Jeune Marine N°274Vie de l'école

L’Europe est-elle maritime ?

Colloque organisé par l’ENSM le 6 septembre 2024 sur le site du Havre

Le lendemain de la rentrée officielle, l’ENSM du Havre organisait un colloque sur le thème de « L’Europe est-elle maritime ? », sujet très large permettant d’aborder un éventail de thématiques en réunissant un panel d’intervenants d’horizons divers, mais essentiellement issus de la sphère publique.

Frédéric MONCANY de Saint AIGNAN à la rentrée de l’ENSM 2022 © Jeune Marine

 

 

Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du CA de l’ENSM, dans son mot d’accueil, a présenté sa vision de l’Europe maritime. Une Europe héritière du chaos de la Seconde guerre mondiale, qui se veut l’antidote d’une prochaine guerre sur le continent, animée « d’une volonté au mieux de faire front et d’éviter le pire ». « Oui, l’Europe maritime existe et est solide, malgré la bureaucratie et les stratégies différentes ».

 

 

 

A gauche : Jean-Marie Dumon, représentant du GICAN ; à droite : Sotiris Raptis, secrétaire général de l’ECSA (European Community Shipowners’ Associations) © JVD-JM-DR
  • La première table ronde « L’Europe maritime, combien de divisions ? » réunissait quatre intervenants, lobbyistes bruxellois et institutionnels français. Le modérateur de cette table ronde était Louis Guédon, élève OCQPI.

Isabelle Ryckost, secrétaire générale de l’Organisation européenne des ports maritimes (European Seaports Organisation – ESPO), est intervenue depuis Tallin en Estonie, en insistant sur le changement de stratégie de l’Europe vis-à-vis des investissements étrangers dans les ports de l’UE, et plus particulièrement de l’attitude de la Chine qui n’est plus perçue comme partenaire, mais comme concurrente.  Les ports ont un énorme défi d’investissements à réaliser, sans en avoir vraiment les moyens. Les investissements privés sont donc les bienvenus, cachant parfois un pays concurrent.

La nouveauté au niveau européen, est la prise de conscience, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, de préparer les ports à un rôle important dans la logistique militaire.

Jean-Marie Dumon, représentant du GICAN a fait une présentation du marché mondial de la construction navale, pointant le déséquilibre entre l’Europe et l’Asie dans de nombreux secteurs, y compris ceux des navires dits « complexes » (gaziers, paquebots, etc). Déséquilibres souvent aggravés par la réglementation contraignante européenne et les subventions déguisées pour le Greenship dans les nations émergentes comme l’Inde.

Sotiris Raptis, secrétaire général de l’ECSA (European Community Shipowners’ Associations), a défendu la vision des armateurs européens qui veulent bien appliquer toutes les nouvelles directives réduisant l’impact environnemental du transport maritime, à condition que cela n’entraîne pas leurs chutes face à la concurrence des pavillons de complaisance.

Caroline Neuman, adjointe au Sous-directeur de la sécurité et de la transition écologique des navires (STEN) à la Direction générale des Affaires maritimes, a présenté l’accompagnement institutionnel du secteur vers les objectifs fixés pour 2030 et 2050.La stratégie verte des États au niveau européen est difficile à trouver. Il n’y aura pas de flotte stratégique sur le long terme si pas d’énergie green fiable disponible (peu chère, capacité d’approvisionnement universelle, etc.)

 

De gauche à droite : Yannick Chenevard, député du Var ; Alain Coatanhay, Directeur de la Flotte de Louis Dreyfus Armement ; Antoine Hannedouche, Administrateur des Affaires Maritimes ; Mathieu Corruble, avocat spécialisé © JVD-JM-DR
  • La seconde table ronde proposée sur le thème de « Quelle est la place de la flotte européenne de marine marchande ?» était animée par François Lambert.

Mathieu Corruble, avocat spécialisé, a livré son analyse de la situation actuelle mondiale des consortia maritimes regroupant les majors du transport maritime conteneurisé.

Yannick Chenevard, député du Var, vient de terminer une mission gouvernementale relative à la réévaluation du dispositif de flotte stratégique, qui a débouché sur un nouveau décret du ministère des Armées en juillet 2024. Il a dressé un tableau complet et très factuel de la situation géostratégique et des risques qui pèsent sur les approvisionnements de la France. Le sujet de la flotte stratégique revient régulièrement depuis les affrètements de pétroliers par la Marine nationale lors de la guerre du Liban au début des années 80. La guerre aux portes de notre Europe a remis en avant ce concept, que le député Chenevard a mis au diapason du monde maritime d’aujourd’hui.

À la question « Quel est l’état du pavillon français ? » Antoine Hannedouche, Administrateur des Affaires Maritimes, chef de la mission de la flotte de commerce, a répondu en présentant l’organisation et le rôle de la mission qu’il dirige sans malheureusement répondre à la question. À une question posée par un élève, il a bien expliqué le principe de la taxe au tonnage, et de l’intérêt existentiel de conserver ce régime fiscal européen.

Alain Coatanhay, Directeur de la Flotte de Louis Dreyfus Armement, a présenté la vision des armateurs français, en mettant en garde sur les tentatives de protectionnisme de l’Europe, que ne souhaitent pas les armateurs. Il appelle à mieux utiliser les lois et dispositifs actuels pour consolider la flotte de commerce existante avant de créer autre chose. Les armateurs ont besoin d’une stabilité réglementaire pour se projeter au-delà de l’horizon.

Yannick Chenevard regrette « l’indifférence » culturelle réciproque entre les marins de la Marine nationale et la marine marchande. Il est très favorable à la possibilité pour les jeunes officiers de la marine marchande d’effectuer une année de « césure » au sein de la Royale en qualité de VOA (Volontaire Officier Aspirant). Cela permettrait une meilleure connaissance entre ces deux mondes, facilitant ainsi la compréhension et l’acceptation de situations en cas de navigation conjointe en convois notamment. Malheureusement, ce temps de navigation n’est pas reconnu pour la délivrance des brevets et diplômes de la marine marchande, comme c’était le cas lors du Service National. Une simple décision administrative de la DGAMPA devrait pouvoir offrir cette possibilité aux jeunes officiers volontaires… La Marine nationale y est très favorable, car les « Marmars » sont immédiatement opérationnels dans les fonctions de chef de quart passerelle.

De gauche à droite : François Lambert, DG de l’ENSM ; Le CV Laurent Machard de Gramont, sous-directeur « génération des compétences » à la Direction du Personnel de la Marine ; Rowan Van Schaeren, Directeur général de l’Antwerp Maritime Academie (HZS) ; Alain Coatanhay, Directeur de la Flotte de Louis Dreyfus Armement © JVD-JM-DR
  • La troisième table ronde a tenté de répondre à la question « Quelles stratégies pour satisfaire les besoins des armements européens ? », animée par Thomas Roy, professeur à l’ENSM, responsable du département monovalent pont.

François Lambert, DG de l’ENSM, a exposé la situation de l’école qui doit croître en fonction des objectifs fixés par le Fontenoy de la Mer en 2021. L’enjeu est d’avoir les financements en adéquation avec la montée des effectifs d’élèves jusqu’en 2027.

Rowan Van Schaeren, Directeur général de l’Antwerp Maritime Academie (HZS), a présenté un état des lieux de l’emploi des navigants formés par HZS et des problématiques rencontrées, proche de celle de l’ENSM en France : concurrence agressive entre armateurs dans le recrutement des navigants dont les salaires au niveau européen sont sensiblement les mêmes, manque de fidélité des marins, concurrence mondiale qui associe les certifications STCW imposées et des exigences locales supplémentaires créant une distorsion entre les organismes de formation. Rowan Van Schaeren souhaite une reconnaissance mutuelle des diplômes et certifications au niveau européen, comme l’ont fait les pays du Benelux il y a deux ans. Il appelle à une réforme des textes de la STCW (la dernière version, dite de Manille, date de 2010), rejoint sur ce thème par François Lambert.

Alain Coatanhay a tenté de répondre à la question du besoin des armateurs vis-à-vis du personnel embarqué. Une enquête réalisée en 2021, où seulement 40% des compagnies maritimes françaises ont répondu, estime les besoins de recrutement en 2027 dans une fourchette de 1100 à 1300 marins, avec une majorité d’officiers monovalents et seulement 160 personnels d’exécution destinés au secteur du ferry.

Il existe un marché du salaire moyen des officiers au niveau mondial, dont les armateurs doivent tenir compte. L’ensemble des mesures d’exonération de charges et d’impôts permet d’approcher le coût du marché européen.

Le CV Laurent Machard de Gramont, sous-directeur « génération des compétences » à la Direction du Personnel de la Marine, a présenté la situation et la stratégie de la Marine nationale dans le recrutement et l’évolution de carrière des marins. On y retrouve globalement les mêmes problématiques que dans la Marmar.

Chaque année, la Marine nationale recrute 10% de ses effectifs. Pour les officiers, un taux de sélection de 1/10 (à l’ENSM il est de moins de 1/5), soit environ 85 élèves par promotion à l’École Navale. Le taux de sélection des équipages est très faible, entraînant une large réflexion pour reconstruire un escalier social afin de fidéliser les marins en tenant compte des longues absences, de la pénibilité des emplois, des déménagements, etc. Cela passe par une adaptation « sur mesure » de chaque profil, en proposant notamment par l’intermédiaire de la formation continue des changements de métiers et de compétences en cours de carrières. Les besoins de la Marine évoluent en fonction de l’évolution des technologies.  La force de la Marine nationale est de posséder en propre ses outils de formation.

Le CV de Gramont est revenu sur la possibilité pour les jeunes officiers de la marine marchande de candidater à un contrat de VOA (actuellement 15 candidats pour 1 poste). Il y est très favorable, car un « hydro » nécessite peu de formation complémentaire pour être opérationnel. De plus la montée du format de la réserve opérationnelle de 4000 à 15000 en 2035 va offrir des possibilités de partenariats entre l’employeur et la Marine, notamment pour armer les flottilles côtières en cours de création, ou bien des postes d’enseignants réservistes.

En conclusion de cette table ronde, Rowan Van Schaeren pense que les écoles de formation européennes doivent s’unir pour mieux s’adapter aux demandes des armateurs. Les financements manquent, il faut faire des choix et donc mutualiser les moyens afin de sauvegarder les compétences maritimes en Europe.

 

 

De gauche à droite : Bastien Arcas, Président de l’Association des anciens élèves HYDROS Alumni ; Guillaume Le Grand, président fondateur de l’armement TOWT ; Julia Tasse, directrice de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Climat© JVD-JM-DR
  • La quatrième et dernière table ronde a abordé le thème du « Le marin stratégique au centre du jeu : Les défis de la souveraineté et de la décarbonation. », animé par un élève de seconde année OCPQI, Jeoire de Chassey.

 Vaste sujet, un peu fourre-tout du moment, qui a permis aux intervenants de développer leurs thématiques.

Julia Tasse, directrice de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Climat, énergie et sécurité au sein de ce think tank de géopolitique, a exposé les enjeux environnementaux qui vont influencer l’évolution du maritime dans un proche avenir.

Bastien Arcas, Président de l’Association des anciens élèves HYDROS Alumni, directeur adjoint du Centre d’Optimisation de la Performance de la Flotte chez GTT – ASCENZ MARORKA, a apporté son témoignage d’ancien navigant partageant l’expérience de ses embarquements au profit de la transition énergétique au sein d’un fournisseur de solutions de stockage de gaz.

Guillaume Le Grand, président fondateur de l’armement TOWT, a partagé sa passion fougueuse pour le transport maritime à la voile. Les premiers retours d’exploitation du premier navire neuf à propulsion vélique exploité par cette compagnie semblent prometteurs, avec une vitesse moyenne d’exploitation autour de 8 nœuds (avec des pointes à 12 nds). TOWT a réussi le financement de 8 navires en bénéficiant d’un suramortissement vert pour les gréements, dispositif malheureusement abandonné le 1er janvier 2024. Pour lui la filière vélique est à l’arrêt depuis.

L’originalité de cet échange était la présence de trois anciens élèves de Science-Po  (le modérateur, élève OCPQI est également un diplômé de Science-Po) autour de la table…Est-ce un début de rapprochement avec cette institution chère à François Lambert dont une annexe est présente de l’autre côté du bassin de l’Eure au Havre ?

 

 

@Jean-Vincent Dujoncquoy

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