Commandant Charcot

Journal de bord – 3 février : Mer de Ross

Par Nicolas Servel, Chercheur en biologie marine actuellement à bord

Jeune Marine a le plaisir de vous proposer un nouveau volet du « Journal de bord de la première Semi-circumnavigation Côtière de l’Antarctique occidentale par le navire d’exploration polaire Le Commandant Charcot. »

Cette formidable aventure vous est narrée par Nicolas SERVEL, Chercheur en biologie marine actuellement embarqué sur le Commandant Charcot, Président de TALARIA-XR et contributeur pour la revue Jeune Marine : que de talents ! Il nous fait l’extrême honneur de suivre le déroulé avec le Commandant Stanislas Devorsine. 

 

  • Coordonnées GPS départ : 71°22,1’ S / 95°58,1’ W
  • Coordonnées GPS arrivée : 73°02,3’ S / 104°20,2’ W
  • Distance parcourue : 198.97 NM

Météo :

Carte des vents
Carte météo dynamique

 

 

 

 

 

 

 

 

– vent : force 3 de secteur nord le matin, force 5 de secteur sud l’après-midi, force 11 dans la soirée.

– ciel : A, dégagé le matin, puis c, couvert dans l’après-midi, et G, neige, en soirée.

– mer : 2 ; calme puis 4, modérée, jusqu’à 5, agitée.

– visibilité : D bonne, puis C moyenne, et B, mauvaise.

– glace : 0 à 6/10

– Temp : -11°C ressentis

– humidité : 56%

 

Coll. ©Nicolas SERVEL

Le matin, Le Commandant Charcot reste en dérive le temps que nous organisions le débarquement à la manchotière de Cape Bird, où piaillent entre cent-mille et deux-cent-mille manchots adélies. Les poussins de l’année s’agglutinent avec leurs camarades de crèche sur le rivage. Leur aspect punk, ils le doivent à la mue : le duvet juvénile qui se trouve sur leurs têtes est le dernier à se décrocher. Bientôt, ils seront prêts à se jeter dans l’eau glaciale pour la première fois de leur vie, tiraillés par la faim. Les parents ont repris leur liberté, et c’est cette faim qui poussera les jeunes oiseaux à quitter la sûreté de la terre ferme dès que leurs plumes seront étanches. En retrait de la plage, les labbes s’agitent à moindre incursion. Ils défendent leurs poussins, ces adorables petites boules de coton blanc.

En quittant Cape Bird, je ne peux que me réjouir de voir les Adélies en si grand nombre. Plus au nord, les populations sont en perpétuel recul. Le réchauffement de l’atmosphère fait surchauffer ces oiseaux adaptés au froid extrême. La banquise fond plus vite, les privant de refuge où muer ; les pluies à la fréquence croissante trempent les poussins, et la fonte de plus en plus précoce de la neige au printemps inonde les nids.

Au même moment, le commandant effectue un aller-retour avec l’hélicoptère pour vérifier les conditions à Cape Royds. Il revient convaincu : la fenêtre météorologique ne nous permettra pas de retenter un passage par la cabane de Shackleton. Au lieu de cela, nous mettons cap à l’est pour contourner l’Ile Beaufort puis au nord-ouest vers l’Île Coulman.

Le temps forcit ; la mer se creuse. Le vent tourne au sud. C’est le fameux RISA, le Ross Ice-Shelf Airstream. Ce flux se forme lorsque les vents catabatiques qui dévalent des Monts Transantarctiques se heurtent à la dérive d’est alimentée par la dépression d’Amundsen. La convergence de masse qui en découle s’évacue vers le nord en formant ce que les météorologues appellent un barrier jet. Ce régime de secteur sud se refroidit au-dessus de la plateforme glaciaire et refroidit la mer. C’est lui aussi le responsable de l’immense polynie qui borde la Barrière de Ross : dès que la mer gèle, la glace est immédiatement repoussée vers le large, ce qui le laisse le champ libre à une véritable usine de banquise.

Force 9. L’ambiance devient de plus en plus polaire. Sur bâbord, nous laissons les grains de neiges qui se déchainent sur la banquise. La poudreuse chassée par le vent bouillonne et tourbillonne. Les vagues se mettent à blanchir, les rafales brossent les crêtes, les embruns caracolent à l’horizontal. La mer court sur la mer. Un iceberg : la Ross éclate contre la glace comme l’Iroise autour d’un phare armoricain. Le sommet fume, soufflé par le RISA.

Coll. ©Nicolas SERVEL

Les portes sifflent ; le navire roule. Il faut abattre. Le commandant donne l’alerte gros temps, le navire passe en lashing* un, et les matelots condamnent les coursives extérieures. Vers dix-huit heures, la gite atteint sept degrés. Les objets glissent sur les comptoirs. La dernière rafale est enregistrée à cinquante-huit nœuds, puis l’anémomètre gèle. Le temps continue de forcir. « On a entre soixante et soixante-dix nœuds » annonce le commandant. Force onze, peut-être jusqu’à douze.

Les flocons s’accumulent sur les coursives. Nous louvoyons pour réduire le roulis. Aymeric, le premier officier, est forcé de prendre la barre en manuel. Vague après vague, concentré à l’extrême, il négocie les coups hachés que nous porte la mer par la poupe. « Le talon d’Achille de tous les brise-glaces » explique le commandant, « c’est la tenue à la mer en vent arrière. »

Vers dix-neuf-heures, nous changeons de cap et pénétrons dans la banquise. Les plaques ondulent ; je savoure l’ironie : cette glace que tant redoutent absorbe la houle et nous offre un abri. Le Commandant Charcot est le pinacle de l’effort que peuvent fournir les hommes pour s’adapter à l’Antarctique. « Ça a marché parce que c’était de la simple banquise annuelle » tempère le commandant. « Avec des blocs pluriannuels ou de la glace de terre, c’eut été inenvisageable. » Quoi qu’il en soit, nous retrouvons un semblant de quiétude. La neige recouvre le navire. Tout est ouaté et blanc.

 

*lashing : niveau de sécurisation des objets dans le navire en fonction de l’angle de gite. Lashing zéro : aucune gite. Lashing trois (maximum) : vingt-degrés de gite.

Nicolas SERVEL

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