À la uneJeune Marine N°256

Acteurs des GPM : maintenant que l’on s’entend, ne serait-il pas temps de s’écouter ?

Par Aymeric AVISSE

Aujourd’hui acteurs stratégiques et héros invisibles des crises, hier salariés nantis des régimes spéciaux qui bloquent les ports, les marins et autres salariés portuaires sont passés par tous les titres ces derniers temps, mais n’y a-t-il pas un juste milieu réaliste de la situation du modèle portuaire et maritime français ? Les ports français regroupent de nombreux acteurs, qu’ils soient terriens, marins, ou marins devenus terriens et malgré une entente de façade, force est de constater que l’écoute n’est pas encore la règle…..

Au sein de l’organisation portuaire, les marins navigants ou anciens navigants se concentrent dans la régulation portuaire, au pilotage, au remorquage et au lamanage. Ces acteurs ont un but commun, d’assurer le trafic en toute sécurité, mais surtout ont un client commun : l’armateur. Chacun se fait un devoir de servir le plus qualitativement possible son client mais pour autant les situations se rôdent et des habitudes se créent pour palier les carences d’acteurs ou pour prendre la contrainte comme nouvelle règle dans un fonctionnement global, sans faire part des difficultés de chacun. Entre les impératifs commerciaux portuaires et les acteurs du port, les rythmes, les enjeux, les manières de travailler peuvent tellement différer qu’il est très facile de rejeter la faute sur l’autre sans essayer de le comprendre : qu’il serait simple d’ouvrir le port à 8h et de le fermer à 20h ! Mais le maritime c’est 24h sur 24 et 7 jours sur 7 avec autant de contraintes que d’activités et d’acteurs.

Fos Port Control © Vincent BACCELLI

Cependant, la nouveauté constatée ces dix dernières années c’est l’origine des officiers : les précédentes générations étaient issues d’écoles différentes, donnant des diplômes et brevets plus ou moins qualifiants, voire des corporations différentes (reclassement militaire) ; aujourd’hui les officiers en vigie, sur les quais, à bord des navires pilotés ou sur les remorqueurs sont majoritairement tous sortis de la même formation et dispensée dans la même école : l’ENSM (anciennement ENMM). Il est indéniable que le contact et l’empathie concernant les situations de chacun n’en sont que facilités ; mais pour autant, des non-dits et des enjeux parfois colossaux – lorsque l’on prend le cas d’une station de pilotage ou de lamanage, dont les acteurs sont propriétaires de leur outil et qui s’engagent sur leur fonds propres – sont totalement en dehors des considérations des autres acteurs salariés qui ne risquent que peu de perte. Se mettre à pointer le voisin comme ennemi commun à l’origine de tous ses maux ou souhaiter la concurrence entre acteurs n’est pas une solution au modèle français, surtout quand on est soi-même en monopole et que la concurrence chez les uns appellera obligatoirement à terme la concurrence chez les autres…. Chez tous les autres….

Captain Alessandri Doyen des pilotes Marseille © Vincent BACCELLI

Les pilotes se doivent de faire rentrer les navires sur l’organisation du port, mais pour reprendre les propos d’un collaborateur Jeune Marine, pilote à Marseille, « le meilleur des pilotes ne poussera jamais aussi fort que le plus mauvais remorqueur » ou ne sera jamais assez agile pour sauter de la passerelle et amarrer le navire. La combinaison des compétences de chacun amène à une manœuvre sûre, efficace et donnant satisfaction au client. Fournir les remorqueurs adaptés à une situation donnée est un impératif, avoir le matériel de lamanage adéquat est un impératif, avoir une gestion humaine sûre est un impératif mais au final avoir une coordination entre acteurs est un pré-requis INDISPENSABLE. Chaque économie chez les uns entraîne de nouvelles contraintes chez les autres,  alors comment conjuguer business, rentabilité et sécurité lorsque les uns vont imposer aux autres de travailler sur des rythmes très intenses pour gagner un tour de pilotine ou pour ne pas faire une heure de geste commercial sur l’occupation d’un quai ? Comment comprendre l’arrêt d’un service portuaire pour plusieurs heures ou jours lorsque seuls les intéressés comprennent leur mouvement ? Le fonctionnement de la machine portuaire est l’affaire de tous les acteurs mais qui ne se parlent pas ou mal.

Mais le problème de fond des ports est-il donc pour autant uniquement humain ? Rien n’est moins sûr ! L’ensemble des marins s’accordera sur la frustration de se balader dans nos ports français aux quais sous-exploités ou en ruine….

Déficit d’attrait ? Déficit de moyens ?

Nous avons à ce jour les GPM les mieux placés d’Europe, sans contraintes de longs chenalages et de passages d’écluses mais le chemin le plus rapide pour se faire livrer un conteneur à Marseille est la Belgique ou la Hollande ; nous avons un accès unique à Paris avec la Seine, un fleuve maritime à la capacité extraordinaire, mais nous creusons un canal de plus de cent kilomètres pour le nord de l’Europe avant même d’avoir exploité le fleuve navigable naturel car il a été oublié (?) de creuser 400m pour relier Port 2000 à la Seine…. Sans parler de notre GPM des Hauts de France qui voit passer tout le trafic nord-européen en attendant de réfléchir à savoir comment lui faire faire escale en France.

Le maritime est une formidable solution vertueuse à l’économie française, une solution d’avenir à l’indépendance française et à l’écriture de l’histoire moderne d’une marine marchande française qui a tous les atouts géographiques et humains, mais qui fait aujourd’hui les affaires de nos voisins…

Les acteurs marins sont là, peut-être incompris ou désorganisés, mais une ligne directrice claire et une organisation concertée comme il a pu être de mise pendant l’état d’urgence dans certains GPM, ne ferait qu’apporter une vision optimiste occultant la perte d’acquis contre l’envie d’accompagner son outil de travail vers les beaux jours. Il est facile, comme exposé dans certains de mes derniers articles, de pointer l’humain comme cause de tous les maux, mais tout le monde aspire à un avenir ensoleillé et sans souci et non à faire route vers la tempête : les enjeux personnels et collectifs sont importants, bâtissons ensemble un modèle d’entente et d’écoute avant qu’on ne puisse plus que s’écouter soi-même….

Pour finir, n’oublions pas que chacun de nous pourrait être à la place de l’autre et que nous regardons dans la même direction : il est temps de réfléchir à nos actes avant de bloquer les autres, de réfléchir à s’accorder pour faciliter le service aux armateurs au lieu de se focaliser sur ses propres intérêts et surtout de réussir à s’adapter aux demandes du client au lieu de leur imposer notre modèle acquis d’un autre temps.

Lamaneur © Vincent BACCELLI

Je ne peux avoir qu’une vision optimiste de la situation car je ne doute nullement de la capacité de chacun à fabriquer l’avenir des ports dans la meilleure entente et écoute. La concurrence dans le remorquage portuaire au Havre n’a apporté que division et perte de qualité de service et les grèves portuaires nationales récentes ont considérablement dégradé l’image des ports français. A l’heure de la remise en question il serait temps de se rendre compte que tout est là, nos voisins n’ont rien de plus que nous, bien au contraire ! Et il ne tient qu’à nous, Officiers, Pilotes, Lamaneurs, Armements, GPM de nous organiser intelligemment les uns avec les autres, en écoutant les besoins de tous pour huiler la machine portuaire et aider à contribuer à son attractivité.

Aymeric AVISSE

 

 

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