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TOWT : une aventure humaine pour la décarbonation du transport maritime

Par Charles HAINAUX

Co-fondateur de TOWT – Trans Oceanic Wind Transport, compagnie maritime spécialisée dans l’affrètement de vieux gréements, Guillaume Le Grand et son équipe sont fiers de m’accueillir avec un café ‘transporté à la voile’.

L’équipe de TOWT / de gauche à droite : Wassim Jida, Diana Mesa, Guillaume Le Grand, Olivier Tanguy, Arthur Gayat, Alexandre Mabille, Yasmin Ponce et Sabine Nocher / © TOWT DR

L’entrée en matière du personnage, volubile et passionné, pose d’emblée le ton de la conversation.

Guillaume Le Grand : « On vit ces derniers mois un certain raidissement sur la question du sens de la décarbonation dans le maritime, on parle beaucoup de biocarburants, de l’hydrogène qui vont venir nous sauver. La réalité est que la décarbonation dans le maritime n’est pas facile et le shipping va avoir énormément de mal à se décarboner de façon sérieuse. On peut faire du greenwashing, mais à un moment cela se dégonfle et les clients vont comprendre ça. Nous pensons être au contraire la façon la plus réaliste de décarboner.' »

‘J’ai un parcours assez hybride !’

Doté d’une tête bien faite, Guillaume Le Grand est également un bourreau de travail. On le comprend à l’évocation de son parcours personnel. Demi-fondeur de haut niveau, il arrête l’INSA pour intégrer brillamment Sciences Po Lyon. La diplomatie ne le tentant finalement pas, il part à Londres mettre en place un Carbon Desk chez Bloomberg suite au protocole de Kyoto.

« Ces quatre années à la City chez les « cols bleus » m’ont appris à travailler !' ». De retour à Paris, il intègre un Master économie développement durable environnement à EHSS/Paris X. C’est là qu’il rencontre Diana Mesa, co-fondatrice de la société. « Colombienne qui arrive avec ses réflexes de « serial entrepreneuse, nous fondons alors avec Diana la TOWT dès 2011, pour « faire » du transport à la voile.' »

Débute alors l’aventure du shipping : un premier affrètement réussi à l’été 2010 avec la compagnie Fair Transport Shipping et son brick goélette Tres Hombres. ‘On fait venir 6 palettes de bière d’Angleterre en transmanche depuis Brixham jusqu’à Brest. Nous découvrons les formalités douanières et portuaires, la manutention… et on avait déjà pré-vendu toute la marchandise à des Biocoop de Bretagne ! On apprend très très vite et on se rend compte que commercialement ça marche !’.

Le Tres Hombres / Photo : Phil Saget / Wikimedia

 

Basée à Brest dans ses premières années, la petite compagnie prend rapidement son essor, affrète jusqu’à sept navires par an pour transporter plusieurs centaines de tonnes de thé, café, vin et spiritueux sur des lignes régionales (Nantes/Bordeaux/Porto, Copenhague, Tilbury) et transatlantiques (Açores, Antilles).

 Guillaume Le Grand : « Notre philosophie est simple : transporter des marchandises qui font sens, exclusivement à la voile, et sur les seuls « voiliers de travail » existants (De Gallant, Avontuur, Biche…), qui peuvent charger de 10 à 80 tonnes, pour notre propre compte ou pour des clients. Le transport à la voile nous permet de proposer des taux de fret relativement décorrélés de la marine marchande classique. N’ayant pas au début de chargeurs mais beaucoup de clients, on décide de développer une gamme de produits pour notre propre compte, en créant toute la valeur de la marchandise autour du sourcing, du transport donc, de la transformation, et de la distribution. Tout en gardant les valeurs que sont l’humilité – nous savons que nous sommes très fragiles – le réalisme – nous ne pouvons pas perdre d’argent – l’ambition – nous savons qu’un jour nous construirons des grands navires, sans perdre de vue que le pétrole viendra à manquer – et également le principe, fondamental, de ne faire « que du transporté à la voile » ».

Avontuur / Par Olivier Duquesne  – Flickr as Armada de Rouen 2003.

En 2015, la compagnie quitte Brest pour s’installer à Douarnenez, ville de son enfance et un retour aux sources pour Guillaume.

« De 6 à 10 ans j’ai beaucoup navigué avec mon grand-père le long des côtes bretonnes sur un love-love au tout début des années 90. Cette période m’a totalement marqué dans ce que je suis maintenant. L’idée de faire autre chose avec le vent que de la plaisance ou des compétitions sportives, l’intuition de la puissance du vent, m’habitaient déjà. »

 Guillaume Le Grand : « Nous nous installons à Port-Rhu où nous avons jusqu’à quatre navires à couple simultanément en affrètement. Nos revenus proviennent principalement du négoce à destination des entreprises et des particuliers, et on commence à vendre des lots puis nous avons nos premiers chargeurs pour compte de tiers (Biocoop, un importateur anglais de porto), tout en gardant le réflexe de garder quelques palettes pour notre compte propre qu’on conservait dans notre entrepôt à Douarnenez. »

En plein essor, TOWT rejoint le Cluster Maritime Français en 2016, elle développe son propre label « ANEMOS » en 2017, qui garantit une navigation décarbonée et permet également de tracer le voyage effectué par les marchandises. La compagnie fait alors face à un drame le 15 novembre 2017 avec l’incendie du Port-Rhu où l’entrepôt et la maison de Guillaume et Diana partent en fumée.

« Nous avons tout perdu ce jour-là, 100.000€ de marchandises, toutes nos affaires personnelles, etc. Une vague de solidarité se met heureusement en place pour nous reloger, nous habiller et nous équiper mais le coup est rude.' »

Malgré cette catastrophe TOWT poursuit son activité et s’installe au Havre. Elle n’entame pas l’ambition et la volonté de s’agrandir de ses dirigeants : c’est la naissance de la première génération de « Voilier-Cargo », la classe « Phénix ».

Guillaume Le Grand : « Nous savions qu’il y avait un côté très ponctuel dans ce qu’on faisait, qu’au-delà de 1 000 tonnes transportées par an  nous devrions partir rapidement sur d’autres solutions. Le marché est présent, les grands groupes industriels sont en demande, il fallait que nous passions vers une solution industrielle qui, pour nous, correspondait à un voilier de plus de 1 000 T de port en lourd. Nous sentions également un véritable intérêt de la communauté maritime par rapport à ce qu’on proposait.' »

Crédit : SeeDigital, 2022
Crédit : SeeDigital-Piriou-TOWT 2022

Prévu pour être mis en service en décembre 2023, le premier des deux navires de la classe Phénix, dont la construction de la coque par le chantier Piriou vient de démarrer en Roumanie (les superstructures et aménagements seront réalisés à Concarneau), est une goélette (deux mâts de même taille). Construit avec quatre mois d’écart par le chantier Piriou au Vietnam, le second navire sera livré au printemps 2024.

 

‘On a près d’une cinquantaine de systèmes innovants à bord’.

 

Ses caractéristiques principales : 80,5m de longueur hors-tout, 63,9m de tirant d’air, un port-en-lourd de 1512T. Gréé avec deux grues de 7,5T à 4,5m, le navire pourra charger 1 100 tonnes de vrac en palettes (chargement par ascenseur desservant 3 niveaux de pont avec des chariots élévateurs surbaissés) et 235 barriques de spiritueux dans la calette avant (cale de vieillissement). L’énergie sera délivrée par deux GE de 250kVA, sous voile les deux hélices à pas variables permettront également de récupérer l’énergie délivrée par sillage de façon substantielle (hydrogénération). Les manœuvres portuaires et la sécurité du navire seront assurées par deux moteurs de 422kW et un propulseur d’étrave.

‘On estime notre consommation à 250L/jour pour la production électrique. Le bilan carbone ne sera donc pas totalement nul, mais à 2g/km/tonne transportée il sera plus de 90 % plus faible que sur un cargo classique.’

Crédit : SeeDigital-Piriou-TOWT 2022

Les navires seront armés sous pavillon français au RIF, l’équipage sera composé de 7 membres sous régime ENIM, la langue de travail sera l’anglais et les rythmes d’embarquement ‘tiendront compte des rotations pour minimiser l’impact carbone lors des relèves’. Les futures lignes maritimes seront l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale et l’Afrique de l’ouest. Une ligne Tour du monde sera également ouverte : direction l’Asie (Shanghai et Fukuyama) via le Panama et un retour via Malacca.

 

‘Les services armement et technique vont prochainement mettre en ligne plusieurs fiches de poste, nous avons besoin d’officiers, hommes et femmes, brevetés et certifiés STCW à qui nous proposons une expérience maritime hyper intéressante et très formatrice. Avec des escales médiatisées et douze passagers ou scientifiques à bord, le « savoir-être » du marin sera une qualité indispensable. On prévoit de plus une formation en interne pour la conduite du navire.’

 

L’enthousiasme de Guillaume Le Grand se décuple encore à l’évocation des projections sur l’avenir.

Guillaume Le Grand : ‘Nous sommes sur une phase actuelle où chaque millier de tonnes transportée de façon décarbonée est une victoire, on continuera d’être sur cette humilité. Et en même temps nous avons une ambition illimitée avec des plans de développement à 2035/2040 de plusieurs dizaines de navires.’

‘Nous invitons les lecteurs de Jeune Marine à s’inscrire à notre Newsletter et suivre notre page LinkedIn ! Nous proposons une navigation différente, sans bruit, totalement décarbonée et donc de participer à un projet réellement innovant !’

 Mesdames et messieurs les officiers et élèves officier, à bon entendeur !

Charles HAINAUX

Pour les suivre et le contacter :

https://www.towt.eu

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