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Les pilotes gardiens invisibles des côtes 

Le pilotage maritime en pleine évolution pour s'adapter aux défis des manoeuvres XXL

Pour la première fois, les pilotes maritimes français de la FFPM (Fédération Française des Pilotes Maritimes) ont organisé le 3 avril une journée de tables rondes sur les thématiques liées à la profession, dans le cadre de leur congrès annuel, congrès qui célébrait le 120e anniversaire de la fédération.

Accueillis au musée de la Marine par André Gaillard, Président, et Stéphane Pousset, Secrétaire général, environ 200 participants ont assisté dans l’amphithéâtre Éric Tabarly à une série de tables rondes animée par Nathalie Bureau du Colombier, journaliste marseillaise spécialisée dans les transports, assistée de Guillaume Dalmard, pilote de la station de la Loire et président du Seamulateur nantais.

« Le rôle stratégique des ports français face aux défis économiques et environnementaux ».

Cette première table ronde a réuni Lamia Kerdjoudj, secrétaire générale de la FEPORT, association européenne des ports, Paul Tourret, géographe, directeur d’ISEMAR institut d’économie maritime, Arthur de Cambiaire, administrateur des Affaires maritimes, chef du bureau stratégie portuaire à la DGITM et Jean-Pierre Chalus, DG du port de la Guadeloupe et président de l’Union des Ports de France.

À la question de définir les ports en un mot, les quatre intervenants ont cité : complémentarité, potentiel et opportunité, force, frustration et pédagogie, communauté et collectif.

Au niveau national, les ports français souffrent d’une « frustration » comparative avec nos concurrents du Benelux au nord et de l’Espagne au sud. Depuis la réalisation (pas encore complète, NDLR) de Port 2000 au Havre, il n’y a pas eu de grands projets d’investissements dans les infrastructures portuaires. Les ports souffrent de projets stratégiques limités à cinq ans.

La stratégie de l’État pour les ports souhaite qu’ils deviennent des relais de croissance (éléments de langage ???) au travers de la décarbonation. Les ports sont des prestataires de services qui proposent du foncier pour des projets d’infrastructures industrielles adaptées au changement climatique.

Au niveau européen, il y a un vrai changement d’approche avec les bouleversements géostratégiques actuels. Les ports vus sous un angle défensif vis-à-vis des convoitises étrangères sont considérés maintenant comme des infrastructures critiques où un vrai dialogue privé-public s’installe pour les faire évoluer vers un rôle stratégique.

L’Europe pousse à la transformation du profil des ports pour accueillir plus d’industries ayant un rôle dans la décarbonation et la transition énergétique en lien avec l’hinterland. Les ports vont devoir s’adapter également à la logistique militaire en étant capables d’être en mesure de soutenir les armées.

L’Europe domine le transport maritime mondial à hauteur de 40%, mais a du mal à accepter les investissements étrangers dans ses ports quand ils dépassent 25% des sommes investies dans un projet.

Après ces échanges convenus, la séquence des questions a ramené cette séance de prospectives sur le terrain des réalités sociales qui agitent les ports français depuis les réformes de 1992 et de 2008. Un représentant de la communauté portuaire rouennaise a exprimé l’exaspération de ses clients qui doivent supporter seuls les surcoûts engendrés par la « grévitude » permanente des personnels de la manutention et des ports. (En 2021 : 96 h, en 2022 : 43h, en 2023 : 528 h, en 2024 : 146 h et depuis le 1er janvier 2025, 324 h).

 

« Équilibre entre navigation visuelle et navigation aux instruments »

Entre deux tables rondes, l’assistance a eu un aperçu des outils numériques dont disposent les pilotes. L’exposé très technique d’Ed Verbeek, ancien pilote d’Amsterdam, a mis l’accent sur les subtilités et les pièges de l’utilisation exclusive des aides à la navigation dans des conditions dégradées. Il faut continuellement rechercher l’équilibre entre la navigation visuelle et la navigation aux instruments, pour éviter le risque de surcharge d’informations ou d’erreurs d’interprétation, afin d’optimiser la sécurité et l’efficacité des manœuvres.

Ed VERBEEK © Jeune Marine DR

 

« Le pilotage maritime, évolution ou révolution ? »

La première partie de cette seconde table ronde a permis à deux pilotes, Catherine Cornu, première femme pilote en France à la station de la Seine et Jean-Daniel Gilles, pilote de Dunkerque responsable du simulateur, d’exposer les changements notables du métier de pilote sur les plans technique et humain.

Depuis l’Antiquité, le pilote est un sachant de la manœuvre et un pratique d’une zone géographique particulière. Ces dernières décennies, c’est l’augmentation de la taille des navires et l’évolution des modes de propulsion qui ont révolutionné le transport maritime. Pour s’adapter à ces évolutions, la révolution est arrivée par l’adaptation des outils numériques au métier de pilote au travers du simulateur et du PPU (Personnel Pilot Unit).

Le simulateur offre un outil de formation exceptionnel en complément de la formation transmise par les anciens, avec l’avantage de pouvoir mettre dans n’importe quelle situation un pilote et ainsi pallier au mieux les situations critiques.

Le PPU est utilisé comme outil complémentaire, généralement indépendant des informations fournies par le navire.

L’autre évolution du métier de pilote est la prise en compte des facteurs humains, tant à l’entrée dans la profession que tout le long de la carrière pour appréhender au mieux les relations en passerelle avec l’équipage du navire servi. La formation BRM P permet d’optimiser les échanges en passerelle avec l’équipage. Le plus important est la confiance instaurée dès l’arrivée en passerelle.

La seconde partie de cette table ronde était tournée vers l’avenir avec un échange très riche avec Simon Pelletier, pilote canadien du Saint-Laurent, Président de l’IMPA (International Maritime Pilots Association) et Daniel Breton, en charge d’une enquête sur le pilotage à distance.

Pour Simon Pelletier, l’arrivée de l’Intelligence Artificielle (IA) ne va pas changer le métier de pilote, mais probablement apporter plus d’informations pour la prise de décision. Il y a des limites et des questions ouvertes. En cas d’incident, qui sera demain responsable de l’IA à bord : les États, les clouds aux US, ou la société qui a installé les algorithmes ?

Quant à l’avenir, il a rappelé un vieil adage : « Les gens qui ont la connaissance ne prédisent pas l’avenir, et ceux qui prédisent l’avenir n’ont pas la connaissance ».

Pour Simon Pelletier « Le pilotage est aujourd’hui encore plus pertinent, car la tolérance du public aux risques a fortement diminué ».

Daniel Breton a présenté l’étude sur le pilotage à distance qui a été lancée par l’IMPA sur la zone du Saint-Laurent et dont le but est d’évaluer in situ les technologies disponibles en toute impartialité sur une zone connue, afin de pouvoir comparer les données avec le réel, sans compromettre le côté légal de la navigation pilotée. Pour ce faire, l’enquête va utiliser des navires de la garde-côtes canadienne pour les mesures. Le but est de produire un rapport détaillé, méthodique, qualitatif et quantitatif. Résultats pas avant 2028.

 

« Décarbonation, entre défis techniques et financiers »

 La troisième table ronde reprenait une thématique plus générale du transport maritime, c’est-à-dire la transformation d’un modèle basé sur les énergies fossiles vers les objectifs ambitieux de zéro émission.

Anne Legregeois, directrice de la flotte de commerce à la DGAMPA, a livré un exposé très structuré des mesures mises en place par l’État pour accompagner la décarbonation du secteur maritime ; point d’étape très intéressant sur le chemin accompli et restant à accomplir pour les instances gouvernementales.

Serge Dal Farra, détaché par Total Énergies comme chef de projet décarbonation au Centre de recherche de la fondation Maersk à Copenhague, a présenté les différentes pistes de recherche actuelle pour trouver la ou les molécules qui permettront au transport maritime de diminuer de façon pérenne l’utilisation des combustibles fossiles. Il va y avoir une nouvelle géographie de l’énergie avec des zones de production d’hydrogène (Namibie, Chili ou Australie) loin des régions de consommation. Ces nouvelles molécules sont onéreuses à produire et à stocker. Elles deviendront pertinentes financièrement quand le taux de la taxe carbone  sera supérieur à 450 US$/t.

Olivier Vincens, pilote de Toulon, en charge de la transition énergétique à la FFPM a fait un point sur l’adaptation des stations de pilotage. 80% des émissions de CO2 sont réalisées lors des opérations de mise à bord des pilotes par leurs moyens nautiques (115 pilotines de 8 à 18 mètres).  Les trois axes d’amélioration sont :

  • Réduire la traînée des pilotines en allégeant la construction, en optimisant les formes et dans un avenir proche l’utilisation des foils.
  • Optimiser la propulsion en passant au tout électrique comme une pilotine à Sète qui reste unique en France ou plus facilement en utilisant du fioul décarboné HVO testé par trois stations sur les moteurs thermiques classiques.
  • Développer la R&D, mais c’est difficilement supportable au niveau financier par les stations de pilotage. Actuellement, en collaboration avec l’ADEME, des boîtiers économètres sont installés sur les pilotines afin de mesurer exactement la consommation au mile parcouru pour établir les besoins réels en watts.

Harold Baseden, du chantier naval Merconcept, a présenté le département mobilité maritime, qui se développe en proposant les expertises et les solutions de la course au large pour les adapter aux autres navires. Aujourd’hui le bureau d’études travaille sur un trimaran à voiles de 80 mètres pour l’armateur Vela, en construction par les Australiens d’Austal dans un chantier aux Philippines, pour une ligne entre la France et les États-Unis à partir de la mi-2026, 100% propulsé à la voile, pouvant transporter 500 t en palettes. Le chantier Merconcept, crée par François Gabart, travaille sur toute la partie vélique du navire. Le chantier développe également des navires de service à foils, dont un catamaran-démonstrateur à propulsion électrique sur foils actuellement en phase finale d’essais. Bateau de 12 mètres pour 4 tonnes qui vole à partir de 11/12 nœuds, atteint une vitesse d’exploitation de 20 nœuds, pour une autonomie de 4 heures, dans la limite d’une hauteur significative de vague de 1,5 mètre.  L’objectif est de construire des navires de service ou de transport de passagers d’environ 24 mètres pour 10 tonnes.

Pour les pilotes, reste la question essentielle du financement des futures pilotines…dont les prix s’envolent devenant hors de portée pour les stations de pilotage.

 

« Préparation mentale : Anticiper, maîtriser et décider en situation à risque ».

 Avant d’aborder la dernière table ronde, l’auditoire s’est envolé dans les nuages avec Raphaël Nal, ancien leader de la Patrouille de France, qui a partagé au travers de son expérience les techniques de gestion du stress, de la maîtrise émotionnelle, de la cohésion et de la préparation psychologique permettant des prises de décisions rapides et précises.

Raphaël NAL © Jeune Marine DR

En partant d’une journée type de la Patrouille de France, Raphaël Nal a décliné cette routine quotidienne qui permet une stabilité émotionnelle. La préparation physique passe par deux séances quotidiennes de sport obligatoire. La préparation mentale se passe via les techniques d’optimisation de potentiel ou TOP mises en place dans les armées afin d’améliorer la confiance dans toutes les situations, qui se décline en trois niveaux : personnel, en l’autre et en l’équipe.

Le but est de renforcer la force du groupe.

« Géants des mers :  L’humain face aux défis de la manœuvre »

 La quatrième table ronde a fait redescendre le public doucement des nuages en évoquant les nombreux points communs qui existent entre les pilotes aériens et les pilotes maritimes et en échangeant sur l’importance de l’humain dans nos métiers respectifs. Ce rapprochement entre les airs et la mer au travers de la FFPM est né en 2007, quand l’ensemble de la profession a souhaité introduire les facteurs humains dans son processus de sélection. La FFPM a fait appel à Bruno Doat, ancien Cdt de bord à Air France et responsable du recrutement des pilotes au sein de cette compagnie, pour conseiller le groupe de travail mis en place pour une refonte du concours de pilotage.

L’apparition des simulateurs de manœuvre a logiquement conduit à un échange avec les instructeurs pilotes de lignes pour échanger sur les bonnes pratiques.

Laurent Lamulle, Cdt de bord sur Boeing 787, instructeur simulateur et consultant, est revenu sur la prise en compte de l’erreur chez les pilotes aériens. Une étude de la NASA sur un échantillon de personnel entraîné a montré que l’on ne peut atteindre au mieux qu’un minimum de 7 erreurs par heure. Il faut faire le distinguo entre l’erreur qui est non intentionnelle et la faute qui est intentionnelle. Il faut accepter l’erreur et la partager pour s’améliorer. Or, nous sommes tous issus de l’École française où l’erreur est sanctionnée. On ne met pas en valeur ce que l’on fait de bien, mais on insiste sur nos erreurs. Cette culture est un vrai handicap pour s’améliorer.

Un pilote d’avion est spécialiste d’une machine et peut aller partout dans le monde. Un pilote maritime est spécialiste d’un lieu, mais ne connaît pas la machine (et l’équipage). Le point commun important est sur le décisionnel, d’où cette collaboration mise en place pour la formation pédagogique des pilotes maritimes instructeurs simulateurs.

André Pisani, ancien militaire, commando et moniteur de sport, a présenté les techniques d’optimisation de potentiel ou TOP introduites dans les armées au début des années 90 (à la suite de la guerre du Golfe, ndlr), dont le but est de conserver le potentiel optimal d’un combattant à chaque retour de mission, et in fine maintenir la capacité opérationnelle des unités.

Ces TOP permettent de renforcer la résilience morale d’une personne soumise au stress, sur la base de son adaptation à son environnement. André Pisani aide la FFPM à l’enseignement de ces TOP dans les stages BRM-Pilotes.

Rodolphe Striga, pilote de la station de Marseille, a présenté le CIRP-FFPM (Critical Incident Response Program). Cette cellule d’écoute, composée de 12 pilotes pairs aidants et volontaires, a été mise en place au printemps 2023. Elle permet l’écoute anonyme et confidentielle d’un pilote à chaud après un incident ou accident qui développe des troubles de stress post-traumatiques.  Le but est de permettre une reconstruction la plus rapide possible des pilotes impactés. En deux années, le CRIP a reçu une quarantaine d’appels, dont 3 ont nécessité un suivi vers une structure spécialisée.

Camille Jego, psychologue au Centre Ressource d’Aide Psychologique en Mer (CRAPEM) à Saint-Nazaire, est revenue sur les caractéristiques psychologiques des pilotes. Il n’y a pas de spécificité propre, mais des contraintes particulières comme la notion d’isolement, l’absence d’espace en groupe, la responsabilité et l’impact financier de son action. Les pilotes ont développé, parfois à leur insu, des stratégies d’adaptation qui sont en fait des facteurs de résilience, comme la volonté d’atteindre seul un but, quels que soient les obstacles. Ces sentiments d’efficacité personnels débordent bien souvent vers la sphère privée, impactant les familles et proches. Les pilotes ont moins de souffrance psychologique que l’ensemble des marins.

Dans son discours de clôture, André Gaillard est revenu sur le déroulement de cette journée enrichissante. En une vingtaine d’années, la profession a connu plus d’évolutions qu’en 200 ans, pour accompagner l’accroissement de la taille des navires dans un espace toujours restreint. Ce défi majeur renforce le distinguo entre le métier de capitaine de navire et celui des pilotes.

André GAILLARD © Jeune Marine DR

Ces derniers puisent des ressources en extérieur en faisant appel à des compétences d’autres métiers, à de nouvelles technologies comme les simulateurs et les PPU et à l’excellence française, à l’image du chantier Merconcept.

Eric BANEL et André GAILLARD © Jeune Marine DR

Éric Banel, directeur de la DGAMPA, a remercié les pilotes pour leurs rôles importants dans l’écosystème maritime, et même au-delà, livrant en conclusion une petite confidence personnelle, son regret de ne pas avoir été lui-même pilote.

©Jean-Vincent Dujoncquoy

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