À la uneJeune Marine N°261

Comment concevoir un voilier pour le 21e siècle ?

De Kris de DECKER traduit par Stanislas ORIOT

« La technologie est devenue l’idole de notre société, mais le progrès technologique vise – le plus souvent – à résoudre les problèmes causés par des inventions techniques antérieures. En revanche, il y a beaucoup de potentiel dans des connaissances et des technologies passées et souvent oubliées lorsqu’il s’agit de concevoir une société durable. Des possibilités intéressantes se présentent lorsque vous combinez une ancienne technologie avec de nouvelles connaissances et de nouveaux matériaux, ou lorsque vous appliquez de vieux concepts et des connaissances traditionnelles à la technologie moderne. »

Stanislas ORIOT nous partage cette semaine cet article original de Kris de DECKER, traduit par Stanislas et hébergé sur un site Internet autonome en énergie (voir ICI), un article sur le transport de marchandises et de passagers à la voile qui soulève la question de la durabilité d’une telle entreprise.

 

Comment concevoir un voilier pour le 21e siècle ?

« Il est étonnamment difficile de construire un voilier à impact carbone neutre. C’est d’autant plus le cas aujourd’hui que nos normes de sécurité, de santé, d’hygiène, de confort et de commodités ont profondément changé depuis l’Age de la Voile. »

Le voilier est un exemple classique de durabilité. Depuis au moins 4 000 ans, les voiliers transportent des passagers et des marchandises à travers les mers et les océans du monde sans utiliser une seule goutte de combustibles fossiles. Si nous voulons continuer à voyager et à commercer à l’échelle mondiale dans une société à faibles émissions de carbone, les voiliers sont l’alternative évidente aux porte-conteneurs, aux vraquiers et aux avions.

Toutefois, par définition, le voilier n’est pas une technologie neutre en carbone. Pendant la majeure partie de l’histoire, les voiliers ont été construits en bois, mais, à l’époque, des forêts entières étaient abattues pour la construction des navires, et ces arbres ne repoussaient souvent pas. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les voiliers étaient de plus en plus souvent fabriqués en acier, qui a lui aussi une empreinte carbone importante.

L’idée d’une neutralité carbone de la voile au XXIe siècle est encore plus soumise à questions. C’est parce que nous avons profondément changé depuis l’Age de la Voile. Par rapport à nos ancêtres, nous avons des exigences plus élevées en termes de sécurité, de confort, de commodités et de propreté. Ces standards plus élevés sont difficiles à atteindre à moins que le navire ne dispose également d’un moteur diesel et d’un générateur à bord.

La renaissance du voilier

Le voilier a connu une modeste renaissance au cours de la dernière décennie, en particulier pour le transport de marchandises. En 2009, la compagnie néerlandaise Fairtransport a commencé à expédier du fret entre l’Europe et les Amériques avec le Tres Hombres, un voilier construit en 1943. La compagnie reste active aujourd’hui et dispose d’un deuxième navire en service depuis 2015, le Nordlys (construit en 1873).

Depuis, d’autres ont rejoint le secteur du transport de marchandises à voile. En 2016, la société allemande Timbercoast a commencé à expédier des marchandises avec le Avontuur, un navire construit en 1920. 1 En 2017, la Français Blue Schooner Company a commencé à transporter du fret entre l’Europe et les Amériques avec le Gallant, un voilier construit en 1916. 2 Tous ces voiliers ont été construits au XIXe ou XXe siècle, et ont été restaurés à une date ultérieure. Cependant, une renaissance de la voile ne peut pas compter uniquement sur les navires historiques, car ils ne sont pas en nombre suffisant. 3

Le Noach, construit en 1857.
Le Noach, construit en 1857.

À l’heure actuelle, il y a au moins deux voiliers en développement qui sont construits de zéro : le Ceiba et le EcoClipper500. Le premier est en cours de construction au Costa Rica par une société nommée Sailcargo. Il est fabriqué en bois et inspiré d’un navire finlandais du XXe siècle. Le deuxième est conçu par une société appelée EcoClipper, qui est dirigée par l’un des fondateurs du néerlandais FairTransport, Jorne Langelaan. Leur EcoClipper500 est une réplique en acier d’un clipper néerlandais de 1857 : le Noach.

« Les vieux modèles ne sont pas nécessairement les meilleurs », dit Jorne Langelaan,  mais chaque fois qu’un design éprouvé est utilisé, on peut être sûr de ses performances. Un nouveau design est plutôt un pari. En outre, aux XXe et XXIe siècles, la technologie de navigation s’est développée pour les voiliers rapides, ce qui est une tout autre histoire que les navires qui doivent pouvoir transporter des marchandises.

Des voiliers plus économiques

Ces deux navires – l’un en construction et l’autre en phase de conception – ont le potentiel de rendre le transport à la voile beaucoup plus économique qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est parce qu’ils ont une capacité de chargement beaucoup plus grande que les voiliers actuellement en service. À mesure qu’un navire s’allonge, sa capacité de chargement augmente plus que proportionnellement.

Le EcoClipper500 est une réplique grandeur nature du Noach.
Le EcoClipper500 est une réplique grandeur nature du Noach.

Le Ceiba (46 mètres de long), est propulsé par 580 m2 de voiles et transporte 250 tonnes de fret. Le EcoClipper500 (60 mètres) est lui propulsé par près de 1 000 m2 de voiles et transporte 500 tonnes de marchandises. À titre de comparaison, le Tres Hombres n’est pas beaucoup plus court avec 32 mètres, mais il n’accepte que 40 tonnes de marchandises – douze fois moins que le EcoClipper500. Un plus gros navire est également plus rapide et permet d’économiser de la main-d’œuvre. Le Tres Hombres a besoin d’un équipage de sept personnes, tandis que le EcoClipper500 n’a qu’un équipage légèrement plus grand de douze personnes.

Analyse de cycle de vie d’un voilier

Bien que le EcoClipper500 ne soit encore que dans sa phase de conception, il sera au centre de cet article. C’est parce que l’entreprise a réalisé une analyse de cycle de vie du navire avant de le construire. Pour autant que je sache, c’est la première analyse de cycle de vie d’un voilier jamais réalisée. L’étude révèle qu’il faut environ 1200 tonnes de carbone pour construire le navire.

La moitié de ces émissions sont générées pendant la production de l’acier et environ un tiers par des procédés de façonnage de l’acier et d’autres activités de chantier naval. Les peintures à base de solvants ainsi que les systèmes électriques et électroniques représentent chacun environ 5 % des émissions. Les émissions produites lors de la fabrication des voiles ne sont pas incluses parce qu’il n’existe pas de données scientifiques disponibles, mais un calcul rapide de coin de table (pour les voiles basées sur les fibres d’aramid) indique que leur contribution à l’empreinte carbone totale est très faible. 4

L’EcoClipper500 a une empreinte carbone de 2g de CO2 par tonne-kilomètre, cinq fois moins élevé que celle d’un porte-conteneur.

Si ces 1200 tonnes d’émissions étaient réparties sur une durée de vie estimée à 50 ans, alors l’EcoClipper500 aurait une empreinte carbone d’environ 2 grammes de CO2 par tonne-kilomètre de cargaison, conclut le chercheur Andrew Simons, qui a fait l’analyse du cycle de vie du navire. C’est environ cinq fois moins que l’empreinte carbone d’un porte-conteneurs (10 grammes de CO2/tonne-km) et trois fois moins que l’empreinte carbone d’un vraquier (6 grammes de CO2/tonne-km). 5

Vue vers la proue depuis la mâture sur le ‘Parma’, au mouillage. Alan Villiers, 1932-33. Le travail de Villiers décrit de façon vivante la période du début du XXe siècle pendant laquelle les voiliers de la marine marchande ou “grands navires” furent en rapide déclin.
Vue vers la proue depuis la mâture sur le ‘Parma’, au mouillage. Alan Villiers, 1932-33. Le travail de Villiers décrit de façon vivante la période du début du XXe siècle pendant laquelle les voiliers de la marine marchande ou “grands navires” furent en rapide déclin.

Transporter une tonne de fret sur une distance de 8000 km (environ la distance entre les Caraïbes et les Pays-Bas) produirait ainsi 16 kg de carbone avec l’EcoClipper500, contre 80 kg sur un porte-conteneurs et 48 kg sur un vraquier. Les proportions sont similaires pour d’autres facteurs environnementaux, tels qu’appauvrissement de la couche d’ozone, écotoxicité, pollution atmosphérique, etc.

Bien que le voilier bénéficie d’un avantage convaincant, il peut ne pas être aussi grand qu’on peut l’imaginer. Tout d’abord, comme Simons l’explique, il y a une question d’échelle. Un porte-conteneurs ou un vraquier bénéficie des mêmes avantages sur l’EcoClipper500 que le EcoClipper500 jouit sur le Tres Hombres. Il peut prendre beaucoup plus de fret – en moyenne 50 000 tonnes au lieu de 500 tonnes – et il n’a besoin que d’un équipage légèrement plus important de 20 à 25 personnes. 6

Deuxièmement, les navires alimentés aux combustibles fossiles sont plus rapides que les voiliers, ce qui signifie qu’il faut moins de navires pour transporter une quantité donnée de marchandises sur une période donnée. Le navire d’origine sur lequel l’EcoClipper500 est basé, naviguait entre les Pays-Bas et l’Indonésie en 65 à 78 jours, tandis qu’un porte-conteneurs fait ce voyage en environ moitié de temps (en prenant le raccourci par le canal de Suez).

Construire une flotte de voiliers

Il y a deux façons de réduire davantage les émissions de carbone des voiliers par rapport aux porte-conteneurs et aux vraquiers. L’une consiste à utiliser du bois plutôt que de l’acier pour construire les navires, comme pour le Ceiba. Si l’on permet aux arbres coupés de repousser (ce que les fabricants du Ceiba ont promis), un tel navire peut même être considéré comme un puits de carbone.

Cependant, il y a une bonne raison pour laquelle le EcoClipper500 sera fabriqué en acier : l’objectif de l’entreprise n’est pas de construire seulement un navire, mais une flotte entière. Jorne Langelaan : « Il y a peu de chantiers navals capables de livrer des navires en bois de nos jours. L’acier facilite la construction d’une flotte en moins de temps. »

Un compromis possible serait une construction composite, dans laquelle un squelette en acier serait relié à une quille de bois, des planches, et un pont. Andrew Simons : « Cela réduirait de moitié l’empreinte carbone de la construction. Il pourrait également être possible de fabriquer des superstructures et certaines sections de mâts et longerons à partir de bois au lieu d’acier.

Projections d’embruns sur le pont principal du ‘Parma’. Alan Villiers, 1932-33.
Projections d’embruns sur le pont principal du ‘Parma’. Alan Villiers, 1932-33.

A l’avenir, une autre possibilité pour réduire davantage les émissions d’un voilier par tonne-km serait de le construire encore plus grand. Bien que le EcoClipper500 ait une capacité de chargement beaucoup plus importante que les voiliers de fret actuellement en service, il est loin d’être le plus grand voilier jamais construit.

Les navires historiques tels que la Grande République (5000 tonnes), le Parme (5300 tonnes), le France II (7300 tonnes) et le Preussen (7800 tonnes) mesurent plus de 100 mètres de long et peuvent embarquer plus de dix fois la capacité de fret de l’EcoClipper500*. Langelaan rêve déjà d’un EcoClipper3000.

Passagers

La plupart des voiliers de fret traversant les océans aujourd’hui peuvent également embarquer quelques passagers. Entièrement chargé de fret, l’EcoClipper500 emmène 12 membres d’équipage, 12 passagers et 8 apprentis (passagers apprenant à naviguer). Si le pont supérieur n’est pas utilisé pour la cargaison, 28 autres apprentis peuvent s’y installer, de sorte que le navire peut accueillir jusqu’à 60 personnes à bord (avec un volume de chargement plus faible : 480 m3 au lieu de 880 m3).

L’empreinte carbone des passagers s’élève à 10g par passager-km, à comparer avec environ 100g par passager-km pour un avion.

Par conséquent, et depuis que les paquebots ont disparu, le EcoClipper500 devient également une alternative à l’avion. Selon les résultats de l’analyse du cycle de vie, l’empreinte carbone des passagers du EcoClipper500 s’élève à 10 grammes par passager-kilomètre, contre environ 100 grammes par passager-kilomètre dans un avion. Le transport d’un passager produit donc autant d’émissions de carbone que le transport d’une tonne de fret.

Moteur ou pas ?

Fait important, l’analyse du cycle de vie du EcoClipper500 suppose qu’il n’y a pas de moteur diesel à bord. Sur un voilier, un moteur diesel peut servir à deux fins, qui peuvent être combinées. Tout d’abord, il permet de propulser le navire lorsqu’il n’y a pas de vent ou lorsque les voiles ne peuvent pas être utilisées, par exemple en sortant d’un port ou en y entrant. Deuxièmement, combiné à un générateur, un moteur diesel peut produire de l’électricité pour la vie quotidienne à bord du navire.

Pendant la majeure partie de l’histoire, la consommation d’énergie à bord d’un voilier n’était pas trop problématique. Il y avait du bois à brûler pour la cuisson et le chauffage, et il y avait des bougies et des lampes à huile pour l’éclairage. Il n’y avait pas de réfrigérateurs pour le stockage des aliments, pas de douches ou de machines à laver pour la toilette et la lessive, pas d’instruments électroniques pour la navigation et la communication, pas de pompes électriques en cas de fuite ou d’incendie.

Cependant, nous avons maintenant des normes plus élevées en termes de sécurité, de santé, d’hygiène, de confort thermique et de commodités. Le problème est que ces normes plus élevées sont difficiles à atteindre lorsque le navire n’a pas de moteur qui fonctionne avec des combustibles fossiles. Les systèmes de chauffage modernes, les appareils de cuisson, les chaudières à eau chaude, les réfrigérateurs, les congélateurs, l’éclairage, l’équipement de sécurité et les instruments électroniques ont tous besoin d’énergie pour fonctionner.

Membre d’équipage du ‘Parma’ avec une maquette de son navire. Alan Villiers, 1932-33.
Membre d’équipage du ‘Parma’ avec une maquette de son navire. Alan Villiers, 1932-33.

Les voiliers modernes utilisent souvent un moteur diesel pour fournir cette énergie (et pour propulser le navire si nécessaire). Un exemple est le Avontuur de Timbercoast, qui a un moteur de 300 CV (chevaux), un générateur de 20 kW (kilowatts), et un réservoir de carburant de 2330 litres. Les grands voiliers utilisés pour la formation et les navires de croisière ont plusieurs moteurs et générateurs à bord. Par exemple, le Brig Morningster (48m) dispose d’un moteur de 450 CV et de trois générateurs d’une capacité totale de 100 kW, tandis que le Bark Europa (56m) dispose de deux moteurs de 365 CV avec trois générateurs – et brûle des centaines de litres de carburant par jour.

Selon le mode de vie des gens à bord, les émissions de carbone par passager-km peuvent équivaloir, voire surpasser, celles d’un avion.

Évidemment, les émissions de carbone et autres polluants de ces moteurs doivent être pris en compte lors du calcul de l’empreinte environnementale d’un voyage à voile. Selon le mode de vie des gens à bord, les émissions de carbone par passager-km peuvent équivaloir, voire surpasser, celles d’un avion. Dans une moindre mesure, la consommation d’électricité à bord augmente également les émissions du transport de marchandises.

La consommation d’énergie à bord d’un voilier

Le EcoClipper500 n’a pas de moteur diesel à bord, ce qui est une deuxième raison pour se concentrer sur ce navire. De toute évidence, un voilier sans moteur ne peut pas poursuivre son voyage quand il n’y a pas de vent. Ceci est facilement résolu à l’ancienne : le EcoClipper500 reste là où il est jusqu’à ce que le vent revienne. Un navire sans moteur a également besoin de remorqueurs – la quasi-intégralité brûlant des combustibles fossiles – pour entrer dans les ports et en sortir. Pour le EcoClipper500, ces services de remorqueurs représentent 0,3 g/t.km de l’empreinte carbone totale de 2 g/t.km (15%).

Sans moteur diesel, le navire doit également produire toute l’énergie nécessaire à bord à partir de sources d’énergie locales, et c’est la partie la plus difficile. Les énergies renouvelables sont intermittentes et ont une faible densité d’énergie par rapport aux combustibles fossiles, ce qui signifie qu’il faut plus d’espace pour produire une quantité donnée d’énergie – ce qui est plus problématique en mer qu’à terre.

Renouvellement du calfatage sur la poupe du 'Parma'. Alan Villiers, 1932-33.

Renouvellement du calfatage sur la poupe du ‘Parma’. Alan Villiers, 1932-33.Pour rendre le EcoClipper500 autosuffisant en termes de consommation d’énergie, une première décision de conception a été d’utiliser autre chose que de l’électricité comme source d’énergie à chaque fois que possible. Ceci est particulièrement important pour la chaleur haute température, qui ne peut être fournie par des pompes à chaleur électriques. Le navire aura un poêle à granulés à bord pour assurer le chauffage des locaux, ainsi qu’un biodigesteur – jamais utilisé auparavant sur un navire – pour convertir les déchets humains et de cuisine en gaz pour la cuisson. L’isolation thermique du navire est une autre priorité.

Néanmoins, même avec le poêle à granulés et le biodigesteur (qui ont eux-mêmes besoin d’électricité pour fonctionner), et avec l’isolation thermique, la demande d’énergie sur le navire peut monter jusqu’à 50 kilowatt-heures (kWh) d’électricité par jour (consommation moyenne d’énergie de 2 kW). Il s’agit d’un scénario de « pire des cas de fonctionnement normal », lorsque le navire navigue par temps froid avec 60 personnes à bord. La consommation d’énergie sera plus faible par temps chaud et/ou lorsque moins de personnes seront embarquées. En cas d’urgence, les besoins en puissance peuvent s’élever à 8 kW, tandis que plus de 24 kWh d’énergie peuvent être nécessaires en seulement trois heures.

Hydrogénérateurs

Comment produire cette énergie ? Les panneaux solaires et les éoliennes ne sont qu’une petite partie de la solution. Produire 50 kWh d’énergie par jour nécessiterait au moins 100 mètres carrés de panneaux solaires, pour lesquels il y a peu d’espace sur un voilier de 60 m de long. La vulnérabilité aux éléments et l’ombrage par les voiles sont des problèmes additionnels. Les éoliennes peuvent être fixées dans le gréement, mais leur puissance est également limitée. Le faible potentiel de l’énergie solaire et éolienne est démontré par le voilier Avontuur mentionné précédemment. Il a un générateur de 20 kW, alimenté par le moteur diesel, mais seulement 2,1 kW de panneaux solaires et 0,8 kW d’éoliennes.

L’hydrogénérateur est la seule source d’énergie renouvelable qui peut fournir à un grand voilier suffisamment d’énergie pour l’utilisation de technologies modernes à bord.

L’hydrogénérateur est la seule source d’énergie renouvelable qui peut fournir à un grand voilier suffisamment d’énergie pour l’utilisation de technologies modernes à bord. Les hydrogénérateurs sont fixés sous la coque et fonctionnent de façon opposée à une hélice de navire. Au lieu que ce soit l’hélice qui propulse le navire, le navire fait tourner l’hélice, qui elle-même entraîne un générateur, qui a son tour produit de l’électricité. Malgré son nom et son apparence, l’hydrogénérateur est en fait une forme d’énergie éolienne : les voiles propulsent les hélices. Évidemment, cela ne fonctionne que lorsque le navire navigue assez vite.

Ferlage d’une voile sur une des vergues principales du Parma. Alan Villiers, 1932-33.
Ferlage d’une voile sur une des vergues principales du Parma. Alan Villiers, 1932-33.

L’EcoClipper500 sera équipé de deux grands hydrogénérateurs, pour lesquels Simons a calculé la puissance à différentes vitesses, en tenant compte du fait que la traînée supplémentaire qu’ils produisent ralentit quelque peu le navire. Il conclut que l’EcoClipper500 doit naviguer à une vitesse d’au moins 7,5 nœuds pour produire suffisamment d’électricité. À cette vitesse, les hydrogénérateurs produisent environ 2000 watts de puissance, ce qui équivaut à environ 50 kWh d’électricité par jour (24 heures de navigation).

À une vitesse inférieure de 4,75 nœuds, les générateurs produisent 350 watts, c’est-à-dire 8,4 kWh d’énergie sur une période de 24 heures – seulement 1/6e de l’énergie maximale requise. D’autre part, à des vitesses plus élevées, les hydrogénérateurs produisent plus d’énergie que nécessaire. À une vitesse de près de 10 nœuds ils fournissent 120 kWh/jour, à une vitesse de 12 nœuds cela donne 182 kWh/jour – 3,5 fois plus que nécessaire.

Batteries à l’eau de mer

Selon sa vitesse surface, l’EcoClipper500 pourra naviguer à un peu plus de 16 nœuds en vitesse de pointe – soit le double de la vitesse minimale requise pour générer suffisamment de puissance. Atteindre cette vitesse sera rare, car cela nécessite une mer calme et des vents forts dans la bonne direction. Néanmoins, dans de bonnes conditions de vent, le voilier navigue facilement à une vitesse suffisante pour produire toute l’électricité nécessaire à son bord.

De bonnes conditions de vent peuvent durer des jours, en particulier sur les océans, où les vents sont plus puissants et prévisibles que sur terre. Cependant, ils ne sont pas garantis, et le navire naviguera également à des vitesses inférieures, ou se retrouvera dans des conditions de vent nul – où les hydrogénérateurs sont aussi inutiles que les panneaux solaires au milieu de la nuit.

Parce qu’il n’a pas de moteur, l’EcoClipper500 fait face à un double problème lorsqu’il n’y a pas de vent : il ne peut pas poursuivre son voyage, et il n’a pas d’énergie pour maintenir la vie à bord.

Parce qu’il n’a pas de moteur, l’EcoClipper500 fait face à un double problème lorsqu’il n’y a pas de vent : il ne peut pas poursuivre son voyage, et il n’a pas d’énergie pour maintenir la vie à son bord. Le premier problème est facilement résolu, mais le second ne l’est pas. La vie à bord continue, et il y a donc un besoin continu d’énergie. Pour ce faire, le navire a besoin de la stocker.

Pour couvrir les besoins pendant trois jours à la dérive par temps froid, un stockage d’énergie de 150 kWh serait nécessaire, sans tenir compte des pertes de charge et décharge. Cinq ou sept jours de consommation d’énergie à bord nécessiteraient de 250 à 350 kWh de stockage. Pour une utilisation d’urgence, un autre stockage d’énergie de 25 kWh serait nécessaire.

Brossage du pont du 'Parma'. Alan Villiers, 1932-33.
Brossage du pont du ‘Parma’. Alan Villiers, 1932-33.

Le fait de ne pas avoir de moteur, de générateur et de réservoir de carburant permet d’économiser de l’espace à bord, mais cet avantage peut être rapidement perdu lorsqu’on commence à ajouter des batteries pour les hydrogénérateurs. Les batteries lithium-ion sont très compactes, mais elles ne peuvent pas être considérées comme durables et posent des risques de sécurité. C’est pourquoi Jorne Langelaan et Andrew Simons voient – très pertinemment – plus de potentiel dans les batteries à l’eau de mer, qui sont non-inflammables, non toxiques, faciles à recycler, ont une grande tolérance vis-à-vis des températures et peuvent durer plus de 15 ans. Comme le biodigesteur, elles n’ont jamais été utilisées sur un voilier auparavant.

Contrairement aux batteries lithium-ion, les batteries à l’eau de mer sont volumineuses et lourdes. Avec une capacité de stockage de 60 kg par kWh, un bloc de batteries de 150 kWh ajouterait un poids de 9 tonnes, tandis qu’une capacité de stockage de 350 kWh ajouterait 21 tonnes. Néanmoins, cela se compare favorablement à la capacité totale de chargement (500 tonnes), et les batteries peuvent servir de ballast si elles sont placées dans la partie basse de la coque du navire. Les exigences en matière d’espace ne sont pas trop problématiques non plus. Même un stockage d’énergie de 350 kWh ne nécessite que 14 à 29 m3, ce qui est faible par rapport aux 880m3 de volume de fret (1,5 à 3%).

Les émissions produites par la fabrication des hydrogénérateurs, du biodigesteur et des batteries ne sont pas incluses dans l’analyse du cycle de vie du navire car il n’y a pas de données disponibles. Toutefois, ces émissions doivent être relativement faibles. Les hydrogénérateurs ont une densité de puissance beaucoup plus élevée que les éoliennes, et donc une énergie intrinsèque relativement faible (énergie nécessaire à la fabrication des produits). Un rapide calcul de coin de table nous apprend que l’empreinte carbone des batteries à l’eau de mer de 350 kWh est d’environ 70 tonnes de CO2 (6% de l’empreinte carbone totale). 7

Puissance humaine

Il y a une autre source d’énergie renouvelable et de stockage d’énergie à bord de l’EcoClipper, et ce sont les êtres humains eux-mêmes. Comme le poêle à granulés et le biodigesteur, l’utilisation de l’énergie humaine pourrait réduire le besoin d’électricité. De nos jours, les cargos et la plupart des grands voiliers ont des treuils électriques ou hydrauliques, des pompes et un appareil à gouverner, économisant ainsi de la main-d’œuvre manuelle au détriment d’une consommation d’énergie plus élevée. En revanche, l’EcoClipper s’en tient autant que possible à la manutention manuelle du navire.

Equipage au cabestant du Parma, relevant l’ancre. Alan Villiers, 1932-33.
Equipage au cabestant du Parma, relevant l’ancre. Alan Villiers, 1932-33.

Simons et Langelaan envisagent également l’ajout de quelques « rameurs », couplés à des générateurs, pour produire de l’énergie d’urgence. Deux rameurs pourraient fournir environ 400 watts de puissance. S’ils sont exploités 24 heures sur 24 par quarts, ils pourraient fournir au navire 9,6 kWh d’énergie supplémentaires par jour (sans tenir compte des pertes d’énergie) – un cinquième de la consommation maximale totale d’électricité.

D’ailleurs, comme je l’ai dit à Simons et Langelaan, dix rameurs en action continuellement par quarts fourniraient autant de puissance que les hydrogénérateurs à une vitesse de 7,5 nœuds. S’il y a 60 personnes à bord, et que tout le monde produit de l’électricité à peine une heure par jour, aucun hydrogénérateur ni batterie ne serait nécessaire. « Une pensée très intéressante », répond Simons, « mais quelle impression donnerions-nous ? »

Douches chaudes ?

Même avec un biodigesteur, des hydrogénérateurs, des batteries et des rameurs, les passagers et l’équipage à bord de l’EcoClipper500 seraient loin de baigner dans le luxe, et ce serait peut-être trop peu confortable pour certains. Par exemple, si 60 personnes à bord du navire prennent une douche chaude quotidienne – qui nécessite en moyenne 2,1 kilowattheures d’énergie et 76,5 litres d’eau sur terre – la consommation totale d’électricité par jour serait de 126 kWh, soit plus du double de l’énergie produite par le navire à une vitesse de 7,5 nœuds.

Le navire pourrait fournir cette énergie à une vitesse de navigation plus élevée, mais il y aurait également un besoin de 4590 litres d’eau par jour, une quantité qui ne pourrait être produite qu’à partir d’eau de mer – un processus qui nécessite beaucoup d’énergie. Même un équipage de 12 personnes prenant une douche chaude quotidienne aurait besoin de 25,2 kWh d’énergie par jour, soit la moitié de ce que les hydrogénérateurs produisent à une vitesse de navigation de 7,5 nœuds. Le Bark Europa est le seul voilier mentionné dans cet article qui a des douches chaudes dans chaque cabine (partagée), mais c’est aussi le navire avec les plus gros générateurs et la plus forte consommation de carburant.

En tête de gaillard avant sur le Parma par beau temps. Image de Alan Villiers, 1932.
En tête de gaillard avant sur le Parma par beau temps. Image de Alan Villiers, 1932.

Andrew Simons : « Sur l’EcoClipper500, il doit y avoir un compromis raisonnable entre la consommation d’énergie et le confort. La consommation d’énergie à bord devra être activement gérée. Les ressources sont limitées, tout comme pour la planète. À bien des égards, le navire est un microcosme de défis auxquels le monde entier doit faire face et trouver des solutions.

Jorne Langelaan : « En mer, vous êtes dans un monde différent. Il importe peu si vous pouvez prendre une douche quotidienne ou non. Ce qui compte, ce sont les gens, les mouvements du navire, et le vaste désert de l’océan autour de vous ».

Utiliser les bonnes mesures

Cet article a jusqu’à présent comparé le voilier EcoClipper500 avec porte-conteneur, vraquier et avion moyens en termes d’émissions par tonne ou passager-kilomètre. Toutefois, ces valeurs sont des abstractions qui voilent des informations beaucoup plus importantes : les émissions totales produites par tous les passagers et toutes les cargaisons, sur tous les kilomètres.

Le commerce international de fret maritime est passé de 4 milliards de tonnes de cargo en 1990 à 11,2 milliards de tonnes en 2019, ce qui a entraîné plus de 1 milliard de tonnes d’émissions. Le nombre de passagers aériens internationaux est passé de 1 milliard en 1990 à 4,5 milliards en 2019, ce qui a entraîné 915 millions de tonnes d’émissions. Par conséquent, la réduction des émissions par tonne et par passager-kilomètre n’est ni une nécessité ni une garantie pour réduire les émissions totales.

Si nous divisons par plus de cinq le trafic international de fret et par plus de dix le trafic de passagers, les émissions de tous les porte-conteneurs et avions seraient inférieures aux émissions de tous les voiliers transportant 11,2 milliards de tonnes de fret et 4,5 milliards de passagers. Inversement, si nous passons aux voiliers, mais que nous continuons à transporter de plus en plus de marchandises et de passagers à travers la planète, nous finirons par produire autant d’émissions qu’aujourd’hui avec le transport alimenté par des combustibles fossiles.

Le mât de misaine 'Grace Harwar' ; vue vers l’arrière depuis les barres de mât principales. Alan Villiers, 1932-33.
Le mât de misaine ‘Grace Harwar’ ; vue vers l’arrière depuis les barres de mât principales. Alan Villiers, 1932-33.

Bien sûr, rien de tout cela n’arrivera jamais. La quantité de fret échangée à travers les océans en 2019 équivaut à la capacité de fret de 22,4 millions d’EcoClippers. En supposant que l’EcoClipper500 puisse faire 2-3 voyages par an, nous aurions besoin de construire et d’exploiter au moins 7,5 millions de navires, avec un équipage total d’au moins 90 millions de personnes. Ces navires ne pourraient embarquer que 0,5 milliard de passagers (12 passagers et 8 stagiaires par navire), nous aurions donc besoin de millions de navires et de membres d’équipage supplémentaires pour remplacer le trafic aérien international.

Tout cela est techniquement possible et, comme nous l’avons vu, cela produirait moins d’émissions que les alternatives actuelles. Toutefois, il est plus probable qu’un passage aux voiliers s’accompagne d’une diminution du trafic de fret et de passagers, et cela est en lien direct avec la vitesse et l’échelle des choses. Beaucoup de marchandises et de passagers ne voyageraient pas sans les vitesses élevées et les faibles coûts des avions et des porte-conteneurs d’aujourd’hui.

Il serait peu logique de transporter des pièces d’iPhone, des marchandises Amazon, des vêtements d’ateliers de misère, ou des voyageurs intensifs avec des voiliers. Un voilier est plus qu’un moyen de transport technique : il implique une autre vision de la consommation, de la production, du temps, de l’espace, des loisirs et des voyages. Par exemple, beaucoup de marchandises se déplace maintenant dans des endroits différents pour chaque étape de traitement avant d’être livré comme produit terminé. En revanche, toutes les compagnies de fret maritime mentionnées dans cet article ne transportent que des marchandises qui ne peuvent pas être produites localement, et qui font un voyage du producteur au consommateur. 8

Cela signifie également que même si les voiliers ont des moteurs diesel à bord, ils entraîneraient toujours une diminution significative des émissions totales pour le trafic de fret et de passagers, simplement parce qu’ils réduiraient le nombre absolu de passagers, de marchandises et de kilomètres. Nous ne devrions pas nous laisser berner par des mesures relatives abstraites, qui ne servent qu’à maintenir l’accent sur la croissance et l’efficacité.

Kris De Decker

Translated by Stanislas Oriot.

 

Cette traduction a également été publiée sur Changement climatique et énergie.

En savoir plus sur EcoClipper500. La plupart des images : Alan Villiers collection.

Sources :

  1. Entre 1978 et 2004, l’Avontuur a été exploité comme voilier cargo sous le Commandement de Paul Wahlen. L’Apollonia, construit en 1946, est un autre voilier cargo en service depuis 2014. Il a une longueur de 19,5 mètres et peut transporter 10 tonnes de marchandises.
  2. Très récemment, Grain de Sail a été construit et lancé pour le transport transatlantique de vin et de cacao. C’est un voilier moderne sans moteur, construit en aluminium, et pouvant emporter 35 tonnes de fret.
  3. Andrew Simons : « Il y a beaucoup de voiliers historiques, mais ils sont soit très coûteux à mettre en service en tant que voilier cargo conforme à la réglementation – car ils sont encore utilisés à d’autres fins – soit ils ne conviennent pas. »
  4. Malheureusement le coin de table a disparu (NdT : la note a plus de sens en Anglais, langue originale de l’article, car l’expression veut qu’on fasse le calcul “au dos d’une enveloppe” et la note dit que “l’enveloppe a malheureusement disparu).
  5. Dans le cas du EcoClipper, la plupart des émissions sont produites durant la construction du navire, alors que dans les cas des vraquiers et porte-conteneurs, elles sont principalement produites durant l’opération du navire et la production du carburant.
  6. Les plus grands porte-conteneurs peuvent aujourd’hui embarquer 190 000 tonnes de marchandises.
  7. Il n’y a pas beaucoup de données disponibles sur les batteries à l’eau de mer, mais elles sont moins exigeantes en énergie lors de la fabrication que beaucoup d’autres types de batteries. Le calcul est basé sur une estimation de capacité de stockage de 66 kg CO2/kWh et de trois générations de batteries sur une période de 50 ans.
  8. Presque un tiers de toute la marchandise transportée sont des carburants fossiles.

 

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