À la uneJeune Marine N°263

L’hydrogène propulsif

Une technologie du 19ème siècle pour les navires du 21ème ?

L’hydrogène comme combustible : une idée fort ancienne

  • … et qu’est-ce qu’on brûlera à la place du charbon ? 
  • L’eau, répondit Cyrus Smith.
  • L’eau, s’écria Pencroff, l’eau pour chauffer les bateaux à vapeur et les locomotives, l’eau pour chauffer l’eau !
  • Oui, mais l’eau décomposée, sans doute, par l’électricité, qui sera devenue alors une force puissante et maniable. Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisable. Un jour, les soutes des steamers, au lieu de charbon, seront chargés de ces deux gaz comprimés qui brûleront dans les foyers avec une énorme puissance calorifique.

L’eau décomposée en hydrogène et oxygène par l’électricité : voici la réponse qu’apporte en 1865 l’ingénieur Cyrus Smith à ses compagnons naufragés qui s’inquiètent de l’épuisement futur des mines de charbon (L’Île mystérieuse – page 422 de l’édition du Livre de Poche 2002). Lorsqu’il écrivit son chef-d’œuvre en 1874, Jules Verne avait-il entendu parler des recherches de Christian Schönbein qui, en 1839, établit en laboratoire le principe de la pile à combustible ?

L’idée est donc ancienne, et seule la relative complexité de sa mise en œuvre explique qu’elle soit restée longtemps cantonnée à des utilisations exploratoires. Le 21ème siècle étant désespérément à la recherche d’une énergie abondante qui maintiendrait notre standard de vie tout en épargnant les ressources naturelles et le climat, s’est emparé du concept pour le repeindre aux couleurs de la modernité et de la révolution énergétique. Les politiques qui se l’approprient n’y comprennent goutte et les médias la vulgarisent sans mesure : on s’esbaudit devant tel bus à hydrogène ; on applaudit la Tour Eifel brièvement éclairée « à l’hydrogène » ; la fermeture des centrales nucléaires allemandes ou belges sera – c’est promis – compensée par l’abondance de ce gaz miraculeux ; et les navires échapperont enfin aux miasmes du pétrole.

L’hydrogène étant l’élément le plus répandu dans l’univers, et son utilisation ne donnant lieu à aucun déchet, il est hautement souhaitable d’en généraliser l’usage énergétique. Si les pas de géant technologiques réalisés depuis deux siècles nous invitent à un optimisme de moyen terme, il faut tempérer l’enthousiasme immédiat des zélateurs de l’hydrogène.

Un vecteur d’énergie qu’il faut d’abord produire

Rappelons en préambule que l’hydrogène n’est pas une source d’énergie, mais un vecteur d’énergie au même titre que l’électricité. Il ne pourra donc pas remplacer le pétrole, l’uranium ou le vent. Par contre, sa capacité à être stocké à grande échelle en fait un vecteur plus intéressant que l’électricité, dont la conservation en batteries reste encore très limitée. Il serait donc le partenaire idéal pour compenser l’aspect non-pilotable et non programmable des énergies renouvelables.

Piles à combustible 1 MW

Comme tout vecteur d’énergie, il faut pouvoir le produire puis l’utiliser

95% de l’hydrogène, utilisé dans l’industrie comme matière de base pour la production d’ammoniac et de méthanol et comme réactif de raffinage, est aujourd’hui produit à partir d’une transformation d’énergies fossiles, transformation fortement émettrice de CO2. Utiliser cet hydrogène dit « gris » pour remplacer le combustible d’un véhicule, ne présenterait donc aucun intérêt, sauf à ne considérer que les avantages de dépollution locale (comme pour un véhicule électrique utilisé en milieu urbain mais chargé avec des électrons de centrale à charbon). Il faut donc privilégier l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à partir d’une électricité « verte » (énergies renouvelables) ou « jaune » (électricité nucléaire).  

La production d’hydrogène par électrolyse (casser la liaison entre H2 – O dans H2O) est cependant très gourmande en électricité : 50 kWh pour un kilo d’H2, auxquels s’ajoutera la puissance nécessaire pour le comprimer et le stocker, kilo qui restituera 33 kWh. En effet, toute transformation d’un état à l’autre entraînant une perte de rendement, une motorisation sur le principe de la pile à combustible consommera plus d’énergie primaire qu’une motorisation alimentée par batterie. Pour illustrer ce propos, une voiture équipée d’une pile à combustible consommera 50 kWh pour 100 km (soit 1 kg d’H2) quand une voiture électrique embarquant des batteries en consomme entre 15 et 20.

Stockage possible mais surconsommation, telle semble être la condition. Devoir produire plus quand l’opportunité est offerte afin de pouvoir consommer quand la source d’énergie n’est plus immédiatement disponible, tel est l’effet de lissage recherché. Les publications professionnelles et grand public listent avec enthousiasme les utilisations futures de l’hydrogène vert, mais la relation volumique entre la production et les besoins en développement reste assez obscure. Si le gouvernement français met sur la table 7 milliards d’euros de subventions pour que le pays devienne en 10 ans le « leader mondial de l’hydrogène vert » (c’est curieux cette ambition systématique de nos gouvernants : devenir le leader mondial de… Ne peut-on pas se contenter de tenir un rang honorable ?), c’est que nous partons de loin et que le développement des technologies utilisatrices n’a de sens que si la production suit. L’objectif affiché par l’Etat est de 900.000 tonnes par an en 2030 (demain !) avec une capacité de 6,5GW d’électrolyseurs, soit la puissance fournie par 1000 éoliennes offshore de 10MW ayant un rendement de 50% ou 4 EPR. Notons que cet hydrogène propulsif venant en remplacement du pétrole, il s’agit donc de capacités de production électrique supplémentaires et non de celles programmées en remplacement des capacités actuelles. Or, il est impossible de construire 4 EPR ou 1000 éoliennes offshore en 8 ans. Mystère de l’arithmétique étatique. Quatre projets de « Gigafactories » sont déjà éligibles à ces subventions, mais les réalisations pilotes, certes nécessaires, sont encore modestes : la société nantaise Lhyfe a inauguré en 2021 la première unité au monde de production d’hydrogène vert directement connectée avec un parc éolien. Pour 10 millions d’euros d’investissement, elle produit 300 kg par jour. Le chemin à parcourir sera long, d’autant plus long que tous les pays sont sur la ligne de départ, de la Chine à l’Allemagne, louvoyant entre émulation et concurrence, en particulier pour les composants des électrolyseurs. Une usine géante est ainsi programmée à Groningen, aux Pays-Bas, et prévoit de produire en 2030, 800.000 tonnes par an à partir d’un parc éolien offshore de 3 GW. Navigants, apprêtez-vous à slalomer entre des milliers d’éoliennes, car la place en Mer du Nord va être chère !

Les navires ne sont pas en reste

Dans sa communication, le premier ministre évoque bien comme candidats à une motorisation H2 les futurs trains et les avions de moyenne capacité, mais ne fait nulle mention des navires de charge. Nous avons l’habitude de vivre dans l’ombre. L’hydrogène est-il aussi le combustible du futur pour les navires de commerce ? Pour ne pas sauter directement des voitures individuelles aux navires, regardons ce qui se prépare pour les puissances intermédiaires que sont celles des poids-lourds (400 CV) et des trains (5000 CV pour une locomotive diesel). Ces véhicules utilitaires réclament non seulement des puissances supérieures mais aussi des temps d’utilisation qui n’autorisent pas des recharges fréquentes de batteries. La puissance stockée par des réservoirs d’hydrogène sous 350 bar garantit une autonomie compatible avec leur service. SNCF et Alstom annoncent les premiers TER à hydrogène pour 2025 dans 4 régions pionnières qui souhaitent supprimer les derniers trains diesels. Ces trains seront motorisés par des piles à combustible. L’Allemagne planifie aussi le remplacement de ses derniers trains régionaux diesels par des motrices hydrogénées. Le Hyundai XCIENT Fuel cell, camion de 36 tonnes embarquant un réservoir de 32 kg sous 350 bar, qui a déjà parcouru 70.000 km pour un transporteur autrichien, affiche une consommation de 7,5 kg / 100 km.

Rapide tour d’horizon des prototypes maritimes à l’étude :

  • Hylias (HYdrogen for Land, Integrated renewables And Sea) est un navire de passagers (24 mètres, 150 passagers) qui naviguera dans le Golfe du Morbihan à partir de 2023. Alimenté par de l’hydrogène comprimé à 350 bar, le petit ferry sera propulsé par une pile à combustible délivrant 500 KW et consommera de 600 à 800 kg d’H2 par jour (ce qui correspond à une électricité primaire de 30.000 kWh).
  • Plus ambitieux et prévu être exploité à partir de 2024, le Topeka du norvégien Hyship sera un RoRo embarquant des piles à combustible d’une puissance totale de 3MW combinées à des batteries de 1000 kWh, et dont la mission sera de distribuer… l’hydrogène vert aux stations de bunkering de la côte norvégienne. Quand le camion-citerne précède les voitures à la pompe à essence…
  • Le REM Energy est un supply norvégien armé par Siemens-Gamesa pour desservir les parcs éoliens de Mer du Nord depuis Bremerhaven. Long de 90 mètres et large de 20, il emporte 24 membres d’équipage et 75 techniciens de service. Il est conçu pour être équipé d’une batterie de 12MW et de piles à combustibles. L’échéance de sa vertu n’est pas connue, mais il est astucieusement présenté comme « zéro emissions ready – future fuel cell » par son armateur et par son affréteur.
  • H2SHIPS, un consortium de 15 partenaires appartenant à 5 pays européens et coordonnés par l’Institut Européen pour la Recherche sur l’Energie, travaille au lancement d’un navire de servitude pour le port d’Amsterdam et d’un navire d’avitaillement en H2 pour la Belgique. Dans le cadre de ce projet européen, une barge, livrée à CFT pour la Seine, est en cours d’aménagement au Havre pour recevoir cellule hydrogène et batteries modulaires.

Il reste quelques milles à parcourir…

Tous ces projets pilotes appartiennent à l’indispensable processus de recherche et développement, lequel conduira un jour à des applications industrielles de routine. La question de la puissance maximale développée se pose cependant. Hydrogène de France (HDF) fabrique à Bordeaux des piles dites « de forte puissance » de 1MW unitaire (technologie Proton Exchange Membrane), chaque pile étant abritée dans un conteneur de 40’. Même s’il est fait état de projets de 3MW unitaire, le volume occupé reste impressionnant. ABB Marine & Ports qui collabore avec HDF pour les futures applications maritimes reconnaît aujourd’hui qu’il s’agit d’alimenter des bateaux naviguant sur de courtes distances et de répondre aux besoins en énergie auxiliaire de plus grands navires. Il y a encore du chemin à parcourir pour motoriser des navires de charge de plusieurs milliers de tonnes, et cela d’autant plus qu’il faut avoir résolu les questions de stockage et de sécurité. Pour le stockage en soute, les projets varient encore entre hydrogène comprimé et hydrogène liquide, cette dernière solution présentant l’avantage d’une densité énergétique très supérieure, donc d’un volume occupé moindre, mais étant plus complexe de mise en œuvre. La société de classification DNV a pris de l’avance en rassemblant 26 partenaires au sein d’un consortium appelé MarHySafe pour étudier les risques liés à l’utilisation de l’hydrogène à bord des navires et proposer des procédures de prévention. Les experts de cette très sérieuse entreprise sont formels : les caractéristiques de l’hydrogène différant fortement de celle du gaz naturel, nécessitent une approche nouvelle. Ils soulignent les incertitudes actuelles sur le comportement de l’hydrogène liquide (LH2) et sur les seuils à partir desquels une explosion intervient. En cas de fuite, il pourrait soit se créer des jets d’hydrogène soit des poches résiduelles.

Ayant exploré les différentes voies qui s’ouvrent, depuis l’utilisation de l’hydrogène dans des moteurs à combustion jusqu’au mélange de l’hydrogène avec d’autres combustibles, MarHySafe conclut que la pile à combustible reste bien la technologie la plus efficace en matière de rendement avant de reconnaître également que celle-ci est aujourd’hui limitée à des navires côtiers de petites dimensions.

En conclusion, 3 obstacles restent à surmonter avant que l’hydrogène ne pourvoie à la motorisation des navires de moyen et fort tonnage :

  • Que les sources d’électricité verte aient une puissance suffisante pour alimenter les futurs électrolyseurs,
  • Que la technologie des piles à combustibles permette des puissances de plusieurs dizaines de MW dans un volume raisonnable,
  • Que les analyses de risques aient défini les règles de stockage et d’utilisation de l’hydrogène à bord de long-courriers.

L’optimisme de long terme est de rigueur, mais les échéances sont encore incertaines. Le vent, lui, est déjà là !

 

Eric BLANC

 

 

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