Le parcours des jeunes officiers est depuis quelques années très particulier : nouveaux armements, nouvelles activités, renouveau des autres activités, sans oublier la crise sanitaire ou l’explosion des immatriculations sous registre international. Dans ce nouveau cadre il nous a semblé intérressant de faire le point avec un officier issue de la nouvelle filière ingénieur et qui a fait le choix d’un armement au premier registre bien connu de tous : Brittany Ferries. La rédaction a donc recontré Charles MADEC, actuellement Officier Extérieur sur le Pont-Aven.
Jeune Marine : Bonjour Charles, merci de nous recevoir pour parler de toi, de ton cursus et de tes ambitions professionnelles. Nous sommes très intéressés par ton histoire, car tu es sorti de l’ENSM en 2016, tu fais partie des premières promotions d’ingénieurs et 10 ans après ton entrée à l’école tu navigues toujours : peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisi la Marine Marchande et nous présenter ton parcours ?
Charles Madec : J’ai grandi à Locmariaquer jusqu’à mes 17 ans, une petite ville qui marque l’entrée du Golfe du Morbihan. Mes parents y étaient ostréiculteurs, j’ai donc littéralement baigné dans le milieu de la mer depuis mon enfance. Ils ont côtoyé de nombreux navigants. En grandissant puis en faisant leur rencontre, ce métier m’attirait de plus en plus. Chacune de ces personnes a vécu des anecdotes assez incroyables. Lorsqu’on entend parler d’escales extraordinaires partout dans le monde, d’équipages hétéroclites aux mœurs différentes, ou encore de devoir étudier les courants / vents afin de suivre la meilleure route, cela rend séduisant la navigation. C’est donc assez naturellement que j’ai décidé de passer le concours d’entrée à l’ENSM.
Mon parcours professionnel est jalonné de plusieurs expériences toutes très enrichissantes. J’ai commencé en tant qu’élève puis jeune officier sur des VLCC. Une navigation au long cours, très formatrice d’un point de vue technique, mais difficile de par la durée des embarquements. Après quelques années j’ai décidé de m’orienter vers les ferries, choix motivé il est vrai par un rythme qui facilite une vie sociale moins décousue. Très rapidement j’ai pu m’apercevoir que l’aspect technique n’y est pas moins poussé qu’au long cours. Certes, les navires sont moins isolés et donc peuvent bénéficier plus facilement d’une intervention extérieure, mais les ferries sont dotés de tellement d’équipements que le défi y est tout aussi relevé.
Jeune Marine : Tu étais effectivement en pleine ascension professionnelle lors de la crise COVID, mais cette crise ne t’a ni empêché de naviguer ni empêché de progresser rapidement au poste de second capitaine : que t’ont apporté tes différentes expériences et pourquoi être revenu chez Brittany Ferries ?
Charles Madec : En effet les conséquences de la crise COVID ont fait que j’ai dû par la force des choses, chercher du travail dans d’autres armements. A l’été 2020, j’ai eu une petite expérience de 3 marées d’une semaine sur un sablier qui transitait entre les Sables-d’Olonne et Brest. Mais ma volonté était de naviguer sur les ferries, et donc, lorsque j’ai eu l’opportunité d’intégrer une compagnie qui œuvre en Méditerranée, j’ai sauté le pas pour y rester 3 ans, chose absolument pas prévue initialement ! J’en profite pour affirmer la chance que notre métier nous offre : d’une part au sein d’un même navire la polyvalence nous permet d’exercer des métiers très différents (je parle de la différence pont/machine) et d’autre part, la multitude de types de navires intrinsèquement différents font que presque chaque marin trouvera ce qui lui correspondra le mieux. Comme on peut s’en douter, il y a énormément de différences à travailler sur un sablier ou sur un VLCC. Peu d’emplois à terre offrent une telle diversité, et à mon sens, cela en représente une force.
J’ai toujours gardé l’envie de revenir chez Brittany Ferries, mais la crise ne s’est pas résorbée aussi vite que je l’aurais espéré. De plus, l’incertitude des confinements à répétition font que je suis resté dans le sud jusqu’à devenir Second Capitaine pendant plus d’un an. Ce fut une navigation extrêmement stimulante, et tellement enrichissante pour moi. Mais l’appel de la maison était devenu trop fort, et c’est finalement un peu sur un coup de tête que je suis revenu en terre bretonne.
Jeune Marine : Effectivement l’armement breton propose un éventail de postes et une diversité de destinations importantes, tu es aujourd’hui majoritairement à la machine, à un poste d’Extérieur, poste que je connais très bien et que j’ai également beaucoup apprécié, peux-tu nous présenter ses particularités et ce qui te plaît tant à cette fonction ?
Charles Madec : Le poste d’Extérieur est vraiment particulier. C’est le poste en machine qui représente toutes les contraintes qu’un Ro-Pax peut engendrer. Les enjeux y sont tout autant vitaux que ceux relatifs à un service de 3e ou 4e mécanicien pour l’exploitation commerciale du navire. Quelqu’un qui viendrait d’un cargo pourrait croire que la climatisation, les toilettes sous vide, la production d’eau chaude sanitaire, le bon fonctionnement des chambres froides ou des équipements de la cuisine sont secondaires face à un moteur principal ou un groupe électrogène qui ne lance pas. Mais le navire sur lequel je navigue peut accueillir plus de 2000 passagers qui ont chacun payé leur billet. Nous cherchons à offrir une expérience client de la meilleure qualité qui soit, et donc, les enjeux de satisfaction sont très importants. Ce qui me plaît beaucoup dans cette fonction, c’est que je suis en contact quotidien avec tous les autres services à bord : le pont et l’hôtellerie. Mes missions sont donc très variées. De plus, je collabore en permanence avec d’autres collègues, comme les électriciens, le bosco, le Second Capitaine et bien sûr le Second et le Chef Mécanicien. Nous apprenons tous les uns des autres et je pense que c’est à ce poste que cela se vérifie le plus.
Jeune Marine : Tu navigues aujourd’hui à la machine, les enjeux de décarbonation auront de sérieux impacts sur les dispositifs embarqués pour assurer cette évolution, comment perçois-tu ce challenge : stimulant ou contraignant ? Le diplôme d’ingénieur sera-t-il pour toi un atout supplémentaire pour assurer cette transition ?
Charles Madec : A bord nous avons coutume de dire en riant que nous avons 20 ans de retard technologique par rapport à l’industrie terrestre. Bien sûr cela est exagéré, mais je pense que la réglementation et les contraintes qu’elle impose vont beaucoup trop vite par rapport à la réactivité que peut avoir un armement à y répondre. Retrofitter des installations comme les nôtres afin de répondre aux nouvelles normes environnementales toujours plus drastiques me paraît presque impossible. Je ne connais pas tous les tenants et aboutissants car cela n’est pas de mon domaine, mais les sommes à investir et les pertes d’exploitation doivent être, je suppose, colossales. Prenons l’exemple des scrubbers qui, au début de la dernière décennie, étaient la solution à adopter afin de répondre aux critères environnementaux. Leur installation a mobilisé énormément de moyens techniques et financiers. Mais demain sûrement, avec une nouvelle norme, ils seront déjà caducs. Les armements auraient-ils la capacité à les supprimer et réinvestir dans une nouvelle technologie ? Je perçois donc ce challenge plutôt comme contraignant si je le regarde cela à travers le prisme de mon travail, mais inévitable et nécessaire en me plaçant du coté citoyen. L’incertitude sur la vitesse de l’évolution des normes fait que ce défi est très difficile à anticiper.
Concernant le diplôme d’ingénieur, je ne pense pas qu’il soit un atout dans cette transition. A mes yeux, il est un atout pour la reconversion du marin qui en jouit. A mon sens, on ne peut pas incomber la mission de la transition énergétique au marin. Nous sommes les opérateurs d’un système complexe qui a été conçu en amont, en chantier, via des ingénieurs dont c’est le métier. Bien sûr que nous faisons de « l’amélioratif » sur nos équipements et que nous cherchons toujours à baisser notre consommation, mais opérer sur de telles installations avec toutes les autres contraintes réglementaires que nous devons respecter (MLC, SOLAS, ISM, ISPS, IMDG, etc…) font qu’il faut regarder les enjeux de cette transition avec l’ensemble des éléments réglementaires, dont le millefeuille ne cesse de s’étoffer. Néanmoins, si de nouveaux systèmes encore inconnus arrivent à bord de nos navires, je suis persuadé que nous arriverons à les maîtriser. Une des plus grandes forces de notre métier est notre adaptabilité et notre capacité de « touche à tout ».
Jeune Marine : Brittany Ferries est un des armements français proposant des parcours de carrière complets, au pont, à la machine, à terre, comment te vois-tu évoluer au sein de ce groupe ?
Charles Madec : Je n’ai jamais été autant épanoui professionnellement qu’aujourd’hui en naviguant chez Brittany Ferries. Je me projette donc à long terme dans cette compagnie, et j’espère qu’elle continuera de prospérer bien après moi pour que d’autres marins puissent s’y plaire à leur tour.
Jeune Marine : Les priorités de la vie personnelle évoluent beaucoup aux environs de ton âge, est-ce un critère qui compte également beaucoup pour toi, ou le rythme de 7/7 te permet-il de choisir sereinement de rester naviguer ou de te sédentariser sans trop t’occuper des conséquences familiales étant régulièrement à la maison ?
Charles Madec : Le rythme 7/7 permet de lier la vie à terre avec les embarquements sans trop de difficultés. Le planning est connu bien en avance, nous pouvons donc nous organiser afin de mener nos activités avec peu de contraintes. Comme je le disais plus haut, ce rythme est pour moi très important, ayant connu l’incertitude des dates d’embarquements ou de débarquements. De plus, pour celui ou celle qui veut avoir des activités sportives ou culturelles régulières, ce rythme le permet. A mes yeux cela fait partie d’une des forces de Brittany Ferries que de proposer ce type de navigation.