Pour ses 80 ans, votre revue préférée vous propose désormais ses Editions Jeune Marine. Paru en avril, Jacques MEVEL, notre Directeur de la Publication, vous propose cette semaine la critique de notre tout premier ouvrage « Eaux troubles » par Eric BLANC. Jeune Marine exposera aux Assises de l’Economie de la Mer de Bordeaux les 19 et 20 novembre : venez rencontrer notre équipe mais surtout venez rencontrer nos auteurs : deux scéances de dédéciaces vous seront proposées le mardi 19 novembre de 16h30 à 17h00 et le mercredi 20 novembre de 11h00 à 11h30 : Save the date !
Eaux troubles
Nous sommes en 2035.
Le Lady L est un vieux cargo de 82 mètres de long. Chargé aux marques il peut entasser dans ses cales jusqu’à 1200 tonnes de marchandises ; plusieurs décennies de cabotage ne lui permettent plus de fréquenter les ports où la conformité aux normes est devenue le préalable à exercer tout commerce maritime. Aussi, avec un pavillon de complaisance à la poupe, il s’adonne au cabotage entre la corne de l’Afrique, le golfe Persique et le Pakistan, ou alors dans îles innombrables du Sud-est asiatique, aussi loin que possible des douaniers tatillons et des inspecteurs intransigeants.
Adam, son capitaine, est un jeune officier « aux capacités cognitives et mémorielles augmentées », fruit d’une opération chirurgicale très aboutie, expérimentée sur de jeunes officiers/ingénieurs volontaires, amenés à commander les navires de dernière génération. Les lecteurs de JEUNE MARINE ont pu suivre en ligne sur le site www.jeunemarine.fr les 19 chapitres des mésaventures d’Adam, capitaine du porte-conteneurs autonome Pride of Future, intitulées « Très seul maître à bord ». L’abordage de son navire à l’entrée du détroit d’Ormuz, puis son échouage mûrement réfléchi sur les côtes d’Oman, ont amené Adam à tourner le dos à la société moderne, au monde de l’automatisation ultra-poussée des derniers navires de commerce, au diktat des commerciaux des grands armements mondiaux. Adam a tourné la page, acheté cette vieille coque de Lady L pour verser dans la flibuste et renouer avec une navigation à l’ancienne, secondé par un équipage omanais qui lui est tout dévoué.
Parallèlement aux mésaventures du vieux rafiot Lady L, le lecteur découvre les nouveaux navires sortis des chantiers navals, des navires à très haute technologie conçus pour naviguer d’une manière « autonome », c’est-à-dire sans équipage à bord, simplement contrôlés par un centre déporté, à terre, qui gère la conduite des ordinateurs des bords. Des balbutiements industriels en ce domaine au début du XXIème siècle, Eric Blanc, très au fait des progrès réalisés par les chantiers de construction navale, nous embarque dans une saga qui voit s’affronter les grandes puissances industrielles désireuses d’être les premières à officialiser la mise en service des navires totalement autonomes. Les chantiers français – effectivement reconnus dans le monde pour leur savoir-faire – expérimentent ici un énorme méthanier autonome pourvus de mâts de plus de cent mètres de haut porteurs de voiles rigides. Les Anglais – toujours là ! – sont de la partie avec un prototype inhabité qui va effrayer les pilotes portuaires pas vraiment habitués à donner des conseils à des ordinateurs. Quant aux Chinois, ils veulent toujours être les premiers partout et ils espèrent bien que leur série de trois porte-conteneurs autonomes damera le pion aux puissances occidentales. Roman d’espionnage industriel, avec une belle pincée de piratage informatique effectué par des hackers de haute volée, « Eaux troubles » nous ramène avec bonheur, grâce aux tribulations du Lady L, sur le plancher d’une bonne vieille passerelle de cargo fleurant bon le bitor et le Naol. Deux mondes totalement antagonistes bien que dédiés chacun au transport des biens par voie de mer, mais…
L’auteur, Eric Blanc, est un officier de la marine marchande qui a bourlingué pendant une dizaine d’années. La description qu’il nous fait des navires, des marins, de la navigation tant hauturière que côtière, ne trompe pas : il fait partie du sérail des hydros, ces élèves formés dans les écoles de la marine marchande pour acquérir la science de la navigation afin de commander les navires de commerce, quels qu’ils soient. Il a connu la fin de la navigation traditionnelle, navigation à l’estime, navigation astronomique, à l’époque où le sextant était sorti de son coffret pour faire un point d’étoiles dès que le navire effectuait une traversée océanique. Cet instrument est devenu une antiquité de marine ; il a été remplacé manu militari par les récepteurs GPS qui affichent en continu sur une carte électronique la position du navire, grâce aux données satellitaires. Alors pourquoi s’encombrer dorénavant d’un sextant et d’une ribambelle de cartes marine en papier ?
Le roman d’Eric Blanc s’avère très pertinent : les nostalgiques de la navigation à l’ancienne savoureront la prise d’un mouillage dans une anse lointaine, sur l’alignement d’un minaret et d’un cocotier remarquable, à la croisée d’une sonde de cinq brasses ; ou alors les difficultés, chope de bière à la main, à décoller ses fesses du canapé du salon d’un remorqueur malmené par le mauvais temps. Les passionnés de technologie découvriront la pertinence des détails techniques relatifs à la conception des navires autonomes qui sortent complètement de la fiction pour annoncer le monde maritime de demain. On retrouve là la griffe de l’ingénieur Blanc qui, à un moment de sa carrière de marin, troqua sa casquette de capitaine pour un scaphandre de futur spécialiste de l’industrie nucléaire.
Ce premier roman est un condensé de l’expérience maritime puis industrielle de son auteur, savamment intégrée dans une intrigue d’espionnage tout à l’honneur de l’ingéniosité des chantiers de construction navale et à l’image de la concurrence effrénée qu’ils génèrent.
A quand un second roman, monsieur Blanc ? Vos lecteurs en redemandent !