Commandant Charcot

Journal de bord – 27 janvier : Siple Island

Par Nicolas Servel, Chercheur en biologie marine actuellement à bord

Jeune Marine a le plaisir de vous proposer un nouveau volet du « Journal de bord de la première Semi-circumnavigation Côtière de l’Antarctique occidental par le navire d’exploration polaire Le Commandant Charcot. »

Cette formidable aventure vous est narrée par Nicolas SERVEL, Chercheur en biologie marine actuellement embarqué sur le Commandant Charcot, Président de TALARIA-XR et contributeur pour la revue Jeune Marine : que de talents ! Il nous fait l’extrême honneur de suivre le déroulé avec le Commandant Stanislas Devorsine. 

 

27 janvier : Siple Island

  • Coordonnées GPS départ : 73°17,1’S / 125°37,3’ W
  • Coordonnées GPS arrivée : 73°37,6’ S / 128°53,5’ W
  • Distance parcourue : 86,98 NM

Météo :

Carte des vents
Carte météo

 

 

 

 

 

 

 

 

– vent : force 3 de secteur sud-est

– météo : ciel dégagé

– mer : 1, mer d’huile entre les plaques de banquises

– visibilité : E très bonne

– glace : 10/10 au niveau du fast et entre 5/10 et 9/10 dans le pack

– température : -16°C ressentis à 06h00, +3°C à 16h00

– humidité : 49%

 

Aperçu de l’itinéraire – ©N. Servel

Le réveil à cinq heures pique un peu, mais il me suffit d’ouvrir les rideaux pour que la motivation revienne. L’équipe pont, sous la supervision de Turts, notre maître d’équipage, installe la Ice Gangway. La coupée est placée sous la grue et maintenue par un câble. Si la glace cède, nous ne la perdrons pas. Dehors, l’horizon court à perte vue. Les guides de randonnée quittent le navire pour chercher un chemin sûr vers la colonie de manchots empereurs. Avec le reste de l’équipe d’expédition, nous balisons un périmètre d’un kilomètre carré avant de partir sur les traces de nos éclaireurs. Nous prenons les tuts, ces sondes à glace inuit fabriquées par le charpentier.

Les crêtes de compression succèdent aux fissures plus ou moins larges. 2 km plus loin, nous atteignons la colonie. Ces adultes en mue sont facilement effarouchables. Nous gardons nos distances, à peu près trente mètres, ce qui nous permet de ne pas les déranger. Au fil de la matinée, la banquise bouge. Je garde à l’œil une crevasse qui s’élargit, tandis qu’un peu plus loin, la crête de compression siffle, gratte, grince, et se soulève. Je tiens la passerelle informée : nous ne voudrions pas que les randonneurs se trouvent coincés de l’autre côté.

Vers midi, nous honorons une tradition à bord du Commandant Charcot : le polar plunge. L’équipe d’expédition installe un marchepied au bord de la banquise, et nous plongeons directement dans l’eau à un degré en dessous de zéro. Alors que nous nageons, un empereur bondit sur la glace à quelques mètres. Il nous contemple plus de vingt minutes, curieux, nous forçant même à reculer afin de conserver les cinq mètres de distance règlementaire.

Après le déjeuner, le second capitaine et le premier officier chevauchent les motoneiges dans l’espoir d’atteindre une butte à environ trois milles. S’ils n’y parviendront pas, toutefois, ils en acquièrent la certitude : ce n’est pas un iceberg mais bien une île, rocheuse, recouverte de glace et prisonnière de la banquise. Cette terre ne figure sur aucune carte : c’est donc une invention en bonne et due forme à laquelle nous assistons. Il faudra la nommer !

Vers quinze heures, j’assiste l’officier expédition et son élève à remonter les motoneiges ainsi que le sherp, cette sorte de tank des glaces flottant qui sert au transport du matériel scientifique et aux opérations de secours. Si le moindre incident survenait, il nous faudrait six jours de mer pour atteindre la McMurdo, la base scientifique la plus proche. Nulle part sur la côte antarctique n’est aussi loin de toute occupation humaine, ce qui justifie le recours au matériel de pointe que nous déployons autour des zones d’opération.

 

Vers seize heures, nous quittons la fast ice. Le commandant prend la barre et nous entraîne dans un formidable slalom entre les tabulaires, guidé par les clichés aériens pris depuis l’hélicoptère. La plateforme glaciaire, en se disloquant a laissé derrière elle un véritable dédale de tours et de créneaux à la blancheur immaculée.

Le vent a tourné à l’ouest. La pression s’est redistribuée depuis la veille et nous joue quelques tours. À dix-sept heures, nous franchissons une porte étroite de trois encablures entre deux tabulaires. Je peine à en estimer la hauteur. Sûrement entre soixante et quatre-vingt-dix mètres. À dix-sept heures dix, le navire s’arrête net, cassé dans son élan par le pack. Les crêtes de compression ont accumulé trop de tension. Malgré la puissance de la machine, c’est la banquise qui remporte la manche. Marche arrière ; nous évitons, et tentons notre chance un peu plus loin.

Tant bien que mal, nous contournons Siple Island. Nous ne comptons plus les adélies et les empereurs. Vers dix-huit heures, le commandant appelle l’équipe d’expédition à la passerelle : Olivier, le pilote d’hélicoptère, vient de repérer un rarissime phoque de Ross. Il fait opérer un demi-tour au Commandant Charcot et nous rapproche à une centaine de mètres de l’animal. Après quelques minutes, il exécute une marche arrière dans son sillon, les yeux rivés sur les plaques de glace recouvertes de neige. Il faudra la soirée pour nous extraire de la banquise, à frôler les tabulaires géants à coups de girations subites et de gîte à plus de sept degrés d’inclinaison : une navigation de haut vol !

Nicolas SERVEL

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