Rencontre avec Karine CLAIREAUX
Présidente du CNML et Maire Honoraire de Saint-Pierre-et-Miquelon
Madame Karine CLAIREAUX, actuelle Présidente du Conseil National de la Mer et des Littoraux, mais également ancienne Sénatrice et Maire honoraire de Saint-Pierre-et-Miquelon, nous fait l’honneur de partager avec les lecteurs de Jeune Marine la situation, les enjeux et les challenges qu’attendent le maritime en cette période compliquée. Le CNML joue un rôle essentiel dans la concertation nationale et les orientations du maritime français, voici les réponses de sa Présidente
Jeune Marine : Bonjour Madame CLAIREAUX, vous êtes une personnalité bien connue du monde maritime mais nombre de marins ne connaissent pas vraiment le CNML dont vous êtes la Présidente. Pouvez-vous nous présenter ce Conseil National de la Mer et des Littoraux et surtout les enjeux de ce dernier ?
Le Conseil national de la mer et des littoraux est composé d’une cinquantaine de personnes, donc une centaine avec les suppléants, qui représentent les différentes parties prenantes d’un développement-durable de la mer et du littoral : élus, entreprises, syndicats, associations, établissements publics et personnalités qualifiées. C’est à la fois un héritier du Conseil national du littoral et du Grenelle de la mer. On y discute la stratégie nationale pour la mer et le littoral et toute question qui s’y rapporte.
Les enjeux du CNML ce sont avant tout les enjeux de la politique maritime : la transition écologique, le dynamisme de l’économie bleue, la bonne santé de l’océan, l’adaptation et l’économie de nos territoires littoraux, les priorités pour la recherche, notre positionnement européen etc. tous sujets sur lesquels nous avons pu produire conseils et recommandations. La crise sanitaire nous a même amenés à proposer, en réponse au discours du Président de la République, des recommandations pour une accélération de notre politique maritime qui a rebalayé le tout de façon très large.
L’enjeu pour le CNML, en tant qu’institution, c’est de réussir à être un lieu de débat entre acteurs porteurs d’intérêts différents. Il peut être ainsi un conseil précieux pour le gouvernement en faisant émerger des consensus, ou au pire, en posant clairement les termes des désaccords ce qui éclaire aussi la décision politique.
Jeune Marine : Notre nouvelle Ministre de la Mer Annick GIRARDIN a acté une réelle ambition maritime pour la France et les Outre-mer accompagné d’un budget intéressant, ce ministère et cette ambition tombent à pic pour le Conseil que vous présidez. Qu’attendez-vous concrètement de ce nouvel accompagnement fort du maritime ?
Avoir un ministère de la mer était une attente forte exprimée depuis longtemps par les acteurs de la mer. Ce n’est pas une tâche facile car la mer est une question transversale qui concernera toujours plusieurs ministères, presque tous à vrai dire. Mais c’est pour cela aussi que nous avons besoin d’un ministre de la mer qui, en permanence au sein du gouvernement, rappelle la réalité maritime de notre pays car celui-ci, entre ses façades métropolitaines et ses Outre-Mer, est la seule nation présente sur tous les océans et mers du globe.
Ce ministère doit aussi incarner la politique maritime de la France tant sur le plan national que sur plan européen et international. Politique maritime qui se doit d’être forte et ambitieuse, à la hauteur des enjeux.
Le Conseil National de la Mer et des Littoraux pour sa part est un outil précieux dont la ministre doit se saisir car il est la seule instance de dialogue et de réflexion stratégique pour les politiques relatives à la mer et au littoral regroupant tous les niveaux (6 collèges) de force vive du maritime. L’enthousiasme et le sérieux de ses membres en fait un outil pro-actif et une véritable force de propositions.
Jeune Marine : Originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon dont vous avez été la Maire près de 20 ans, la mer a toujours été votre horizon, avez-vous enfin le sentiment que Paris regarde le même horizon ou que les Outre-mer risquent de rester au port alors que des projets qualifiés plus ambitieux prennent la mer ?
Pour moi, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon c’est « par la mer et pour la mer ». La Mer, avec un M majuscule, c’est notre raison d’être. Seule collectivité française en Amérique du Nord et en zone subarctique, c’est une véritable opportunité que la Mère patrie n’a jamais su saisir, malheureusement.
Tant que la pêche à la morue battait son plein, le fait d’être le « poil à gratter » dans la diplomatie franco-canadienne était toléré, l’archipel étant une escale importante pour les Terre-Neuvas. Lorsque nous avons perdu les droits de pêche et pire encore après l’arrêt du Tribunal arbitral de New-York en 1992, l’intérêt maritime de la France pour Saint-Pierre-et-Miquelon a presque totalement disparu. Le « jeu n’en valait plus la chandelle », et avec un dossier épineux la diplomatie française n’allait pas « perdre son temps » en défendant le droit de l’archipel à exister au niveau maritime, pensant que c’était « perdu d’avance ». Aux yeux du MAE il y avait des dossiers beaucoup plus importants sur lesquels se concentrer. Un Premier Ministre avait dit à Albert Pen, alors maire de Saint-Pierre et parlementaire, « la France ne va quand même pas faire la guerre au Canada pour quelques queues de morues ». Tout était dit…
En 2013, avec Annick Girardin alors député et étant moi-même sénatrice, nous avons porté ensemble le dossier d’extension du Plateau Continental. Nous plaidions pour un Plateau Continental étendu qui restait potentiellement l’ultime alternative pour reconstruire un avenir économique pour les Saint-Pierrais et les Miquelonnais. Au-delà de l’intérêt d’un tel dossier pour l’archipel, faire valoir ce droit à l’extension de notre Plateau Continental, c’était aussi faire valoir les droits de la France en Amérique du Nord. Une lettre d’intention a bien été déposée. Nous attendons la suite avec impatience, mais nous le savons, les dossiers prennent du temps avant d’être examinés par la commission ad hoc. Pour autant, lorsque la France et le Canada seront renvoyés dos à dos (option la plus vraisemblable faute d’accord) et même si je rêve que le PR et le PM défendent nos droits comme Margaret Thatcher l’a fait pour les Malouines, je crains qu’une nouvelle fois (comme en 92) la défense de nos droits ne soit pas la priorité. J’espère toutefois me tromper, l’avenir nous le dira.
Jeune Marine : Les Assises de la Mer se dérouleront cette année à Nice (à cette heure reportées en septembre 2021), les dernières éditions ont plutôt été constructives quant aux annonces. Qu’attendez-vous pour le CNML mais également pour votre territoire ultra-marin ?
Les Assises de l’économie de la mer sont un rendez-vous annuel très important qui comptent pour le monde économique, comme un moment d’échange et de projection dans l’avenir. Dans ses recommandations pour une accélération de la politique maritime en faveur de la relance mer et littoral rendues en juillet, le CNML s’est adressé au gouvernement mais aussi à tous les acteurs, en particulier ceux de l’industrie et de l’économie.
Les participants aux Assises devraient se saisir de ce qui est proposé pour l’industrie, notamment en matière d’innovation, pour les produits de la mer en termes de circuit de commercialisation ou de nouveaux modèles d’aquaculture, pour une relance d’un tourisme littoral qui soit durable ou encore pour l’avenir du transport maritime et des ports.
De même sur la politique maritime européenne, nous souhaitons que la France soit pro-active et entraîne les autres pays dans une dynamique clairement affichée, que l’étendue de son domaine maritime à travers le monde rend totalement légitime.
S’en saisir et les discuter, les transformer en projets en partenariats, les faire passer de recommandations à actions concrètes, c’est cela que j’attendrai des Assises, comme valorisation du travail du CNML.
Pour l’archipel, mais aussi pour tous les Outremers, ce que j’attends c’est déjà que l’on parle de ces territoires qui font de la France la première nation en Europe et la seconde dans le monde de par l’étendue de ses frontières maritimes. Leur positionnement géostratégique qui amène à la géopolitique, la richesse de leur biodiversité, leur potentiel au niveau de la Recherche sont autant de points d’intérêt à mettre en avant dans le cadre de l’économie maritime.
Jeune Marine : Assez méconnu des Officiers français, Saint-Pierre-et-Miquelon a sa propre compagnie de ferries ( SPM Ferries ) avec deux unités neuves de 53m et une station de pilotage maritime ( voir notre brève en ligne ) : avez-vous des perspectives d’embauches et d’accueil d’officiers métropolitains ?
La Collectivité Territoriale est propriétaire des deux ferries et a régulièrement besoin d’officiers dont plusieurs viennent déjà de métropole. La station de pilotage aura à nouveau, dans les mois qui viennent, besoin d’un pilote. « Pêcheurs du Nord », la compagnie de pêche installée à Miquelon a aussi régulièrement besoin de marins, officiers ou non. D’autres projets en cours d’élaboration au niveau du transport de marchandises ou encore de la Plaisance, s’ils aboutissent, ce que nous espérons, auront besoin de gens du métier. Depuis cette rentrée, l’enseignement maritime est à nouveau dispensé au Lycée professionnel de Saint-Pierre mais il ne forme pas d’officiers. Les jeunes intéressés doivent donc partir vers la métropole afin de se former et d’ici qu’ils puissent revenir, ce sont des officiers métropolitains qui sont recrutés.
Jeune Marine : Le Canada ouvre également ses portes aux Officiers français, y a-t-il selon vous des réelles possibilités d’embauches et que pensez-vous de cette opportunité ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le Canada ouvre ses portes mais ce n’est pas si facile d’y faire sa place. Ceci-dit, il y a de belles perspectives pour celles et ceux intéressés par la navigation dans la région, que ce soit dans l’Atlantique Nord, au Labrador, en Arctique, sur le fleuve Saint-Laurent ou sur les Grands Lacs. De vous à moi, je préférerais cependant voir les officiers français venir sur l’archipel, donc rester en France…
En effet, Saint-Pierre-et-Miquelon, c’est l’Europe en Amérique et la France en Arctique. Durant mon mandat au Sénat, j’ai travaillé sur le sujet et interpellé le Président de la République à plusieurs reprises. Il faut profiter de ce formidable atout qu’est notre position géographique en zone subarctique.
Je proposais notamment d’inclure un chapitre dédié à Saint-Pierre-et-Miquelon dans la Feuille de Route Nationale sur l’Arctique (FRNA). Une fois cela acté, il faudrait rédiger une “feuille de route arctique” pour l’archipel dans le double cadre de la FRNA et de la communication conjointe Commission Européenne-Service Européen d’Action Extérieure, notamment dans la perspective de développer un nouveau projet de territoire ambitieux et obtenir un soutien de la Commission Européenne. Pour que tout cela puisse se faire sereinement, je proposais aussi et cela reste toujours d’actualité, de déjudiciariser les relations et revenir à une négociation diplomatique avec le Canada pour parvenir à un accord bilatéral de partage des eaux et du plateau autour de Saint-Pierre-et-Miquelon, en proposant par exemple un soutien à la diplomatie canadienne dans l’espace Arctique comme contrepartie, dans la perspective de la rédaction en cours de l’actualisation de la stratégie arctique canadienne et du développement du trafic maritime dans le Passage du Nord-Ouest.
Des perspectives, il y en a, encore faut-il avoir la volonté de poser les bases d’un développement endogène, plutôt que de laisser l’archipel sous perfusion. Espérons qu’avec Annick Girardin à la tête du Ministère de la Mer, le Gouvernement comme le Chef de l’Etat auront à cœur de rendre possible ce que m’a dit Monsieur Macron lors du Grand Débat consacré aux Outremers :
« Dans les pôles, il est clair que les opportunités vont se multiplier. Des routes maritimes sont en train de s’ouvrir. Il nous faut développer une politique des pôles et une politique stratégique avec Saint-Pierre-et-Miquelon ».