Jeune Marine a le plaisir de vous proposer un nouveau volet du « Journal de bord de la première Semi-circumnavigation Côtière de l’Antarctique occidental par le navire d’exploration polaire Le Commandant Charcot. »
Cette formidable aventure vous est narrée par Nicolas SERVEL, Chercheur en biologie marine actuellement embarqué sur le Commandant Charcot, Président de TALARIA-XR et contributeur pour la revue Jeune Marine : que de talents ! Il nous fait l’extrême honneur de suivre le déroulé avec le Commandant Stanislas Devorsine.
30 janvier 2023 : Bay of Whales
- Coordonnées GPS départ : 77°16,7’S / 160°05,3’W
- Coordonnées GPS arrivée : 77°43.6’ S / 177°34,6’W
- Distance parcourue : 312,5 NM
Météo :
(variable)
– vent : force 3, tournant (ouest, nord, sud…)
– météo : B, partiellement nuageux
– mer : 1, vaguelettes
– visibilité : A et D – bonne, mais avec des passages à travers des bancs de brume de blizzard
– glace : 0/10 ; growlers épars
– température : -16°C ressentis
– humidité : 89%
Nous naviguons la matinée durant dans des conditions clémentes à l’exception du froid mordant qui écourte le passage par les coursives extérieures. Vers onze heures, nous nous enfonçons dans la mythique Baie des Baleines, d’où le Norvégien Amundsen partit en 1911 à la conquête du pôle. La baie, ce matin, fait honneur à son nom : autour d’un glaçon surpeuplé de manchots inquiets, une douzaine d’orques de type C, endémiques de la Mer de Ross, rôdent à l’affût du premier qui plongera. Nous nous offrons le luxe d’un moment de contemplation émerveillée devant le zénith de la chaîne alimentaire antarctique.
Nous continuons : la Baie des Baleines est également le terminus méridional de toutes les mers du monde. Impossible de monter* plus au sud. Nous atteignons la latitude soixante-dix-huit degrés sud, quarante-quatre minutes, et vingt-deux secondes. Nous n’irons pas plus loin : nous touchons presque la barrière de Ross !
Nous ne la quitterons plus de la journée. Ce front, irréel de régularité, plonge verticalement de quarante mètres de hauteur dans un marine profond, et court sur plus de huit-cents kilomètres, plus blanc encore que les falaises de craie normandes. Au-delà, c’est la plateforme glaciaire de Ross, aussi grande que l’Espagne et épaisse de deux à six-cents mètres. C’est la plus étendue sur Terre.
Nous la longeons à environ cinq encablures, et remarquons que, lors de son dernier passage l’année dernière, Le Commandant Charcot avait enregistré un contour différent. La barrière a gagné sur la mer. Sur la photographie satellite, nous repérons de larges fissures à une dizaine de milles en retrait des falaises : un gigantesque tabulaire est en train de se former. Un jour plus ou moins proche, tout ce que nous voyons sur des centaines de kilomètres prendra le large et formera un iceberg B-quelque-chose qui partira se disloquer contre quelque haut-fond plus à l’ouest.
L’après-midi, l’équipe sécurité organise une simulation d’abandon du navire en milieu glace. Les naturalistes font partie de l’équipe qui doit sécuriser un site et construire le campement. Bien entendu, nous sommes en mer, ce ne sera donc pas pour cette fois, mais nous nous devons de répéter inlassablement l’exercice pour imprimer les bons réflexes. Une fois le General Crew Drill terminé, je remonte en passerelle. Le temps alterne entre éclaircies et bouchons de brume, entre soleil et blizzard à l’horizontal. Vers vingt-trois-heures, le ciel se dégage tout à fait, et nous traçons notre sillage dans le jour déclinant, cap au 271.
*on descend au sud dans l’hémisphère nord car la latitude baisse en direction de l’équateur (0 degrés). On monte donc vers le sud dans l’hémisphère nord, car la latitude augmente en direction du pôle (90 degrés).
Nicolas SERVEL
