Commandant Charcot

Journal de bord – 21 janvier : Charcot Island

Par Nicolas Servel, Chercheur en biologie marine actuellement à bord

Jeune Marine a le plaisir de vous proposer un nouveau volet du « Journal de bord de la première Semi-circumnavigation Côtière de l’Antarctique occidentale par le navire d’exploration polaire Le Commandant Charcot. »

Cette formidable aventure vous est narrée par Nicolas SERVEL, Chercheur en biologie marine actuellement embarqué sur le Commandant Charcot, Président de TALARIA-XR et contributeur pour la revue Jeune Marine : que de talents ! Il nous fait l’extrême honneur de suivre le déroulé avec le Commandant Stanislas Devorsine. 

 

21 janvier : Charcot Island

  • Coordonnées GPS départ : 68°41,5’ S / 73°31,1’ W
  • Coordonnées GPS arrivée : 71°37,4’ S / 79°01,5’ W
  • Distance parcourue : 237,01 NM

Météo :

Carte des vents & houle

 

 

 

 

 

 

 

 

– vent : Nord-Est force 5 dans la nuit

– houle : 1m de houle

– glace : dans la nuit quelques icebergs. Dans la baie de l’île Charcot: 9/10 Brash et jusqu’à 4/10 pour les gros icebergs.

Aperçu de l’itinéraire – ©N. Servel – DR

La navigation des premières sept heures de la « nuit » s’est déroulée dans des conditions stables et clémentes. Nous changeons d’heure : à minuit, il est onze-heures du soir. Les nuages sont de plus en plus hauts, et laissent apparaître de larges patchs de ciel bleu pâle, laissant présager une présence importante d’eau aérosolisée dans la haute atmosphère. Vers 9h, nous sortons de la carte. La baie qui s’ouvre au nord-ouest de l’île n’est pas sondée. Jusqu’ici, elle a toujours été connue prisonnière d’épaisses banquises et de pack, cette accumulation ultra-compacte de glaces de mer et de terre dérivantes poussées par le vent et les courants. Ces systèmes sont dangereux, même pour un navire de classe II, du fait des forces de compression immenses qui s’y exercent, ainsi que l’hétérogénéité des glaces qui s’y concentrent. 

Cette année, cependant, le paysage est transformé. La mer s’engouffre dans ce large fer à cheval ceint de hauts murs à la blancheur étincelante. De lourds icebergs en encombrent le fond ; nous évitons à 9h40 pour retraverser la nappe de brash poussée par la marée. Nous ne comptons plus les phoques -crabiers, Weddell, et même un léopard- alanguis sur les growlers. Il est impossible de décrire le choc esthétique qui s’opère lorsque le bleu-gris de la mer se mue en tapis blanc, ponctué de marbrures aigue-marine aux flancs des bourguignons*. La palette Antarctique est subtile, changeante, mais belle quoi qu’il advienne – et parfois, il suffit d’un furtif rayon de soleil pour donner l’impression que l’on contemple une de ces cartes lenticulaires où se superposent deux images. Alors que nous approchons de la ligne symbolique du 70ème parallèle sud, le ciel s’ouvre, le dôme de glace l’Île Charcot s’éclairent, et trois baleines à bosse surgissent à l’avant du navire. A notre vue, elles interrompent brièvement leur festin le temps d’étancher leur curiosité ; le krill nous saura gré. Étant donné la latitude, cela ne fait pas longtemps qu’elles sont rentrées de migration. Sûrement les aurai-je croisées en décembre dans le courant de Humboldt lors de ma dernière navigation sur le Silver Wind, alors qu’elles quittaient l’équateur où elles se reproduisent et mettent au monde leurs baleineaux.

Collection ©Delphine GRANIER – DR

À midi : champagne ! Nous rassemblons les troupes sur l’hélideck pour célébrer le franchissement du 70ème parallèle. Le commandant lève sa coupe, et nous trinquons symboliquement. L’exploration débute maintenant. 

La proue du navire se clairseme rapidement sous le coup des rafales d’air glacé. Finalement il ne reste plus que l’équipe d’expédition. Florence nous regroupe au pied du gwen-ha-du pour une photo souvenir. Nous ne sommes pas installés que Lucas, le second, assène un coup de corne de brume. Nous sursautons maladroitement ; je le vois qui s’esclaffe en passerelle. Nous rigolons aussi ; il faut savoir être le dindon de la farce. 

Collection ©Delphine GRANIER – DR

L’après-midi, nous voguons cap au sud. La mer est plate ; après cinq jours à se faire secouer, c’est décontenançant. Au large de l’Île Latady, nous découvrons un cimetière de gigantesques tabulaires, ces lambeaux de plateforme glaciaire disloquée échoués par trois cents mètres de fond. Vous avez bien lu. Les créneaux de glace étincelante qui culminent près de cent mètres au-dessus des vagues s’enracinent sur d’abyssales aspérités, errant tels des vaisseaux fantômes au gré de vents tempétueux. Le second capitaine met les cadets à l’épreuve : l’exercice est de mesurer la hauteur des icebergs par la seule force de la géométrie et des sextants. Quant à moi, j’entraîne deux collègues à la proue du navire pour rejouer la mythique scène d’un film dont je n’écrirai pas le nom. 

*Bourguignons : nom donné aux growlers par Jean-Baptiste Charcot

 

Nicolas SERVEL

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