Les armateurs se sont réunis hier soir à Paris lors de la soirée annuelle de l’organisation professionnelle Armateurs de France . Soirée qui clôturait une année bien agitée pour le Transmanche mais également tout le secteur passagers menacé plus que jamais par le dumping social.
Après la réunion déclenchée par les acteurs du Transmanche le 26 octobre dernier, que vous pouvez retrouver dans ce numéro, les Armateurs opérant sur le Transmanche (Brittany Ferries, DFDS, Irish Ferries et P&O) se sont réunis hier dans l’après midi pour une première réunion en présence et animée par le Secrétaire d’Etat chargé de la mer Hervé BERVILLE, visant à préparer une charte sociale d’engagement volontaire cadrant la vie, l’organisation du travail et la protection des personnels embarqués. Une avancée majeure et historique dont on attend la concrétisation début 2023.
A la suite de cet évènement, Armateurs de France recevait donc lors de sa soirée annuelle l’ensemble des acteurs du maritime pour un bilan et une détermination de porter haut le pavillon français. Retrouvez à suivre en vidéo mais aussi par écrit et en retranscription audio le discours du Président d’Armateurs de France, Jean-Emmanuel SAUVEE, puis l’intervention d’Hervé BERVILLE qui a pu nous rejoindre en cours d’évènement :
Jean-Emmanuel SAUVEE : Madame la Ministre déléguée, Chère Agnès ; Monsieur le Secrétaire Général de la Mer, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Monsieur le préfet maritime, Amiral ; Monsieur l’ambassadeur, Messieurs les préfets, Madame et Monsieur les Ministres, Chère Annick, Cher Dominique, Mesdames et Messieurs les Présidents, Chère Tanya, Cher Olivier, Chers Amis,
À la suite de plusieurs discussions avec le regretté Yves Coppens, le célèbre paléontologue, je me suis souvent demandé ce qui avait pu pousser une poignée d’individus de notre genre humain, il y a de cela 60 000 ans, à prendre des risques inconsidérés pour entreprendre la traversée d’un détroit situé entre l’Australie et la Papouasie. S’agissant des premiers navigateurs attestés à ce jour, je me suis donc interrogé sur les origines de cette volonté farouche de naviguer sur les mers et sur les océans, de cette volonté d’aller toujours plus loin au large, derrière l’horizon.
Étaient-ils poussés par l’attrait de ces lumières qui rougeoyaient la nuit, au loin, des lumières qui n’étaient ni des couchers, ni des levers de soleil, mais des feux naturels.
Ce besoin viscéral de prendre la Mer ne pouvait se concrétiser qu’à la condition suivante : l’observation. Observer pour comprendre l’orientation des vents et des courants, observer ainsi la trajectoire des bois morts flottant au gré des flots, observer des essences végétales, parfois inconnues, qui s’échouaient sur les rives où vivaient ces navigateurs en devenir.
Ces premiers marins intrépides, juchés avec leurs familles sur des radeaux propulsés par la force des bras, en fait de « très grands paddles », incarnaient déjà l’aventure maritime.
Derrière ces aventuriers de la première heure, il y avait assurément certains d’entre eux qui poussaient les autres, qui initiaient, qui inspiraient l’expédition maritime, qui imaginaient de nouvelles techniques reposant sur l’expérience et qui réunissaient les moyens nécessaires pour partir en mer, tout cela transmis de génération en génération.
À vrai dire, je suis convaincu que le concept du métier d’armateur remonte à l’origine de l’humanité, quand nous avons compris que la mer et les océans faisaient partie intégrante de notre univers.
Combien, depuis, ont-ils fait confiance à ceux qui sont restés à terre, à ceux qui vivent leur aventure à distance, qui initient les projets, construisent et arment les navires et sans lesquels rien ne serait possible.
Ces hommes, ces femmes, pas assez nombreuses, ces familles qui exercent ce métier d’armateur avec passion, conscients de leurs responsabilités mais toujours entreprenants, ayant un goût, si rare, du risque sont d’une catégorie à part d’entrepreneurs.
Plus proches de nous, nos illustres prédécesseurs de l’Antiquité se nommaient nauclères à Athènes, naviculaires à Rome. Ces dénominations signifiaient : « ceux qui possèdent des navires ou des parts de navires ». Plus intéressant encore, une guilde d’armateurs phéniciens, les Poséidoniastes du port de Berytos (Beyrouth au Liban), se déclaraient eux-mêmes comme « marchands, armateurs et entreposeurs ». Nous dirions aujourd’hui qu’ils étaient des intégrateurs de solutions de transports maritimes et de logistique.
Notre métier, vieux comme le commerce, qui remonte à la nuit des temps, n’a cessé de vivre avec son époque.
Longtemps après les capitaines Protis et Pythéas, le premier armateur français connu, au sens moderne du terme, est Jacques Cœur, Grand Argentier du roi Charles VII. Il inaugura, le premier, des lignes maritimes régulières entre Aigues-Mortes et le Levant dès 1432. Comment ne pas faire le lien avec Jacques Saadé, ce créateur d’empire maritime, qui lui aussi démarra sa compagnie entre Marseille et Lattaquié en 1978 ?
Qu’en est-il des premiers regroupements d’armateurs connus sur notre territoire ?
Nous avons appris dans notre passé l’existence de deux puissantes corporations d’armateurs situées à Narbonne ainsi qu’à Arles. Elles ont leur emplacement matérialisé par des mosaïques dans le port d’Ostie, près de Rome. L’une, datant du 1er siècle, représente une « tour de levage » déchargeant un navire dans le port de Narbonne. Cela en fait la plus ancienne représentation connue d’un portique dans le monde ! Les ports et les compagnies maritimes ont toujours été intimement liés.
Nous, Armateurs de France, sommes beaucoup plus récents. En effet, nous fêterons nos 120 ans (tout de même !), dans quelques semaines, le 13 janvier prochain. Notre fondateur, André Lebon, deux fois Ministre de la IIIème République, a déposé les statuts de notre organisation professionnelle dont l’objet repose sur « l’étude et la défense des intérêts communs de l’ensemble de l’industrie de l’armement maritime ». Il ajouta : « depuis longtemps la création d’une association des armateurs de France était ardemment souhaitée par tous ceux qui s’intéressent à notre monde maritime ».
Aujourd’hui, nos statuts comportent les engagements de notre charte Bleue que je rappelle devant vous :
- Garantir le meilleur niveau possible de sécurité pour nos navires et nos équipages !
- Agir en faveur de la protection de l’environnement !
- Placer l’humain au cœur de nos préoccupations !
Son successeur, Adolphe Bordes, était, sans le savoir, le numéro 1 mondial de la décarbonation. Il avait au sommet de sa gloire 40 clippers, les plus beaux et les plus rapides de l’histoire de la Marine à voiles. Ces navires exceptionnels, transportaient 5000 tonnes de marchandises, portaient 5000 m2 de toiles, fractionnées en 40 voiles, pouvaient filer à 15 nœuds mais avaient une vitesse moyenne de 6 à 7 nœuds !
Quand je pense qu’aujourd’hui, pour passer les critères IMO 2023, un grand nombre de navires n’auront d’autres choix que de réduire leur vitesse. Quelle leçon de l’histoire !!
D’autres dirigeants d’envergure se sont succédé pour présider notre organisation professionnelle, je souhaiterais en citer certains : Jules Charles-Roux, John Dal Piaz, Georges Phillipar, Pierre Edouard Cangardel, Francis Fabre, Tristan Vieljeux, Vincent Bolloré, et plus récemment nos amis Philippe Louis-Dreyfus, Raymond Vidil, Marc Chevallier et Jean-Marc Roué et tant d’autres entrepreneurs, hors-pair.
Notre métier d’Armateurs repose sur les qualités suivantes : esprit d’aventure économique, goût du risque, engagement social, sociétal, environnemental, sens du client, culture de la sécurité, et surtout respect des marins et des équipages. Nous nous battons pour un idéal qui est de faire flotter le pavillon français sur toutes les mers et les océans du monde.
Depuis 2600 ans, le port de Marseille demeure le creuset des grandes épopées maritimes de notre pays.
CMA-CGM, qui fait aussi le lien entre l‘héritage des Messageries Maritimes et la Cie Générale Transatlantique, est notre champion mondial d’aujourd’hui, fort d’une flotte de 600 navires, de 155 000 collaborateurs, de plus de 50 terminaux dont celui de Los Angeles, de 750 entrepôts dans le monde et également le premier actionnaire privé d’AFKLM.
Et oui, réjouissons-nous, soyons fiers, car l’entreprise la plus performante de notre histoire économique française, est un armateur !!
J’aimerais aussi citer l’ensemble de nos autres adhérents, présents ce soir, à qui nous devons tout : LOUIS DREYFUS ARMATEURS, BOLUDA, BRITTANY FERRIES, LA MERIDIONALE, DFDS, CORSICA FERRIES, PONANT, SOCATRA, GEOGAS, FRANCE LNG, BOURBON, ORANGE MARINE, LES ABEILLES, MARFRET, V. SHIP, JIFMAR, DTM, KNUTSEN, SOGESTRAN ET GENAVIR, TSM, ALKA MARINE, mais également nos startups et nos adhérents d’outre-mer, nos amis pilotes, sans oublier nos 25 membres associés.
Et bien entendu, l’équipe d’expertes et experts d’Armateurs de France, que nous avons avec notre délégué général, Jean Philippe Casanova, la fierté d’animer !
Ensemble, unis, dans notre diversité, nous sommes la Marine Marchande française, forte de ses 425 navires sous pavillon national et de ses 1000 navires contrôlés.
Toutefois, les enjeux ne manquent pas : le financement de notre flotte est existentiel.
Notre trépied, le Crédit-bail fiscal maritime, agrémenté de la Garantie des Projets Stratégiques de la BPI et du suramortissement vert, la Taxe au Tonnage, les Exonérations de charges doivent être définitivement sanctuarisés. Son optimisation ainsi que nos demandes sur les financements alternatifs sont indispensables dans le cadre de la politique de souveraineté maritime, indispensables à l’économie nationale, que nous appelons de nos vœux.
A ce titre, nous saluons l’initiative gouvernementale de FRANCE MER 2030. Nous rappelons que nous considérons, conformément aux engagements pris lors du Fontenoy du Maritime, que c’est la flotte de commerce sous pavillon français, dans son ensemble, sans exception, qui est stratégique !
Nous voulons réussir le doublement des effectifs de l’ENSM. Nous souhaitons un mouvement massif et ambitieux de l’Enseignement maritime de la seconde professionnelle à la 5ème année d’Hydro avec un puissant volet de Promotion Sociale. Et oui, il faudra toujours dans la Marine Marchande que les matelots qui le souhaitent et le peuvent, puissent devenir, un jour, Capitaine.
Nous nous réjouissons, même si des leviers d’amélioration existent, des annonces récentes du gouvernement sur la préservation de l’ENIM.
Ce bien commun que nous partageons avec nos amis pêcheurs, le plus vieux système, mais toujours moderne, de sécurité sociale au monde. Notre Château de Versailles à nous, il n’est pas de pierre mais de papier, fait à la même époque par les mêmes hommes ! L’éclairage de l’Histoire est toujours inspirant pour construire l’Avenir, et je salue à ce titre mes confrères de l’Académie de Marine.
Notre patrimoine immatériel repose aussi sur la relation avec nos marins, nos équipages et leurs représentants. Aujourd’hui même est une journée fondatrice puisque que nous venons de signer, ce qui n’avait pas été pas le cas depuis 10 années, un accord sur les Minimas salariaux avec l’ensemble des Organisations Syndicales (CGT, CFDT, CFE-CGC) avec lesquels nous travaillons constructivement, avec respect et considération. Nous savons que d’autres échéances nous attendent.
Notre compétitivité doit être préservée alors que les attaques déloyales sont nombreuses. La solidarité avec la filière maritime est essentielle à nos yeux mais notre flotte de commerce, de transports et de services maritimes, doit être prospère afin d’être profitable pour tous.
La période que nous vivons est pleine d’incertitudes. Les nouvelles réglementations, IMO 2023 et particulièrement les ETS européens, vont incontestablement faire évoluer nos modèles économiques mais nous sommes à la manœuvre pour être au rendez-vous de notre époque.
Je pense à 2030, demain à notre échelle de temps, où nous devrons avoir drastiquement réduit notre empreinte carbone. Nous devrons embarquer dans ce projet d’avenir nos clients, à qui nous devons tant.
Notre métier qui se réinvente tous les jours a besoin d’évoluer dans le long terme avec leur concours.
Nous vivons dans un monde de compétition, mais nous voulons nous battre à armes égales. Nous sommes contre le dumping qui peut prendre des formes diverses : sécuritaires, environnementales, fiscales et surtout sociales.
Beaucoup s’inquiètent à juste titre. La Charte sociale présentée, il y a moins de 2 heures, par notre Secrétaire d’Etat, nous rassure. Nous souhaitons des règles du jeu justes car nous voulons une compétition équitable !
Comme nos anciens, nous pratiquons la navigation en Terra Incognita ! Elle est particulièrement vraie en ce qui concerne les nouvelles technologies pour nos navires. Je dis bien LES nouvelles technologies car il s’agira sûrement d’un combiné en fonction des zones et des conditions d’exploitation ainsi que des capacités à souter ces nouveaux combustibles dans le monde entier en fonction de leur disponibilité et de leur coût.
Les départements Recherche et Développement s’activent dans nos armements pour trouver les bonnes formules techniques pour demain, mais toutes les initiatives, que nous soutenons, pour nous assister dans ce grand mouvement sont les bienvenues. Je pense bien entendu à MEET 2050.
Mais attention, nous devrons trouver les chantiers navals pour réaliser, dans des délais et des coûts raisonnables, notre nouvelle flotte plus vertueuse, et obtenir des financements pour cette montagne d’investissements, haute comme une vague scélérate qui est devant nous. Dans les deux cas, il en manque à ce stade !!
Avons-nous toutes les réponses à ces questions majeures ? Non !
Avons-nous enclenché le processus irréversible de transition et de transformation de notre profession ? Oui !
Pouvons-nous espérer être raisonnablement parmi les premiers pays dans le monde à passer ces rendez-vous historiques en 2030, 2040 et 2050 ?
Oui, nous le pouvons car c’est notre ambition, notre défi, notre idéal. Cela sera notre contribution à notre pays, à notre planète, aux générations futures. Nous voulons qu’on puisse dire, dans des décennies, que nous, les Armateurs français du début du 21ème siècle, nous n’avons pas manqué notre rendez-vous avec l’Histoire !
Mais cette réalisation majeure ne se fera sans un effort collectif puissant car les défis sont immenses ! C’est tous ensemble, collectivement, dans cette salle, que nous trouverons les forces vives pour aller convaincre ceux qui ne le sont pas encore.
Pour ce projet qui nous dépasse, vous pourrez, vous le monde maritime, toujours compter sur les armateurs français, à vos côtés, car nous savons que nous pourrons compter sur vous tous, à nos côtés, pour cette navigation, de conserve avec l’ambition de porter notre Marine Marchande, toujours plus haut !
Je vous remercie à tous de votre attention…
A la fin des présentations Hervé BERVILLE a pu nous rejoindre et nous a fait le plaisir de prendre la parole :