Commandant Charcot

Journal de bord – 19 janvier : arrivée sur la Péninsule

Par Nicolas Servel, Chercheur en biologie marine actuellement à bord

Jeune Marine a le plaisir de vous proposer un nouveau volet du « Journal de bord de la première Semi-circumnavigation Côtière de l’Antarctique occidentale par le navire d’exploration polaire Le Commandant Charcot. »

Cette formidable aventure vous est narrée par Nicolas SERVEL, Chercheur en biologie marine actuellement embarqué sur le Commandant Charcot, Président de TAXALIA-XR et contributeur pour la revue Jeune Marine : que de talents ! Il nous fait l’extrême honneur de suivre le déroulé avec le Commandant Stanislas Devorsine. 

 

19 janvier : arrivée sur la Péninsule

  • Coordonnées GPS départ : 62°20,6’ S / 66°35,1’ W
  • Coordonnées GPS arrivée : 67°34,5’ S / 67°55,6’ W
  • Distance parcourue : 340,2 NM

Météo :

Carte vents et houle
Carte météo dynamique

 

 

 

 

 

 

 

 

– vent : Force 6. 24 nœuds de secteur ouest-nord-ouest avec rafales à 30 nœuds, puis navigation sous le vent des îles. Flux locaux et effets venturi dans les fjords.

– houle : 5m à 6m de secteur ouest-nord-ouest par le travers, puis navigation sous le vent des îles

– glace : premiers icebergs clairsemés. La Baie de Hanusse est complètement libre. Seul quelques bandes de brash subsistent dans le Gullet, ainsi que des growlers de taille réduite. 1/10 dans le nord de la Baie Marguerite

– courant : veines de circumpolaire d’ouest à 1/2 nœud au large, puis courant de marée (1m30 de marnage)

Aperçu de l’itinéraire – ©N. Servel – DR

Nous continuons la traversée du Drake en direction du Détroit de Pendleton. Vers 13h il se met à neiger. La houle, plutôt longue et régulière jusqu’ici, se désorganise à l’approche de l’Ile Lavoisier que nous contournerons par le nord pour pénétrer dans le Crystal Sound. La visibilité bouchonne autour de 6000 m. Vers 14h00, nous virons au 121 pour engager Le Commandant Charcot dans le Pendleton entre les îles Lavoisier et Renaud. La partie sondée du détroit est réduite, mais les fonds sont donnés à plus de cent mètres côté large et cinq cents mètres côté intérieur. 

Aucun doute, cette topographie est le fruit de la glaciation quaternaire, dont les glaciers ont surcreusé le plateau continental il y a moins de 3 millions d’années. C’est dans ces fosses que s’accumulent les eaux denses et saturées de saumure qui se forment lorsque la mer regèle à l’automne. L’hiver Antarctique en produit tant que les bas-fonds finissent par déborder et ces eaux froides (-1.5 degrés) s’épanchent dans les abysses pour tapisser les océans. On les nomme Eaux Antarctiques de Fond. 

A 14h27, la côte de Lavoisier se profile dans la brume à 5 NM sur quatre quarts tribord : ce sera notre première terre Antarctique. À 16h30, nous arrivons en vue d’un premier iceberg, puis à 17h30, nous franchissons le cercle polaire. Vers 20h30, le Commandant Charcot s’engouffre dans le célèbre Gullet, canal étroit qui sépare la péninsule Arrowsmith de l’île Adélaïde. Chose rare, le Tickle est entièrement libre de glace. L’été 2022-2023 est sans aucun doute une saison noire pour la banquise en Antarctique. Une baleine à bosse nous salue, accompagnée d’un envol de pétrels des neiges. L’entrée dans le fjord Laubeuf se fait dans une ambiance typique de la Terre de Graham : growlers et icebergs barbotent paisiblement dans la lumière mélancolique qui perce le plafond nuageux. L’effet venturi se joue de notre prise au vent et il faut corriger plusieurs fois notre route. 

Nous voici dans la Baie Marguerite. Pour beaucoup, c’est un record méridional. Pour nous, le voyage ne fait que commencer. Aux commandes, Loïc, l’OSSEO, envoie Flavien, un cadet, surveiller un growler suffisamment massif pour nous causer du tort à cette vitesse (7 nœuds). « Quinze mètres à la passerelle, constant, » annonce-t-il. « Quinze mètres constants aux lifeboats… Clair ! » 

Vers 23h, nous croisons deux baleines à bosse qui frôlent notre étrave. Sueurs ! Finalement, plus de peur que de mal, et la mère s’éloigne avec le baleineau qui, vu la saison, doit terminer son adolescence. Nous nous empressons de noter les coordonnés GPS ainsi que les informations nécessaires pour fournir un rapport à l’IAATO. Cette organisation régule toutes nos activités au sud du 60ème parallèle. Chaque rencontre avec des mammifères marins doit en principe leur être signalée et décrite pour le suivi des populations.  

À minuit, il fait grand jour, et nous passons au 90 de la base scientifique britannique de Rothera, l’une des plus importantes du continent. Nous aurions voulu nous y arrêter, mais impossible depuis la COVID-19 de débarquer dans les bases. Tant pis, nous devrons patienter encore un peu avant de nous dégourdir les jambes. 

Le radar : un outil indispensable pour la navigation dans les glaces – coll. ©N. Servel

Au Nord de la Baie Marguerite, le radar permet d’estimer la couverture de glace. 1/10 signifie que 10% ou moins de la mer en est couverte. Il faut aussi analyser le type de glace. La glace terrestre, c’est-à-dire les icebergs vêlés par les glaciers qui se disloquent en bergy bits, growlers, puis brash, est plus dense et beaucoup plus dangereuse que la glace de mer comme la banquise. Un growler moyen pèse une tonne, contre 2 mégatonnes pour un iceberg de taille moyenne, et plusieurs dizaines de mégatonnes pour un grand tabulaire. 

 

Nicolas SERVEL

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