À la uneJeune Marine N°264

Les Pilotes du Havre-Fécamp et l’équipage de Marie-Fernand rendent hommage au pilotage d’autrefois

Par Nicolas Servel

Jeudi 30 juin 2022. Il est 10h00 et nous quittons le port de Fécamp à bord de la Rollon. Cette chère vieille pilotine et sa livrée orange saluent au passage les premiers curieux qui s’installent sur les digues. Le ciel marin revêt ce matin un camaïeu métallisé qui se conjugue du gris-galet à l’ardoise magistral. Derrière nous, une forêt de mâts pavoisés s’est réunie pour célébrer en grande pompe la première édition de Fécamp Grand’Escale, qui ambitionne de s’imposer comme une étape incontournable sur la route des rassemblements de vieux gréements en Bretagne.

Malgré le vent qui ne tarde pas à tomber, nous ouvrons une bien fière escorte de voiles pourpres et écrues : Iris, le Renard, lÉtoile de Molène, Tante Fine, Vierge de Lourdes : les stars de la fête sont de sortie, accompagnées d’une véritable flottille de barques et de canots. Tous sont venus accueillir le roi des grands trois-mâts, son altesse Belem, qui nous contemple du haut de ses 34m et 126 années de bons et loyaux services. Et puisqu’il est question de premières, c’est bien à cela que nous venons assister -enfin, une première depuis plus d’un siècle, pour être exact.

Les voiles du trois-mâts barque sont affalées ; misaine, grand-mât, et artimon se dressent au garde-à-vous. Il attend, seul au fait de l’évènement qui se prépare. Les regards se tournent vers nous, la pilotine. Pourtant, nous ne nous approchons pas. Fait exceptionnel, les pilotes ne sont pas à bord aujourd’hui. Quelques minutes de flottement étonné s’écoulent et nous dérivons tous ensemble au gré du courant qui nous pousse vers le sud. Je sors mon appareil photo, prêt à immortaliser ce qui va suivre…

Enfin, ils apparaissent, surgissant de la traîne de l’escorte. Marie-Fernand et Professeur Gosset s’élancent, derniers cotres pilotes du temps du Grand-Métier, vétérans de 128 et 87 ans. Leurs lignes diffèrent : Professeur Gosset, plus jeune et plus trapu, bat pavillon fécampois. Marie-Fernand, doyen tricolore des navires de travail, au profil élancé et gracieux, enorgueillit Le Havre. C’est d’ailleurs depuis ce même port d’attache que jadis il porta Eugène Prentout, pilote et armateur, à la rencontre des navires à servir jusqu’en haute mer. Fait notoire, son descendant Hervé se trouve aujourd’hui même à bord du Professeur Gosset. Marie-Fernand prend les devants et trace une route sécante à celle du Belem. C’est la surprise du chef : les pilotes sont à bord !

Alexandre Van Cauvenberghe et Matthieu Mabille débarquent sur la petite chaloupe du Professeur Gosset, prêtée pour l’occasion, avec à la godille Daniel Billaud, Président-capitaine de l’association qui gère le cotre fécampois. L’espace d’un instant, le temps semble rembobiner son fil, et nous scrutons la barque traverser le clapot désordonné vers le Belem. Malgré le courant, cette pilotine d’un autre temps parvient à se mettre à couple du grand voilier. Les pilotes n’ont plus qu’à escalader l’échelle de corde, et le Belem va pouvoir parader jusqu’au bassin Bérigny sous les applaudissements de milliers de curieux amassés sur les quais. Cette première Grand’Escale est un succès, et tous les passionnés se souviendront, émus, d’avoir vu la dernière hirondelle de la Manche reprendre du service pour la première fois depuis 1915, date de son remplacement par un navire à vapeur.

« Pour nous, c’était une envie de longue date, » révèle Thierry Odièvre, chef de bord du Marie-Fernand. « Il fallait que toutes les conditions soient réunies pour garantir la sécurité de l’opération. On l’a fait à l’ancienne, en se mettant à la cape sur la route du Belem pour mettre à l’eau la pilotine. On était tous un peu tendus, il y avait quand même du clapot, mais c’est le sentiment de fierté qui restera. » Thierry n’oublie pas Daniel Billaud, sans qui l’opération n’aurait pu avoir lieu.  « La pilotine de Marie-Fernand est trop instable, c’est grâce à celle du Gosset qu’on a pu maintenir et puis, le Gosset, c’est tout de même le cotre pilote fécampois. » Alexandre, pilote du Havre mais également administrateur du Marie-Fernand, tient lui aussi à remercier Daniel. « Les seuls défis, c’était la houle et le courant, heureusement que Daniel est un as de la godille. C’était un bel hommage. En fait, le Belem et Marie-Fernand sont des contemporains. Cette scène aurait très bien pu se dérouler à l’époque ! Au-delà du côté épique de la mise à bord, on était au fond quand même un peu émus -et de penser que les pilotes d’antan faisaient le même chose en pleine mer par tous temps, ça force le respect. » Matthieu Mabille, l’autre pilote, surenchérit dans ce sens : « Là, on a fait la mise à bord devant la côte, mais dans le temps, ils faisaient ça beaucoup plus loin. Il fallait souvent plusieurs passages, et il y avait des accidents. Finalement, c’était palpitant de vivre cette expérience avec Alexandre, même si je craignais de finir les pieds mouillés -ou plus. Normalement, on ne va à deux que sur les porte-conteneurs de 400m. Là, c’était du partage et de la bonne humeur, surtout sur de si beaux navires. »

Quand on leur demande s’ils sont prêts à remettre le couvert, Alexandre répond sans hésiter : « Absolument, Marie-Fernand est un monument historique, c’est important de faire vivre la tradition. » Ce à quoi Thierry ajoute : « Et peut-être même que la prochaine fois, le Belem arrivera sous voiles et se mettra lui aussi à la cape ! ». « Chiche, » répond du tac-au-tac Aymeric Gibet, commandant du Belem, « si les conditions le permettent, bien entendu. Ce qui est certain c’est que c’était un vrai plaisir de se faire servir à l’ancienne, surtout qu’en 2021, nous avons hiverné au Havre juste en face de Marie-Fernand. Faire se croiser ces deux fleurons contemporains de notre patrimoine maritime est toujours émouvant. Bravo aux pilotes, qui ont vraiment joué le jeu quitte à prendre quelques éclaboussures et qui nous ont ensuite permis d’entrer dans le port de Fécamp en toute sécurité pour profiter de cette première fort réussie. Après les années COVID-19, quel bonheur de retrouver d’autres vieux gréements pour célébrer cette passion commune ! »

Le Belem, navire école, propose des stages de navigation encadrés par un équipage professionnel et pédagogue qui vous apprendra les secrets du matelotage traditionnel et de la vie à bord, en France mais aussi en Europe et parfois au-delà. En attendant de prendre le large, pour ceux qui s’intéressent au patrimoine maritime, l’association Hirondelle de la Manche qui gère Marie-Fernand propose des navigations au départ du Havre, moyennant adhésion. « Nous sommes ravis d’accueillir des volontaires qui désirent s’impliquer dans l’entretien ou la navigation, » conclut d’ailleurs Thierry. « C’est grâce à eux qu’on peut faire revivre ces moments historiques. »

La petite pilotine du Gosset avec ses deux pilotes quitte Marie-Fernand (H23) pour rejoindre le Belem sous l’œil vigilant des zodiacs de la sécurité de Fécamp Grand’Escale.

Marie-Fernand (H23) se présente au Bélem pour la mise à bord© Nicolas Servel

 

Marie-Fernand © Eric HOURI
La petite chaloupe Professeur Gosset, avec à la godille, Daniel Billaud en approche du Bélem. © Eric HOURI
Marie-Fernand © Eric HOURI
Mise à bord des pilotes sur le Bélem. © Eric HOURI
Mise à bord des pilotes sur le Bélem.© Eric HOURI
Marie-Fernand © Eric HOURI
Alexandre Van Cauvenberghe et Matthieu Mabille débarquent sur la petite chaloupe  Professeur Gosset, prêtée pour l’occasion, avec à la godille Daniel Billaud. © Eric HOURI
Marie-Fernand et Bélem au large de Fécamp © Eric HOURI
CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE

Nos abonnés lisent aussi...

Bouton retour en haut de la page