Pour ses 80 ans, votre revue préférée vous propose désormais ses Editions Jeune Marine. Après la parution en septembre de son premier roman « Eaux troubles », Eric Blanc vous propose cette semaine la critique de notre second ouvrage « Batangas« , par Stanislas SEGARD. Jeune Marine exposera aux Assises de l’Economie de la Mer de Bordeaux les 19 et 20 novembre : venez rencontrer notre équipe mais surtout venez rencontrer nos auteurs : deux séances de dédicaces vous seront proposées le mardi 19 novembre de 16h30 à 17h00 et le mercredi 20 novembre de 11h00 à 11h30 : Save the date !
Embarquez à bord du Constance Legendre !
Batangas – Stanislas SEGARD – Éditions Jeune Marine
Agatha Christie semait des indices au long des chapitres pour vous mettre sur la piste de l’auteur du crime qu’elle démasquait en dernière page. Stanislas Segard, lui, vous livre son nom à mi-parcours. Et pourtant : vous ne lâcherez pas son roman avant d’en connaître le dénouement. L’approche est originale : la tension monte à bord du porte-conteneurs, surtout depuis son escale à Batangas (Philippines), tandis que la gendarmerie enquête en Bretagne sur un premier meurtre.
L’enquête à terre est menée de main de maître, et l’indice clé, qui mettra enfin les gendarmes sur la bonne voie, est des plus inattendus. Comme le font les maîtres du thriller, Stanislas Segard fait des acteurs de cette traque des hommes d’os et de chair. Nous vivons l’étroitesse besogneuse de leurs tâches quotidiennes, les doutes qui les tenaillent, la lassitude qui les gagne et l’opiniâtreté qui seule permet à ces professionnels de l’ombre de dénicher l’aiguille dans une immense botte de foin.
S’il faut saluer la justesse de cette partie, il faut aussi souligner que l’intérêt de Batangas, ce qui en fait son sel, réside d’abord dans la manière dont Stanislas Segard analyse la psychologie des officiers qui naviguent à bord du Constance Legendre. N’espérez aucun élan romantique : l’auteur parle cru. Son langage est le vôtre, sans envolée lyrique. Son écriture, très directe, percute, et les situations vécues par les protagonistes n’en sont que plus vraies. Ces situations, Stanislas Segard les a observées au cours de ses longues années de navigation, et le rendu qu’il en fait est d’une imparable crédibilité. Nous vivons à bord : nous tournons les amarres et déglaçons la chemise d’un diesel, partageons le stress d’une escale hâtive au bout du monde et préparons l’arrivée d’un coup de tabac, mais surtout, surtout, nous entrons dans la peau et dans la tête de ces collègues qui vivent le quotidien d’un bord, avec ses tensions et ses antagonismes, sa camaraderie et une certaine fraternité. Les plus jeunes naviguent entre illusions et désillusions, cherchant encore à Batangas une once d’exotisme et un peu de chaleur humaine, se frottent à bord aux vieux cuirs plus ou moins désabusés et s’interrogent sur le sens du métier. Les anciens vivent leur routine sans plus savoir s’ils en espèrent une autre. L’éloignement chronique et une certaine pudeur donnent aux évènements personnels une dimension dramatique.
Le lecteur qui a quitté ce monde depuis des années découvre ce qu’il est devenu : la terre dévore les marins à force de rapports exigés, de consignes étouffantes et de rentabilité mesurée. Celui qui navigue encore sourira malgré tout en découvrant sous la plume de Stanislas Segard des peintures acides dans lesquelles il retrouvera des silhouettes connues ou des situations vécues. Quant aux plus jeunes, j’espère qu’ils ne retiendront de cette aventure en mer que le côté palpitant d’une vie en marge, qui reste irremplaçable.
La conclusion appartient à Xavier, le jeune héros : « C’est un métier que l’on choisit, on ne peut pas le faire si on ne l’aime pas… Une fois qu’on y a goûté, difficile de s’imaginer faire du métro – boulot – dodo et abandonner les responsabilités qu’on a ici. »