Sur un trajet comme cette semi-circumnavigation, le poste d’officier navigation revêt une importance particulière. À la passerelle du Commandant Charcot, celui qui trace nos routes et établit les corridors de sécurité, c’est Valentin Gavin. Ce jeune azuréen de vingt-six ans arbore le plus souvent un air sérieux et appliqué, toujours serviable et de bonne compagnie. Petit fils de mécanicien sur le porte-avion Clémenceau, fils de skipper de voiles classiques, Valentin nait sous un signe inévitablement nautique. Il apprend à naviguer sur les optimistes et les quatre-cent-vingt, régate, puis opte pour le Kite – et s’il est un sport qui exige une maîtrise raffinée de la mer et de la rose des vents, c’est bien celui-là. De la navigation au sens le plus primaire.
Avec le temps, il lui devient évident qu’il n’est pas fait pour la routine. Il tente une première fois le concours d’entrée à l’ENSM en 2014, échoue, et se rabat vers une classe préparatoire math sup. Il enchaîne sur une licence de physique à l’université. Si l’astrophysique suscite chez lui un intérêt certain, il avoue ne pas y avoir plus que cela trouvé sa voie : « Je n’étais pas suffisamment passionné pour continuer. C’est un champ qui manque de débouchés ; c’est très compétitif. Alors je suis revenu à ma première envie. J’ai repassé le concours et je me suis présenté sur dossier. J’ai été accepté dans les deux procédures ; je suis reparti à zéro. »
Pour son premier embarquement, il intègre l’équipage du Tangara de la Maritime Nantaise. Le navire dessert l’Afrique de l’Ouest pour le compte de l’armée de terre. Moitié-moitié machine et pont, il termine proprement mais préfère suivre sa soif de nouveauté quand vient le temps de repartir en mer. Il entre chez Ponant sur L’Austral, revient sur ce navire, puis rejoint Le Champlain.
Enthousiasmé par les navigations polaires, il postule une fois fini ses temps d’élève pour un contrat professionnel sur Le Commandant Charcot. Il obtient une dérogation pour devenir troisième officier sécurité et embarque en 2021 pour le voyage inaugural et la première saison en Antarctique. « J’affectionne particulièrement la navigation dans la glace. Tout change en permanence et il faut manœuvrer, s’adapter. Sur ce navire, j’apprends énormément. Par exemple, lorsqu’il a fallu choisir entre contourner les banquises de la Mer d’Amundsen par le nord et s’aventurer dans la glace le long des côtes. Cela s’annonçait compliqué car la débâcle n’était pas amorcée, mais du vent de secteur sud était prévu. Le commandant a suivi son instinct, et on est arrivés exactement au bon moment dans les bonnes conditions. Dans la glace, il y a ce qui est, et il y a ce qui sera. Il faut utiliser le premier pour deviner le second et constamment recalculer. »
Il retourne à l’école pour sa cinquième année en 2022 et passe les examens finaux le quinze décembre. C’est là que je fais sa connaissance, dans l’avion entre Amsterdam et Buenos Aires. Ainsi embarque-t-il pour son premier contrat comme officier de quart. « J’ai perdu tout de même quelques réflexes en retournant sur les bancs de l’école, mais j’ai tôt fait de reprendre mes marques. Au quotidien, je jongle entre Icy Sea*, les cartes GPS et OLEX (données de bathymétrie obtenues par multi-faisceaux mises à disposition par les navires scientifiques de la NOAA) pour proposer une route au commandant. Ça constitue une base sur laquelle il va s’appuyer pour décider de notre trajectoire. Cette traversée entre Ushuaïa et Lyttleton sort des sentiers battus de la croisière en Péninsule. Nous croisons des eaux peu ou pas fréquentées, à plusieurs jours de tout secours. C’est un des rares endroits sur Terre où il n’y a aucun phare, aucune balise, aucun chenal délimité. Autant dire qu’on ne met pas souvent le pilote automatique ! »
*Icy Sea : cartes glace régulièrement mises à jour
Nicolas SERVEL
