Le débat animé par Jeune Marine ce jeudi 25 novembre dans l’amphithéâtre de l’ENSM du Havre était prometteur à deux titres. Ce coup d’essai (et coup de maître) ouvre un cycle de conférences autour de thèmes maritimes au profit des élèves de l’Ecole, quelles que soient leurs promotions, et a remis à flot un sujet qui semblait s’enliser dans les chenaux des ports régionaux : la place du cabotage dans la collecte et la distribution des marchandises.
Comme l’a rappelé Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du Cluster Maritime, dans sa chaleureuse conclusion, Jeune Marine contribue par ses initiatives à consolider la solidarité du réseau « Hydros » pour mieux porter ses voix et ses projets. L’un de ces projets pourrait ressusciter un jour une nouvelle desserte entre un mastodonte portuaire et une région du littoral français.
La possibilité et l’opportunité de basculer une partie du trafic routier au départ des hubs européens vers la voie maritime ont été chaudement discutées durant trois heures et demie. Antoine Person, Secrétaire Général de Louis Dreyfus Armateurs, Henry Caubrière, Président de la Fédération Française des Pilotes Maritimes et Charles Gauthier, Capitaine d’Armement chez Marfret, ont rappelé les spécificités hexagonales qui ont freiné la distribution côtière : un pays qui se désindustrialise, réduisant ses besoins d’exportation à partir des régions ; une géographie et des infrastructures qui font la part belle à la route, laquelle peut proposer des coûts difficiles à concurrencer ; une demande forte des donneurs d’ordre pour un porte-à-porte ponctuel et rapide ; des ruptures de charge portuaires coûteuses. Antoine Person et Philippe Cheviron, Directeur chez SMR France Manutention Portuaire, ont évoqué des expériences passées d’Autoroutes de la Mer et de services rouliers sur des lignes secondaires qui durent cesser faute de fret.
Les participants ont partagé les raisons pour lesquelles le cabotage pourrait cependant redevenir d’actualité : Karim Chami, Directeur chez MSC France, a évoqué la saturation des grands ports et le besoin pour son armement de trouver des ports de repli et de distribution. Julien Bourbon, pilote à Saint-Malo, a rappelé les avantages que présente un port régional, sa polyvalence et sa flexibilité. Les animateurs de Jeune Marine ont insisté sur le succès du modèle dans les pays du nord de l’Europe, avec des plateformes de coopération entre acteurs de la logistique, très actives, des dessertes nombreuses et un trafic portuaire très supérieur en moyenne à celui des ports français : c’est le cas des nombreux ports allemands qui se répartissent assez équitablement le tonnage en transit.
L’enjeu environnemental et le rôle que pourraient jouer dans le futur les navires marchands, ont fait l’objet d’une discussion très riche. Nils Joyeux, l’un des créateurs de Zéphyr & Borée, mise sur l’apport d’une propulsion mixte thermique – vélique pour améliorer rapidement le bilan écologique des bateaux. Cette technologie n’est pas la seule à être explorée, et les participants ont peint un paysage énergétique en pleine évolution, avec une taxe carbone qui pénalisera le trafic maritime si ces nouveaux carburants ne sont pas développés. Tous s’accordent sur l’impact de la vitesse et sur l’importance de sa modération : les leçons du COVID pourraient encourager les industriels à reconstituer des réserves de matières et d’équipements, revisitant leurs exigences de rapidité. Une logistique qui serait moins sous la contrainte du temps, servirait la cause du cabotage en réduisant drastiquement les consommations grâce à une pondération des vitesses.
Répondant à la question de la bonne adaptation des formations à la navigation côtière, Caroline Grégoire, Directrice des ENSM, a confirmé que les écoles sauraient s’adapter à la demande et au contexte. Sans forcément en revenir à des diplômes spécifiques, l’ENSM pourrait imaginer, si le besoin venait à émerger, des modules complémentaires qui prendraient en compte les particularités du cabotage, mode de navigation dont Charles Gauthier a su rappeler les contraintes. Frédérique Heurtel, avocate spécialisée dans le Cabinet Stream, a confronté les différents modèles sociaux associés aux pavillons autorisés sur les côtes européennes, modèles à la recherche d’un compromis coûts / protection.
Comme l’a très bien résumé Frédéric Moncany dans sa conclusion, le rééquilibrage partiel route – mer nécessitera une convergence de l’économie et du sociétal : si le monde maritime doit améliorer son bilan énergétique, sa souplesse logistique, et réduire les freins structurels que sont les ruptures de charges et ses coûts associés, rien ne se fera sans une volonté politique et un système de contraintes – encouragements. Il est urgent de remettre tous les acteurs logistiques autour de la table de travail pour préparer l’avenir en s’inspirant d’autres modèles et en misant sur des innovations activement préparées.
Forte de ce premier succès, Jeune Marine vous donne rendez-vous pour un nouveau débat en 2022 !
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