Les « causeries » de René MONIOT BEAUMONT


Nous avons le plaisir de vous proposer une toute nouvelle rubrique que nous partage René MONIOT BEAUMONT, Capitaine Côtier qui est passé dans les ENMM entre 1966 et 1975. Voici donc sa première « causerie » :
Dans cette causerie à l’encre salée de ce début d’année et avec l’aide d’une affiche achetée souvent à Rotterdam par de nombreux marins à l’époque où la Marine marchande ne relevait pas de la finance non identifiée, mais une affaire d’hommes : armateurs, capitaines, chefs mécaniciens, officiers, radios, maîtres d’équipage, matelots, graisseurs, et ceux du service hôtel sans oublier les familles pères mères, épouses, enfants, grands-parents qui suivaient la carrière de leur fils, mari, père, petits- fils et tous les services de terre avec les shipchandlers, les agents maritimes, les courtiers, les douaniers, la police maritime, les dockers, etc. ne peuvent s’empêcher de faire suivre le nom du navire par celui du capitaine : paquebot France, capitaine Georges Croisile.
J’avais la forme ! Voici pour la plus longue phrase que j’ai écrite, depuis longtemps, j’espère que vous n’avez pas quitté rapidement le bord après cette tempête de mots. Je vais vous présenter les extraits d’une affiche achetée il y a fort longtemps à Rotterdam. Elle provoquait maints sourires à bord et aussi chez nos visiteurs dans les escales. Le dessinateur veut nous montrer comment le maître après Dieu est vu par autrui.
Après quelques recherches aux Pays-Bas, ne pouvant retrouver le ou les auteurs, je leur réserve tous les droits de publications de ce texte qui est envoyé gratuitement. Encore un imbroglio pour les avocats du passage de la ligne. En revanche, si vous voulez l’acquérir, voici ci-après la filière pour l’obtenir dans ce magasin internationalement connu par tous les marins du commerce.
Je pense que beaucoup de mes lecteurs marins se souviennent de : This is
our captain !
Le capitaine vu par les membres de sa famille, de son équipage, des autorités portuaires et bien d’autres :
D’abord il faut citer tous les titres ou surnoms qui accompagnent le capitaine : il faut savoir que le seul titre qui est retenu sur les papiers officiels en France reste celui de capitaine (master chez nos amis de langues d’ailleurs). À la suite de la Deuxième Guerre et avec l’essor des paquebots, l’habitude a été prise d’appeler le capitaine : commandant, dans l’ensemble de la Marine marchande. Grandeur oblige, c’est ça la courtoisie ! À bord, on entend parler du vieux, du tonton, du pacha (plus usité dans la Marine nationale), et d’autres noms d’oiseau dès qu’une tempête gronde à bord. Avant de passer au détail de la vision que chacun a du personnage ou de la fonction, veuillez choisir votre capitaine préféré dans le bandeau ci-après :
Le capitaine vu par ses proches à terre :
débarquement et concerne de la même manière les autres membres de l’équipage, ses enfants savent qu’une partie du volume de son sac de marin (je veux dire de sa valise, avec bonheur, à roulettes), sera attribuée aux cadeaux de retour et aussi au bric-à-brac souvent exotique. Je me souviens qu’au lendemain d’un voyage dans le Golfe Persique, mes collègues officiers et moi-même avons acheté des tenues locales : djellaba-émirat associée à la coiffe traditionnelle pour les hommes. J’arrive chez moi, me cache et m’habille de ces vêtements : mes jeunes enfants me découvrent, et l’un d’eux s’écrie : Jésus !
Ce que j’ai oublié de vous dire, c’est qu’après l’achat de nos tenues nous avons voulu rentrer à bord habillé en Koweïtis ; le gardien du bateau n’a jamais voulu que l’on monte la coupée ! Non, mais quand même !
Il existait aussi les chiens qui naviguaient (voir une lointaine causerie à ce sujet, Les chiens du bord, parus en 2013). Il existait des Vieux qui les appréciaient, et d’autres les supportaient, mais ces compagnons de souffrance des novices pont étaient très estimés.
Le capitaine vu par son équipage :


passage à la fonction suprême de seul maître après Dieu et… un peu beaucoup de l’armateur sans parler de l’affréteur. Quand vais-je remplacer le Tonton ?
propulsion avec son chef mécanicien, ses officiers et son personnel machine. Je ne vous dis pas l’ambiance quand le chef ne peut pas « blairer » le vieux. A croire que le chadburn fait office de trait d’union entre deux antagonistes : l’un affiche à la passerelle en avant toute et à la machine on répond en arrière toute, tout en effectuant la bonne manoeuvre. Une façon de de dire aux gens du pont qu’ils ne se figurent pas les seuls maîtres à bord. Pour les officiers machines (sorte de
chiffons gras vu par les pontus), les officiers pont ne sont que des gentils organisateurs du club bien connu, qui n’y
connaissent rien en technique et font tout pour perturber lebon fonctionnement de leur chère bécane. Aujourd’hui, avec l’informatisation à outrance, ces rapports humains, quelquefois fort comiques, ont disparu du folklore maritime.
votre télégramme à n’importe quelle heure du jour ou
de la nuit ; l’acariâtre qui fort de son privilège, utilise
sa fonction comme un dictateur, il supprime les antennes radio personnelles de l’équipage en arrachant ces bouts de fil dénudé tendus entre deux batayoles avec l’argument que ça gêne la qualité de sa station. Et puis il existe le radio qui déambule dans les coursives d’un air plus que suffisant : lui sait l’avenir du voyage même avant le commandant, ce n’est pas peu dire !
Aujourd’hui, il a disparu des navires ! Pratiquement cent ans de présence à bord,
maintenant le satellite a pris le relais en moins humain et bien moins sympathique.
mauvais et trimbalait sa réputation de mauvais sur chaque navire qu’il commandait. Avec lui, rien n’allait bien et rien ne pouvait bien se passer. Rien n’y pouvait changer quelque chose ! Une réputation, ça se construit et quelques-uns en étaient incapables, et ils passaient leur temps à faire trimer les pauvres bougres par second-capitaine et bosco interposés. Sur nos voiliers du cap Horn, à la fin d’un voyage les
« bons » commandants avaient droit à un cadeau travail de matelots comme une canne à tête d’albatros et vertèbres de requin. Je m’imagine la tête de ceux qui ne recevaient rien. Bon, on se tenait entre hommes de mer, on savait encaisser, ce n’est peut-être plus le cas dans cette époque de bisous-n’ours.
Au service du pacha, le service hôtel :
Il pouvait aussi devenir un agent de renseignements qui chuchote à l’oreille du capitaine et lui révèle tout ce qui se trame et se dit à bord et même à terre. Heureusement, la plupart ne suivaient pas ce chemin. Un bon maître d’hôtel, pour l’équipage, est celui qui embarque le maximum de vivres pour le voyage et qui s’emploie à ce que la table soit parfaitement approvisionnée ; même si le vieux sabre à grands coups de crayon ses commandes de vivres. Certains commandants embarquaient avec leur maître d’hôtel attitré, privilège de l’aristocratie navigante !
Manger mal à bord : on vous donne du « commandant marchand de soupe » très
rapidement.
des appréciations du Vieux au sujet de la « soupe » : le
chef cuisinier. Les malins avaient vite fait de connaître ce qui contentait le Tonton. À bord, l’équipage se méfiait des cuisiniers et des commandants trop maigres, ça constituait un mauvais présage sur la qualité et la quantité des plats en provenance de la cuisine. Une malbouffe, des frigos vides à disposition des hommes pouvaient provoquer des sautes d’humeur préjudiciables au bon fonctionnement du bord. L’état-major restaurant qui n’avait rien de la Sainte Trinité, mais seulement le pacha, le maître d’hôtel et le chef cuisinier pouvaient se voir définis par une phrase de trois mots fort insultants : mange m… . J’ai quand même peu connu l’époque où l’on vous comptait les morceaux de sucre pour votre café journalier, la preuve j’ai pris du poids ! Les armateurs, ou plutôt leurs services à terre étaient souvent responsables de cet état.
Pour rester à bord, voici le commandant d’un paquebot vu par les
passagères :
Le commandant vu par les pilotes et les capitaines de
remorqueurs :
l’hydrographie du port, l’autre son navire et quelquefois, s’accorder peut devenir difficile si chacun reste planté sur ses affirmations.
tourner en rond et une manoeuvre loupée devient la faute de ce gueulard qui se prend pour qui ? Lui et le pilote font une belle paire d’incapables ! – Sans nous il ferait quoi le galonné ? –
Vous avez vu cet équipage de bras cassés, même pas capables de prendre une
remorque ! À croire qu’ils vont nous apprendre à naviguer !
Le capitaine vu par les services terrestres lié au navire.
l’escale du navire. Il devient généralement le souffre-douleur du commandant, et gare si en mettant les pieds sur le pont, il a oublié d’apporter le courrier de France. Les
lettres de la famille, si les nouvelles se montrent bonnes, tout va sourire à bord dans le cas contraire, bonjour tristesse. L’agent a peur de se ramasser un rapport dans un endroit que la décence empêche de nommer, puis de se retrouver « blacklisté » (sur la liste noire pour les allergiques à la langue des Grands-Bretons) et perdre ainsi la représentation de notre armateur, une véritable catastrophe financière et de reconnaissance professionnelle…
contrebandier international et qu’il couvre à son bord le transport de marchandises illicites (mots habituels utilisés par les douanes et leurs littératures administratives). Regardez le ce gallonné il semble pas franc du collier et ses déclarations doivent sûrement et obligatoirement être mensongères, suspectes. « Fouille générale du navire ! » déclare le douanier chef, et gare aux amendes pour le moindre oubli de déclaration d’une cartouche de cigarettes, par exemple. Pensée de douanier : « Le tabac et l’alcool du bord étant
détaxés, ils font obligatoirement l’objet d’un trafic de
contrebandier portuaire » à surveiller !
commissaire a beau leur dire que ce fromage s’appelle Roquefort
et même en manger un morceau sous leurs yeux de merlans frits,
le frigo est rapidement scellé et scellé Douane. Moralité, l’escale de
quinze jours (c’était la bonne époque) se fait sans fromage ni
beurre sur les tables de l’équipage. Sans beurre … avec un
équipage breton/normand : un véritable scandale !
Une anecdote : lors d’une escale en Afrique nous fûmes fort dépourvus de constater l’absence de cachets imprimés des services sanitaires dans quelques carnets internationaux de vaccination de l’équipage du navire. Ce genre de problème peut
vous mettre en quarantaine et empêcher les opérations commerciales de chargement et déchargement pendant de nombreux jours. Il fallait réagir. Heureusement un officier possédait le tampon réglementaire vierge acheté à Singapour, celui où l’on inscrivait les dates de vaccination. Il manquait le tampon de
l’État vaccinateur, qu’à cela ne tienne, un joli bouchon d’une bouteille de rhum imprimé
avec un léger gauchissement fit l’affaire, sans oublier la signature de « ministre ».
L’escale dura quatre jours !
Pour terminer, voici le capitaine vu par toute une sorte de personnes
qui gravitent autour de lui, vu par :






connaissent pas






En souhaitant vous avoir distrait. Bien sûr, tout ceci est d’une époque que l’on ne connaît plus, celle où le marin de commerce français se trouvait sur toutes les mers du globe, et il était fier d’appartenir à une si belle flotte.
Chers commandants, nous naviguions heureux et nous ne le savions pas !
Amitiés marines !
René Moniot Beaumont
Littérateur de la mer

