendre au lancement de la compagnie : au-delà de l’âge, c’est aussi un navire historique. Le Polarfront est le plus ancien navire-météo norvégien. Il a principalement été utilisé par la station Mike (66°N – 002°E), considérée comme la plus mouvementée du globe. Un navire confortable à la machine solide, qui ne craint pas la houle, qui après rénovation offre une atmosphère unique. « Ce navire a une âme » décrit Yann Le Bellec.

Moteur principal du Polarfront – ©Latitude Blanche

Mais qui dit machine solide ne dit pas forcément propulsion adaptée. Un paquebot d’expédition exploité sur des itinéraires courts n’a pas besoin d’un moteur unique à très haute puissance… Encore moins d’un gros deux-temps dont l’âge rend de plus en plus difficile la fourniture en pièces. Le Polarfront passera l’hiver prochain aux chantiers Piriou de Concarneau. Il y subira un arrêt technique ambitieux qui comprend un remplacement de tout l’appareil énergique, propulsion comprise.

L’hélice actuelle du Polarfront, à pales orientables

Parce que ce grand moteur ne correspond pas à l’exploitation d’un navire d’expédition : manœuvres régulières, régime variables, petite vitesse… Parce qu’un moteur en sous-régime permanent ne peut pas atteindre un bon rendement. À 9 nœuds, les études préalables suggèrent une baisse de 30% de la puissance à fournir. Le processus de démarrage demande actuellement environ 40 minutes, tandis qu’en escale le navire s’appuie sur un groupe électrogène qui tourne à environ 10% de sa charge…Latitude Blanche décrit une architecture d’une époque où le pétrole ne manquait pas et où les préoccupations environnementales n’étaient pas les mêmes. Ainsi le système ne dispose-t-il d’aucun système de récupération de chaleur ; ni bien sûr de système de nettoyage des fumées.

 

Première étape, appareil propulsif : le moteur 2T va laisser place à trois diesel-générateurs et deux moteurs électriques. De 1100 kW, la puissance globale sera réduite à 710kW. L’hélice à pales orientables actuelle (et sa tuyère) sera remplacée par une hélice à 5 pales fixes.

Graphique : puissance moteur nécessaire en fonction de la vitesse du navire. En rouge actuellement, en bleu après remotorisation

Il s’agit donc tant de moderniser le système que de l’adapter à son exploitation actuelle :

  • fractionner la production d’énergie, pour l’adapter aux besoins et ne pas tourner à vide.
  • ce fractionnement permettant aussi d’assurer une redondance, en cas de panne d’un générateur.
  • s’adapter aux besoins minimes en escale, via un diesel-générateur de faible puissance et un système pour courant de quai.
  • récupération de la chaleur de l’installation pour le chauffage du navire.
  • mise en place d’un pot catalytique et d’un filtre à particules.

« Il y a quelque temps, ces considérations nous auraient invités à déconstruire POLARFRONT et en construire un autre. »  La question est d’une part plus délicate pour remplacer un navire tel que le Polarfront, d’une capacité presque 20 fois inférieure à la majorité des navires similaires. « Un navire neuf avec ce niveau de service et de confort est un yacht » explique Yann Le Bellec. « Construire un yacht d’expédition est très cher… il nous faudrait revoir nos tarifs et l’on n’attire plus la même clientèle. »

©Ledoux – Latitude Blanche

Mais elle interroge également sur le cycle de vie des navires. La coque du Polarfront est en excellent état : pourquoi l’envoyer à la ferraille et fabriquer un nouveau ? « La construction et la déconstruction sont extrêmement polluants. La sidérurgie est gourmande en énergie, et son impact carbone est très important » analyse Yann Le Bellec. Avec ce nouveau système énergique, le Polarfront voit vraisemblablement son exploitation prolongée de plusieurs décennies. « Il y a évidemment un attachement sentimental envers le Polarfront et aussi historique. Pendant dix ans, il a fait des relevés de l’évolution du taux de CO2 dans l’atmosphère pour nous permettre de comprendre le réchauffement climatique. » Yann Le Bellec conclut : « ce navire historique est en excellent état : qui suis-je pour le démolir ? »

Une chose courante dans le monde de la croisière du reste. Rappelons que le doyen des paquebots aujourd’hui, Azores (ex-Stockholm), a été construit en 1948 et remanié plusieurs fois, remotorisé ; sa silhouette étonnant aujourd’hui le grand public avec sa coque rivetée et sa tonture. « Allonger la durée de vie des navires existant est plus que jamais d’actualité quand cela est techniquement possible et qu’un marché est présent pour le navire en question » conclut Yann Le Bellec.

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