À la uneCommandant CharcotInterviewJeune Marine N°269Vie à bord

PORTRAIT : Loïc JUGAULT, lieutenant à bord du Commandant Charcot

Chacun avance à son rythme. Certains se battent contre des vents contraires, et d’autres surfent au grand largue à toute allure. C’est le cas de Loïc, notre OSSEO. À vingt-quatre ans, le jeune officier de quart du Commandant Charcot fait office de fusée stratosphérique. Pourtant, il se démarque aussi par une grande discrétion et une simplicité d’abord.

Né à Rennes d’un père malouin et d’une mère colombienne, ce jeune breton trilingue et binational baigne dans un environnement multiculturel. Il voyage à travers le monde, de l’Amérique Latine à l’Asie du Sud-Est, et se prend de passion pour l’histoire. Entre le Moyen-âge et les pirates, son univers s’érige de livres et de séries, mais aussi de musique et de documentaires. D’ailleurs, il m’avoue apprécier lorsqu’il a l’occasion d’assister à nos conférences ou aux spectacles de danse. C’est donc sous le signe de l’ouverture culturelle et intellectuelle que Loïc se construit.

Initié à la voile par son père, il apprivoise le noroît aux barres des dériveurs. Il régate tôt, s’essaye aux habitables à quinze ans, et accomplit sa première course transmanche l’année suivante. C’est là qu’il rencontre la marine marchande, sous les traits du Commandant Yannick Simon, maître du Belém et du voilier Ponant. Ce dernier devient son entraineur de voile. Quant au voisin qui lui apprend la pêche, il n’est autre que le directeur du campus malouin de l’ENSM. Les dés semblent résolument jetés.

Si c’est d’abord la construction navale qui l’attire, son amour du grand large l’emporte : il intègre la classe préparatoire des Rimains, puis en 2018, réussit le concours d’entrée de l’ENSM Marseille. Il embarque comme élève sur Le Boréal au Svalbard ; son premier commandant n’est autre que le légendaire Étienne Garcia. Après avoir croisé le long des côtes groenlandaises, Le Boréal entame le Passage du Nord-Ouest où la glace triomphe du trajet escompté et les force à rebrousser chemin. Pour Loïc, c’est une rencontre avec l’élément blanc qui règne en maitre sur les hautes latitudes. Il débarque à Hawaii, puis enchaîne sur Le Lyrial en Antarctique pour une première saison australe.

Le Commandant Charcot appareille d’Ushuaïa – Coll. ©N. Servel

Loïc reste pudique sur ses performances comme cadet. Pourtant, il convainc ses supérieurs au point que ceux-ci poussent pour qu’il soit intégré à l’équipe du Commandant Charcot. En 2021, Loïc Jugault devient le premier cadet du vaisseau amiral, aux côtés des matelots de la future équipe pont et d’officiers triés sur le volet. Avec le second et l’officier sécurité, il participe à l’établissement des procédures et inventaires. Forcé de rentrer à l’école pour sa quatrième année, il manque le dry run et la saison inaugurale en Antarctique. Il se rattrape avec l’Arctique l’été 2022, d’abord en tant que troisième à la sécurité, puis en tant qu’OSSEO. Il n’a que vingt-trois ans.

Je le questionne sur les spécificités de son poste sur un navire pareil : « OSSEO sur le Charcot, c’est du travail en plus par rapport au reste de la flotte. L’équipage est plus grand. En revanche, nous sommes mieux équipés pour le traitement des déchets. Toutes les capacités de stockage sont surdimensionnées afin de garantir une autonomie étendue : nous partons plus loin et plus longtemps, avec davantage de passagers à bord. Nos cuves sont tellement grandes que nous bénéficions de belles marges de manœuvres. Le navire est conçu pour ne rien rejeter et tout évacuer au port. Sur des croisières comme celle-ci, le défi, c’est le stockage des pulpables*. Il faut déshydrater les cuves pour gagner en capacité et conserver au frais. Après, comme je gère également la sécurité des personnes au travail, je suis responsable de la maintenance d’un parc PPE* étendu, avec les gants cryogéniques dans les parties d’ATEX* et l’équipement grand froid. »

La discussion continue sur la partie navigation. Après tout, Loïc est officier de quart, et c’est aux commandes du Commandant Charcot que je le retrouve le plus souvent. Comme ses collègues, il est ce qu’on appelle avec humour un bipôlaire, c’est à dire qu’il navigue en Arctique et en Antarctique. Il connait bien la glace.  « Les glaces du pôle nord peuvent être ultra compactes, avec une pression maximale. On doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour ouvrir un passage. Par contre, ce n’est que de la banquise, donc le navire est fait pour ça et on peut envoyer les gaz. À contrario, en Mer de Weddell, je me suis retrouvé dans des champs de growlers vraiment dangereux pour les hélices et il fallait être extrêmement prudent. J’avançais au pas pour écarter les blocs sans les aspirer sous la carène. Et puis sur les ailes de saison, on brise la glace de nuit, à la lumière des feux de navigation. C’est une ambiance de dingue. »

Sans prendre le temps de ralentir, Loïc a fait ses preuves. Patrick Marchesseau le laisse présider certaines manœuvres comme les mouillages ; Étienne Garcia lui fait confiance pour altérer la route et observer la faune. « Avec le Charcot, les quarts sont encore plus exigeants lors des opérations. J’ai pu me retrouver à coordonner en même temps deux manœuvres scientifiques, les kayakistes, les randonneurs, un vol hélicoptère, la manip’ hydrophone, une zodcruise*, et des plongeurs sous glace, avec bien sûr en plus un œil sur la coupée et la gestion du positionnement dynamique. C’est vite intense, avec toutes les fréquences radios à surveiller simultanément tout en ayant les 3,4MW du propulseur d’étrave entre les mains. C’est presque la puissance du Boréal ! » 

Coll. ©D. Granier

Enfin, lorsque je l’interroge sur notre itinéraire, Loïc admet un certain enthousiasme : « Avec cette semi-circumnavigation et le Passage du Nord-Ouest, j’aurai fait les croisières les plus longues de la compagnie. Depuis que nous avons quitté Ushuaia, nous avons rencontré toutes les conditions de glace. Esthétiquement, c’est remarquable. Dans la Baie d’Amundsen ou autour de Siple, nous avons traversé des champs de tabulaires délirants, de la fast intègre, du pack surcomprimé… En quittant l’île, nous naviguions sur cinq groupes avec quasiment la totalité de la propulsion. Quarante mégawatts contre des centaines de kilomètres carrés de banquise pressurisée par le vent. Nous avons aussi rencontré des conditions de mer agitée dans le Drake, et quelques jours de grand froid. Seul le Commandant Charcot peut se mesurer à de tels éléments. Entre nous et les autres navires de croisière, il y a un monde. Nous évoluons dans une autre dimension. »

Loïc est fier et il peut l’être. Nous en oublierions presque qu’il lui reste à finir sa cinquième année pour obtenir son brevet de chef de quart illimité. Ce sera pour décembre 2023. Les portes du Commandant Charcot lui seront alors ouvertes pour gravir les échelons hiérarchiques : navigation, sécurité, premier, second… et qui sait, peut-être commandant. « J’ai le temps, » répond-il avec un grand sourire. Effectivement, du temps, Loïc en a – pourtant quelque chose me dit que la fusée n’est pas près d’atterrir.

 

*PPE : Personnal Protective Equipment (EPI)

*ATEX : Atmosphère Explosive

*Pulpable : déchets alimentaires broyables

*zodcruise : croisière en zodiac

Nicolas SERVEL

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