Actualité MaritimegéopolitiqueJeune Marine N°277

Rapport MICA 2024

Panorama de la sureté en mer à l’usage de tous les marins

La publication du rapport annuel 2024 (1) du MICA Center jette un coup de projecteur sur la collaboration entre les marines militaires et de commerce, sur tous les océans au travers d’une cellule de veille et de coordination de la sûreté maritime basée à Brest au sein de la Marine Nationale. Ce centre de renseignement et d’analyse est une composante essentielle pour la sécurité des flux maritimes et illustre l’esprit devant conduire à la création d’une future flotte stratégique.

 La lecture du rapport annuel du MICA Center apporte un éclairage complet sur les nombreuses menaces directes ou indirectes qui pèsent sur toutes les mers du globe et sur l’évolution de ces menaces.

Basée à Brest, elle dépend du Sous-Chef d’État-Major responsable des opérations de la Marine Nationale. Elle collecte, vérifie, analyse et relaie les informations liées aux événements de sûreté maritime.

Commandée par le CF Thomas Scalabre, cette cellule est armée par une quinzaine de personnels d’active et une vingtaine de réservistes, elle traite en moyenne journalière une quinzaine d’événements.  La collecte des informations se fait via un partenariat avec 85 compagnies maritimes, les informations et analyses des partenaires étatiques et privés et d’autres centres internationaux spécialisés, comme l’IFC du Pérou ou celui de Singapour.

Une coopération navale volontaire (CNV) a été mise en place suite à un accord entre le CEMM et les armateurs participants. Les objectifs sont de permettre une meilleure gestion des risques par les armements, d’améliorer la sûreté en mer au profit des marins et d’appuyer la protection des lignes de communications maritimes.

Les principaux événements de mer en 2024 sont toujours les actes de piraterie et de brigandage. Une nouvelle catégorie apparaît cependant dans le rapport du MICA baptisé « extension d’un conflit en mer », mais que nous pouvons nous permettre d’intituler « fait de guerre ». Il s’agit désormais du risque le plus important pour les navires de commerce.

Après trois années de baisse, les actes de piraterie et de brigandage sont repartis à la hausse en 2024 (+15%) avec 340 événements. Pour mémoire, 2011 avait marqué un pic à 668 événements. Cette relative augmentation est surtout liée à la reprise des actes de piraterie   au large de la Somalie (60 événements).

Trois zones retiennent l’attention : le golfe de Guinée, la zone Caraïbes/Amérique du Sud et l’Océan Indien.

Le golfe de Guinée :

Le golfe de Guinée est la principale zone de turbulences depuis une douzaine d’années. La mise en place de l’initiative dite « architecture de Yaoundé » qui coordonne les forces et les administrations des pays riverains, soutenue par la France et l’Union Européenne a permis une baisse régulière des actes de brigandage, vols à quai ou au mouillage, et de piraterie. Les zones à risque identifiées par le rapport sont les mouillages de Takoradi, Lagos et Luanda, ainsi que la région située entre l’île de Biok et la Guinée Équatoriale. La relative sécurisation de la région ainsi que la reconversion des pirates vers d’autres activités ont entraîné une baisse des kidnappings, de 142 en 2020 à 12 en 2024.

© MN

La pêche illicite reste un grave problème pour l’économie et les réserves halieutiques des pays riverains (50% de la flotte de navires de pêche dans la zone). Le narcotrafic et l’immigration clandestine sont en constante augmentation avec l’ouverture de nouvelles routes entre l’Amérique du sud et l’Europe.

L’Amérique latine et les Caraïbes :

Cette région est essentiellement touchée par des actes de brigandage, en général des vols sur des navires de plaisance.

©MN

Le trafic de drogue à partir de la Colombie, leader mondial de production de cocaïne (2700 tonnes en 2023) touche directement notre profession. Les dangers sont d’une nature différente pour les marins, qui ne risquent pas une attaque physique frontale (quoique…) mais une accusation potentielle de complicité passive. Quatre-vingt-dix pour cent de la cocaïne produite en Colombie sont transportées par la voie maritime, dont les plus grosses quantités unitaires sur les bateaux de commerce, les conteneurs, difficiles à contrôler, étant le premier vecteur de transit. Le rapport parle de « contamination du fret conteneurisé », soit en amont du chargement, dans des denrées périssables et jusque dans les structures mêmes de conteneurs, par traitement chimique, soit en mer, lors d’un chenalage, par exemple. Une équipe montée clandestinement à bord pourrait ainsi dissimuler une tonne en quarante-cinq minutes avant de disparaître à nouveau sur sa vedette rapide. En 2024, 540 tonnes ont été saisies sur 440 embarcations différentes, y compris des semi-submersibles.

L’Océan Indien :

La mer Rouge et le Golfe d’Aden sont redevenus les principales zones de conflits après le déclenchement de l’attaque du 7 octobre 2023 en Israël. Les rebelles houthistes ont lancé l’an dernier 700 munitions (drones, missiles…), avec une précision de 7%, contre des navires suspectés d’être liés de près ou de loin aux intérêts d’Israël. Ils ont conduit 124 attaques recensées par le MICA qui ont touché 27 navires, dont 6 gravement.

Le 19 novembre 2023, les Houthis ont orchestré la prise de contrôle du roulier Galaxy Leader par un commando héliporté, largement médiatisée (voir vidéo assaut du Galaxy Leader). Détourné vers le port d’Hodeïda, le navire a servi « de studio embarqué » pour la propagande houthis. L’équipage philippin de ce navire n’a été finalement libéré que le 22 janvier 2025 après 430 jours de détention.

Parmi les navires de commerce touchés, on compte

  • Le Rubymar, touché le 18 février 2024 par deux missiles en salle des machines et qui a coulé avec une cargaison de 20 000t de phosphate.
  • Le Marlin Luanda abandonné en feu après avoir été touché par un missile balistique le 26 janvier 2024. Il transportait 90 000t de naphta.
  • Le Verbena, abandonné en feu après plusieurs attaques de missiles, le 13 juin 2024.

Le cas du pétrolier grec Sounion illustre la stratégie de désorganisation du trafic maritime par les Houthis. Touché par 3 missiles le 21 août 2024, abandonné en feu par l’équipage avec 150 000 t de brut à bord, il a servi de « studio hollywoodien » aux Houthis, qui ont réalisé un film montrant la tentative de sabotage par charges explosives du navire (voir video propagande Houthis). Les opérations de sauvetage et de protection des opérations par les navires militaires occidentaux ont permis le remorquage du Sounion vers le nord de la mer Rouge pour allégement de la cargaison.

Ces attaques ont tué quatre marins, à bord du True Confidence le 6 mars 2024 et du Tutor le 12 juin 2024.

La tactique des Houthis repose sur une sélection des cibles en utilisant l’empreinte numérique du trafic maritime, via les bases de données « open sources » et l’AIS : 85% des navires attaqués avaient leur AIS en fonction ; quand l’AIS était éteint, seuls 5% des attaques atteignent leur cible. Les Houthis complètent le renseignement numérique avec une reconnaissance visuelle par des navires de pêche ou de petites embarcations. Ils pratiquent également une guerre psychologique en saturant les canaux VHF avec des messages d’intimidation.

©MN

Les Houthis ont réussi à désorganiser le trafic du canal de Suez, entraînant une chute de 66% en 6 mois. Suez voit passer en temps normal 15% du trafic mondial. Les droits de passage du canal (10% du budget de l’Égypte) ont chuté de 8,6 Milliards de $ à 2,6 Milliards de $. La conséquence directe a été l’allongement des routes maritimes via le cap de Bonne Espérance, l’augmentation des primes d’assurances (de 0,04% à 0,1% de la valeur du navire), et le maintien de taux de fret élevé pour les armateurs.

Les actes de piraterie ont repris au large de la Somalie, notamment en raison de la baisse de vigilance des forces militaires dans la zone qui ont été accaparées par les attaques houthis. Le MICA Center a recensé vingt-deux attaques dont quatre ont abouti à une prise de contrôle des navires de commerce. Trois équipages ont pu être libérés grâce aux interventions de navires de guerre, tandis que la libération des 23 marins du MV Abdullah s’est faite contre une forte rançon. Cette attaque illustre la capacité de projection des pirates, car le navire a été attaqué à 550 milles nautiques au sud-est des côtes somaliennes et ramené à proximité du rivage, gardé par une soixantaine de pirates.

Et ailleurs :

En dehors de l’immigration clandestine, du narcotrafic et de la pêche illégale, une nouvelle forme de contrainte est apparue avec la perturbation répétée et parfois insistante des signaux GPS, notamment en mer Noire en raison du conflit entre la Russie et l’Ukraine, mais également en Méditerranée orientale entre Chypre et la côte du Levant, avec les conflits de la bande de Gaza et du Sud-Liban ainsi que la guerre civile Syrie.

Ce brouillage des signaux GPS rappelle que les opérations répétées de transfert des signatures de l’AIS perdurent, permettant aux navires de la flotte « fantôme » liés aux intérêts russes, de jouer à cache-cache avec les sanctions occidentales.

©Jean-Vincent Dujoncquoy

 

(1) – Maritime Information Coopération & Awareness center –  rapport 2024 Mica Center

 

 

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