Jeune Marine a le plaisir de vous proposer un nouveau volet du « Journal de bord de la première Semi-circumnavigation Côtière de l’Antarctique occidental par le navire d’exploration polaire Le Commandant Charcot. »
Cette formidable aventure vous est narrée par Nicolas SERVEL, Chercheur en biologie marine actuellement embarqué sur le Commandant Charcot, Président de TALARIA-XR et contributeur pour la revue Jeune Marine : que de talents ! Il nous fait l’extrême honneur de suivre le déroulé avec le Commandant Stanislas Devorsine.
28 janvier : de Siple Island à Cruzen Island
- Coordonnées GPS départ : 73°37,6’S / 128°53,5’ W
- Coordonnées GPS arrivée : 74°23,3’ S / 143°29,7’ W
- Distance parcourue : 321,71 NM
Météo :
– vent : force 6 secteur est
– météo : partiellement nuageux
– mer : 3, petites vagues
– visibilité : D, bonne
– glace : 0/10 ; nombreux tabulaires, growlers sous le vent, icebergs épars
– température : -11°C ressentis
– humidité : 77%
Nous changeons encore d’heure dans la nuit. Au réveil, nous retrouvons le couvercle anthracite du ciel austral. Nous croisons au large de la Terre Marie Byrd dans des eaux relativement libres, cap au 256. Notre objectif de la journée est d’atteindre la base de Russkaya (74°78,0’S / 136°80,9’W), une mystérieuse station de recherche soviétique dont personne ne sait trop rien.
Officiellement, elle est désaffectée depuis la chute de l’URSS, cependant, nous avons trouvé un site russe faisant mention de campagnes d’été. A-t-elle été réactivée à bas bruit ?
C’est une autre surprise qui nous attend. Le Xue Long, brise-glace scientifique chinois, est stationnaire non loin du cap où se situe la base. Le commandant Devorsine le connaît bien : ils ont participé ensemble au secours de l’Akademik Shokalskiy en 2013. Nous les interpellons à la radio, toutefois, ils sont restés sur un autre fuseau horaire et tout le monde dort hormis les officiers de quart. Il serait peu courtois de les déranger ; nous continuons donc notre route en direction de Russkaya. Les conditions ont forci et nous semblent peu propices à un débarquement. Nous envoyons tout de même un zodiac sonder la côte. Aux jumelles, nous scrutons les vieilles bâtisses rouillées. Une colonie de manchots Adélie s’est installée dans les rochers au pied de la base. Nous pouvons démentir les rumeurs : Russkaya est bel et bien abandonnée.
Le second et le commandant repèrent une nouvelle île qui n’est répertoriée sur aucune carte. Cette fois, l’officier navigation propose spontanément le nom de Romane Island. Nous reprenons la route vers Cape Colbeck et les portes de la Mer de Ross lorsque quatre rorquals de Minke font irruption à sept quarts tribord. Ils bondissent hors des flots dans des gerbes d’écumes. Sans hésiter, le commandant se précipite à la passerelle et enclenche un virage serré à quinze nœuds pour les mettre dans l’axe. Le navire ralentit, et les baleines s’approchent d’elles-mêmes. Nous les voyons en transparence, plonger puis respirer, avant de repartir en bondissant. Avec un azipod à soixante degrés de l’axe et l’autre à cent-vingt, nous entamons un évitage viril à plus de six nœuds. Taux de giration : 90, l’aiguille est en butée. « 180 avec le frein à main » plaisante le « nav »*.
Le soir, nous traçons en direction du sud, et passons l’Île Cruzen. Demain, nous passerons la journée en mer.
*nav’ : officier navigation
Nicolas SERVEL