Comme évoqué en édito la situation n’est pas facile mais les officiers de la Marine Marchande savent très bien rebondir et entreprendre.
Dans ce contexte particulier nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui Jean-Stéphane ROUL, C1NM Promo 1995 et fondateur des entreprises Karibs Sarg et de Karibs Link, qui nous offre sa vision d’une industrie maritime plus efficace, plus écologique et plus adaptée à nos océans.
Aux manettes d’un projet d’envergure internationale qui se propose d’allier offre de service de transport et dépollution des mers caribéennes, il a accepté de répondre à nos questions.
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- C1NM Promo 1995
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- Premiers embarquements à la CMA CGM, CMN et SNCM
- 1997 à 2005 navigation sur navires citernes (ST, Green Tankers, Bergesen)
- 2005 rejoint Total à Genève aux Operations Maritimes (CSSA).
- 2012 nommé Directeur des Opérations Maritimes de la division trading shipping pour le continent à Américain, basé à Houston.
- Fin 2018 début de mon aventure entrepreneuriale
- 15 Mai 2020, Décision de créer un Armement Caribéen
Jeune Marine : Bonjour Jean-Stéphane Roul, avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous dire un mot sur votre parcours ?
Je suis né à Fort-de-France, en Martinique. Après mes classes préparatoires et l’École Nationale Supérieure Maritime, j’ai bénéficié d’une formation en ingénierie du CNAM. Cela m’a permis d’entamer mon parcours professionnel comme Officier de la marine marchande puis de grimper les échelons jusqu’à atteindre le grade de Capitaine, en naviguant principalement à bord de supertankers au long cours.
J’ai alors rejoint le groupe Total en salle de trading à Genève. J’ai officié au département shipping CSSA où je coordonnais des flottes navires avant d’être nommé à Houston, Directeur des opérations shipping pour le continent américain de la division Trading Shipping.
Jeune Marine : Et aujourd’hui, vous vous lancez dans une toute nouvelle aventure avec votre projet. Celui-ci propose d’ailleurs une solution disruptive et novatrice par rapport à l’industrie marchande ?
Exactement. Il s’agit en réalité de deux projets simultanés, dont les bénéfices, les moyens et l’infrastructure complexe fonctionneront en synergie.
Pour le dire simplement, il s’agit de proposer une solution novatrice au problème de la prolifération des sargasses, un phénomène récurrent sur les plages caribéennes depuis quelques années. Jusqu’ici, peu de choses ont été proposées pour débarrasser les plages de ces algues nuisibles, et ainsi réduire le fort impact qu’elles ont sur les populations et les écosystèmes.
Il convenait donc d’impulser un projet à la fois efficace et viable économiquement. Je rappelle que l’on parle de plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’algues, ce qui requiert une intervention de grande ampleur, et donc des coûts importants. Dans ce cadre, approcher les financeurs en background devient plus aisé.
La solution que je propose inclut d’un côté KARIBS LINK, un armement marchand au sens le plus classique du terme, mais présentant la spécificité de n’utiliser que des navires à taille réduite, moins énergivores, plus rapides, et surtout pouvant naviguer partout grâce à leur très faible tirant d’eau. De l’autre côté, on trouve KARIBS SARG, l’organe chargé de la dépollution des mers caribéennes. Sa mission est simple : concevoir puis construire des modules spécialisés adaptables aux navires de la flotte dans le but d’effectuer le ramassage, non seulement de sargasses, mais aussi d’autres polluants tels que les plastiques, et ce en très grandes quantités. Il s’agit, en tout état de cause, d’une innovation pour laquelle j’ai déposé récemment un brevet.
Jeune Marine : Donc, pour résumer, nous avons d’un côté KARIBS LINK qui a un modèle économique établi et connu, et de l’autre KARIBS SARG qui dépollue les mers ?
C’est l’idée originelle, oui. Ceci dit je suis convaincu qu’à terme, KARIBS SARG sera elle aussi une solution très « rentable ». Le fait est que nous sommes à une période charnière en termes d’économie verte et bleue. Je suis de très près ce qui se fait depuis quelques années en matière de valorisation de déchets, et d’algues notamment, et je constate que les initiatives se multiplient au moment où nous parlons. Il est établi que la sargasse est un matériau très intéressant, et qu’on peut notamment l’utiliser pour la fabrication d’équipements très divers, chaussures, briques, papier, ou des biocarburants avec de vraies pistes pour produire de l’ammoniac ou de l’hydrogène.
La vraie difficulté est de convaincre les divers collaborateurs, financiers et actionnaires de la viabilité de ce marché, puisque ce dernier est précisément en train d’éclore. Ce débat est rendu plus difficile encore à cause de la saisonnalité du phénomène. Il convient donc de trouver une solution qui lui soit adaptée.
Jeune Marine : Quel intérêt présente votre projet comparé aux pratiques actuelles ?
Je note que, souvent, les populations sont désœuvrées face aux invasions de sargasses. Les municipalités tentent bien de ramasser ces tonnes d’algues mais avec des moyens limités. Or sans une logistique sérieuse et organisée du ramassage au recyclage voire à la valorisation, le système atteint rapidement ses limites. En ce moment, la meilleure méthode consiste à déplacer les algues des plages jusqu’aux terres à l’aide de tractopelles afin qu’elles sèchent. Pourtant, l’utilisation de ces engins de chantiers très lourds a un impact très néfaste sur d’autres écosystèmes comme le cycle de reproduction des tortues dans le sable par exemple. Par ailleurs, le fait de déposer ces algues particulièrement polluantes dans des sortes de décharges à ciel ouvert est un véritable drame pour la nappe phréatique et les terres environnantes.
Ma solution, elle, consiste à récupérer les algues en mer. De cette façon, on évite les échouages et le phénomène de pourrissement qui suit avec ses dégagements d’hydrogène sulfuré et d’ammoniac particulièrement toxiques.
Jeune Marine : Selon votre modèle, vous allez récolter les sargasses avant même qu’elles ne se déposent sur les plages : il y a un réel enjeu environnemental mais surtout touristique pour les départements d’Outre-mer. Les collectivités sont-elles d’ores et déjà partie prenante de ce projet gagnant/gagnant ?
Si les dégagements nauséabonds d’hydrogène sulfuré, signature des échouages massifs de sargasses, demeurent un problème de santé publique, il n’en reste pas moins vrai que les plages, fer de lance de notre économie touristique, se trouvent également défigurées pour de longues périodes.
Dans le même temps, la toxicité de ces algues a été démontrée maintes fois. Elles concentrent naturellement des métaux lourds ce qui rend problématique leur abandon dans la nature. Leur pourrissement qui débute après les échouages, provoque l’eutrophisation de la zone par la consommation de tout l’oxygène présent dans l’eau. Quant aux jus de fermentation, ils tuent la faune et la flore en se répandant au large. Des phénomènes bien connus et tout à fait désastreux pour le secteur de la pêche.
Ainsi, l’impact économique et sanitaire des échouages est dramatique. Malheureusement, force est de constater que malgré les efforts fournis, des études restent encore à être menées et des initiatives gouvernementales à la mesure du problème à apporter. Le fait est courant, on ne peut évidemment pas tout gérer, et parfois il faut que des entrepreneurs locaux soient force de proposition afin de créer une sorte de signal d’alerte. C’est ce que j’ambitionne de faire. Je suis persuadé qu’une fois que les collectivités auront conscience à la fois des conséquences du phénomène et des profits de la solution, nous pourrons rapidement mettre en place les moyens de faire face à cette prolifération.
Jeune Marine : Vous parliez tout à l’heure de la saisonnalité de ce phénomène. Votre solution peut-elle s’avérer viable à l’année ?
Votre question relève très justement l’un des problèmes centraux. Résoudre l’équation entre viabilité, utilité et efficacité est complexe et coûteux. Mais c’est là que réside l’intérêt de proposer une double solution de service. Structurellement, nous sommes un armement de transport. Dans les faits, lorsque cela s’avérera nécessaire, nous disposerons en plus de modules adaptés à notre flotte qui pourront agir en temps et en heure pour protéger populations, territoires et économies.
La dimension éthique semble être au centre même du projet global
Exactement. Je suis intimement persuadé que l’on peut conjuguer rentabilité et éthique, projet de grande envergure et activisme humaniste.
Nous avons parlé d’écologie, et du fait que notre flotte sera tout adaptée pour faire face au phénomène de sargasse que connaissent les Caraïbes actuellement.
La mise en service de navires multimodaux conçus et exploités par nos équipes aura de très nombreuses incidences positives sur la vie locale et l’emploi. Elle réduira considérablement les pollutions routières liées au transport et les besoins énergétiques en général, elle permettra un acheminement rapide d’eau, véritable problème pour certaines îles des Caraïbes ne disposant pas toujours de sources naturelles. En outre, ces unités polyvalentes modernes auront une action de soutien aux populations lors des autres catastrophes naturelles telles que les cyclones ou les tempêtes, si fréquentes dans cette région du monde. Nous sommes d’ailleurs, en ce moment même, en discussion avec l’Action de l’État en Mer pour définir les contours de l’aide que nous pourrons leur apporter.
Toutes ces choses, les navires que l’on croise généralement en mer des Caraibes sont trop lourds, trop lents, trop anciens, et avec des tirants d’eau trop importants, en sont actuellement incapables.
Jeune Marine : L’organisation et le financement d’un tel projet sont compliqués et lourds, avez-vous des besoins que l’on peut relayer ?
Effectivement, les coûts sont conséquents. C’est pourquoi nous sommes toujours à la recherche de fonds supplémentaires et de collaborateurs soucieux d’œuvrer pour la préservation de ce territoire unique au monde. Voilà pourquoi je répète inlassablement que cette solution, de par sa dimension plurielle, sera forcément rentable. Il suffit juste de la mettre sur les rails pour qu’elle nous conduise au succès.
Beaucoup de choses restent à faire. Je constitue actuellement les équipes des différents pôles de ce projet, nous parlons de créations d’emplois à tous les niveaux de qualifications, et de créations de nouvelles filières en prise directe avec l’économie bleue, l’économie verte, et des modèles économiques qui s’inscrivent dans une économie vertueuse et durable.
Nous préparons notre participation aux différentes levées de fond et aides à l’innovation mises en place par les collectivités ou groupements privés.
Nous offrir cette visibilité est, dans cette dynamique d’ores et déjà impulsée, déjà d’une grande aide.
Merci Jean-Stéphane ROUL. Nous sommes très heureux d’assister à la naissance d’un nouvel armateur, et pouvons d’ores et déjà annoncer à nos lecteurs que Jean-Stéphane va nous partager des articles pour suivre cette naissance donc rendez-vous au prochain épisode !