Jeune Marine a eu le plaisir de recevoir le nouveau Président de la Fédération Française des Pilotes Maritimes (FFPM) : André GAILLARD. Nous avions découvert André dans nos pages en 2021 pour nous présenter sa station niçoise, le revoici aujourd’hui dans les plus hautes fonctions du pilotage français.
Aymeric AVISSE : Bonjour André GAILLARD, merci de nous recevoir pour cet entretien qui a pour but de te présenter dans tes nouvelles fonctions de Président de la FFPM. Avant de rentrer dans le cœur sur sujet, pourrais-tu nous présenter ton parcours depuis ton entrée à l’école de Marseille en 1991 dans le cursus académique C1NM ?
André GAILLARD : Bonjour Aymeric, tout d’abord un grand merci à Jeune Marine qui s’attache régulièrement à mettre en lumière de nombreux métiers liés à la mer, comme celui de pilote maritime.
J’ai en effet intégré « l’Hydro » de Marseille en 1991. Après avoir navigué principalement sur des navires à passagers (ferries et croisière), je suis devenu pilote des ports de Marseille-Fos en 2003 puis de Nice-Cannes-Villefranche en 2008. Président de la station de Nice de 2015 à 2020 et de l’Union Maritime 06 (association qui regroupe les professionnels du monde maritime local) de 2018 à 2020, j’ai commencé à m’intéresser davantage aux relations entre les professionnels du port et les élus, tout en entretenant un lien fort avec notre administration de tutelle. J’ai été élu secrétaire général de la FFPM en 2021 puis président de cette même fédération en mai 2024. J’ai aussi eu l’opportunité d’être admis à la session nationale d’auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de la Défense Nationale) en 2022-2023, dans la majeure « enjeux et stratégies maritimes ». Cette formation enrichissante m’a permis d’acquérir des méthodes innovantes de réflexion stratégique très utiles pour appréhender les enjeux auxquels les pilotes maritimes seront confrontés : l’impact de l’IA dans les métiers du maritime, les navires autonomes, le guidage à distance, la décarbonation du secteur, l’évolution des règlementations, la gestion des risques, etc.
Enfin, je ne suis pas fils de marin et tiens à préciser que cette profession est ouverte à toutes et tous. Tous les officiers de la marine marchande ont le même parcours (bac scientifique + 5 années d’études dans une école de la marine marchande) et sont donc capables de préparer et de réussir un concours de pilotage. Les candidats sont préparés par des pilotes expérimentés, ce qui permet non seulement d’avoir des concours de haut niveau, mais aussi que les nouveaux pilotes nommés soient très bien formés et rapidement opérationnels. Cette démarche de formation initiale poussée, c’est donc du gagnant-gagnant pour la station de pilotage, mais aussi pour les futurs pilotes. Aussi, j’en profite pour rappeler que plus de la moitié des 330 pilotes maritimes français vont partir à la retraite dans les 8-10 prochaines années, nous entrons donc dans une période de fort recrutement. Le pilotage maritime est une profession très exigeante mais c’est aussi un métier valorisant, varié et utile puisque près de 90% des marchandises qui sont transportées dans le monde passent par la mer ou le fleuve. Les pilotes sont fiers d’exercer ce métier et je pense que tous les officiers navigants devraient se poser la question d’embrasser cette profession.
Aymeric AVISSE : Tu as été élu à la présidence de la FFPM le mois dernier, pour autant la Fédération est déjà une institution que tu connais déjà bien puisque tu en étais jusqu’alors le Secrétaire Général : que doit-on retenir de ton action passée en tant que Secrétaire Général ?
André GAILLARD : Voici une liste non exhaustive des actions les plus marquantes que nous avons menées avec Henry Caubrière (le président sortant) : création d’un CIRP (Critical Incident Response Program) pour les pilotes maritimes avec l’aide du CIRP d’Air France et du CRAPEM (Centre Ressource d’Aide Psychologique en Mer), il s’agit d’un dispositif d’écoute de pair à pair pour évaluer et réduire le syndrome de stress post traumatique en cas d’incident à bord d’un navire. Le but est de limiter le nombre d’arrêts maladie et de permettre aux pilotes d’assurer toujours un service aux navires de très grande qualité.
Nous avons aussi réalisé une étude d’accidentologie des transferts de pilote qui a abouti à la réalisation d’un film qui contribue à sensibiliser les nouveaux pilotes et les équipages des bateaux-pilotes dans le but de sensibiliser aux risques, partager les bonnes pratiques et donc limiter les accidents et leurs conséquences.
Nous avons mis en place des conventions pour les stations du Tréport et de St-Pierre-et-Miquelon (les deux seules stations françaises où il y a un seul pilote) dans le but d’assurer la continuité de la mission de service public à laquelle les pilotes sont soumis sur toutes les façades maritimes.
Nous avons mis à jour la convention qui permet aux inspecteurs des Affaires maritimes d’être mis à bord des navires au mouillage par les stations de pilotage en France métropolitaine mais aussi dans les outremers, car les pilotes sont toujours au service de l’Administration.
Enfin, nous sommes en train de mettre en place une formation spécialisée pour les 20 pilotes qui sont instructeurs dans les 5 simulateurs de manœuvre de France dans le but d’harmoniser nos pratiques en matière de formation. Nous appliquons le principe de l’amélioration continue puisque la Fédération et les stations de pilotage sont certifiées ISO9001. Nous réalisons plus de 100.000 manœuvres par an et avons un taux d’incident inférieur à 0,03% mais souhaitons être encore meilleurs demain qu’aujourd’hui, pour le bénéfice des armateurs et des places portuaires.
Aymeric AVISSE : La Présidence de la FFPM est un grand honneur mais aussi de grandes responsabilités : quel est ton programme et/ou as-tu des sujets qui te tiennent à cœur dans la représentation de tes pairs ?
André GAILLARD : Il faut d’abord rappeler que la FFPM a un Conseil d’Administration qui est composé de 14 membres. C’est lui qui fixe les objectifs et la stratégie, l’équipe fédérale (le président, le secrétaire général, 2 juristes et une secrétaire de direction) joue la partition.
Le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui est d’abord celui de la Nouvelle-Calédonie : nos 14 collègues vivent des moments difficiles et ils ont besoin de notre soutien inconditionnel. Rappelons-nous que la France possède la 2e ZEE la plus importante au niveau mondial et que c’est à 97% grâce aux territoires d’outremer.
Nous envisageons aussi des actions de sensibilisation à la sûreté qui seront effectuées en coopération avec la Gendarmerie Maritime puisque depuis juin 2020 les pilotes ont aussi un devoir de signalement en matière de sûreté maritime et portuaire. Les pilotes maritimes s’engagent dans la défense du territoire car le risque zéro en matière de terrorisme n’existe pas, nous avons donc un rôle pluriel et renforcé à travers notre devoir de signalement.
Enfin, nous nous sommes engagés dans la décarbonation de notre activité avec la création d’une commission « transition éco énergétique » : après la mise en œuvre de mesures de sobriété puis de recherche d’excellence opérationnelle, place à la décarbonation. Nous avons déjà une pilotine 100% électrique, à Sète, et de nombreuses autres stations travaillent déjà sur les évolutions possibles en matière de biocarburants, e-carburants, pile à combustible, navire à foil pour réduire la trainée et donc la consommation, etc. Nous sommes adogmatiques et regardons tout ce qui est proposé sur le marché, participons à de nombreux salons et groupes de travail, y compris avec la DGAMPA et l’ADEME.
Aymeric AVISSE : Henry CAUBRIERE continue à représenter les pilotes au niveau européen, les enjeux français pour le pilotage sont-ils, comme en politique générale, liés à des décisions européennes avant d’être françaises ?
André GAILLARD : Henry restera Vice-Président de l’EMPA (la fédération européenne des pilotes) après son départ de la Fédération le 1er juillet 2024. Cet engagement des pilotes français au niveau européen, comme à l’international (je suis VP de l’IMPA depuis 2022, la Fédération internationale des pilotes) est très important. Nous travaillons toujours avec les autres fédérations, d’abord pour partager les bonnes pratiques, mais aussi pour mener une politique efficace au sein de l’UE, pour l’EMPA, ou de l’OMI, pour l’IMPA. Notre mission est de continuer à promouvoir chaque jour la plus-value du pilotage sur les passerelles face aux avancées technologiques telles que le guidage à distance (qui n’est pas du « pilotage » car il n’y a pas de pilote sur la passerelle) ou les navires autonomes dans un contexte de pression constante de la Commission Européenne pour la libéralisation des services portuaires. Face à ces tentatives de dérégulation de la Commission, nous avons le soutien de nos tutelles (DGAMPA et DGITM) et nous restons confiants concernant l’avenir.
Au sujet de la réglementation européenne sur la transition énergétique, il est essentiel de prendre le temps de mettre en œuvre la législation adoptée en ajustant les lois si besoin pour préserver les industries et les ports de l’UE car des investissements massifs dans les infrastructures, la transition énergétique et les réseaux numériques sont nécessaires. Nous rejoignons la position de FEPORT (qui représente les intérêts des opérateurs de terminaux et des entreprises de manutention) sur ce point.
Sur le plan international, nous ne cessons de travailler à l’amélioration des dispositifs de transfert de pilote (règle 23 – V de la SOLAS en cours de modification au comité NCSR de l’OMI) et veillons à maintenir un niveau de recrutement, de formation initiale et continue des pilotes, le plus élevé possible conformément à la résolution A960 de l’OMI (recommandations concernant la formation des pilotes) car nous voulons continuer à assurer un service de très haute qualité.
Aymeric AVISSE : Le challenge ne fait que commencer dans un contexte un peu plus « normal » que ces 4 dernières années, quel est le programme à venir ? Rendez-vous aux Assises ?
André GAILLARD : Les stations de pilotage viennent à peine de retrouver les niveaux de trafic de 2019, avant la crise Covid. Néanmoins, de nouvelles crises se succèdent et viennent perturber le bon fonctionnement de nos stations : détournement des navires à cause de la guerre au Moyen-Orient, situation politique très compliquée en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, diminution continue du trafic dans les ports de Métropole… le pilotage maritime doit se réinventer sans cesse et continuer à être novateur et performant. De nombreux défis nous attendent et, comme le disait Charles Darwin, « Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements». Il nous appartient donc de nous remettre en question sans cesse et de rester curieux afin de conserver notre cohésion, notre envie de travailler et d’innover. Eric Banel, le Directeur de la DGAMPA, nous a d’ailleurs challengés avec son discours lors de la clôture de notre dernier congrès annuel, en nous encourageant à poursuivre l’effort de regroupement des stations de pilotage qui s’opère déjà depuis plusieurs décennies car c’est un moyen efficace pour augmenter la résilience de nos structures et de notre organisation.
Rendez-vous aux Assises de l’Économie de la Mer à Bordeaux, du 19 au 20 novembre 2024, où le pilotage français sera présent car les pilotes maritimes sont toujours engagés aux côtés des armateurs, de l’Administration et des places portuaires pour la souveraineté, la sécurité et le développement économique de notre pays.