Dans le monde maritime, il y a les navires qui traversent leur existence dans l’indifférence, ceux qui marquent la carrière des marins et enfin ceux qui, comme l’INSULA OYA 2, laisse leur souvenir dans la mémoire collective.
A la fin de l’année 2022, une longue page de l’histoire de la liaison maritime de l’Île d’Yeu va se tourner. En effet, après 40 années de bons et loyaux services, le caboteur mixte INSULA OYA II tirera sa révérence et fera ses adieux à son caillou, ce petit bout de France au milieu de l’Atlantique, et aux Ogiens qu’il aura tant servis. Après lui avoir si longtemps résisté, la modernité avec ses exigences environnementales, sécuritaires et économiques auront finalement eu raison de sa vieille carcasse d’acier devenue obsolète. Un petit nouveau des chantiers Piriou viendra prendre la relève.
Tout au long de cette année 2022, c’est son histoire et celle de quatre décennies de la régie Yeu-Continent que je vais vous raconter, moi qui ai eu la chance de le connaître comme passager d’abord puis chef mécanicien de la compagnie depuis janvier 2021.
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Épisode 3 : 2021-2023 « L’adieu aux Islais »
Au cours des années 2010, le renouvellement de l’Insula Oya 2 commence à germer sérieusement. La loi NOTre ayant fait passer la compétence de la liaison du Département vers la Région, le projet est retardé et ne commence à voir le jour qu’à la fin de la décennie. En 2019-2020, le remplacement du doyen de la flotte est enfin acté par le Conseil régional des Pays-de-Loire, un appel d’offres est lancé. Cette fois la mise hors service de ce navire emblématique de l’Ile d’Yeu semble scellée pour l’été 2022, pour son quarantième anniversaire. Un chapitre de la compagnie Yeu-Continent et de la liaison va s’achever, un nouveau va s’ouvrir.
Le marché est finalement remporté par les Chantiers Piriou de Concarneau. Le projet prévoit un navire aux lignes semblables à son illustre aîné qu’il doit remplacer. Comme un hommage, cette nouvelle unité portera le nom de « Insula Oya III », une certaine continuité dans le changement. Ce nouveau navire plus moderne et de son temps, pourra transporter 390 passagers, 15 véhicules légers, et plus de marchandises. La première tôle est découpée au début de l’été 2021 et le lancement a lieu au printemps 2022.
Annoncé fin août à l’origine, de multiples contretemps vont retarder la livraison et offrir quelques mois de plus à l’Insula Oya II, pour une tournée d’adieu. Celle-ci commence avec une nouvelle saison estivale bien remplie, suivie d’un dernier arrêt technique de trois semaines au chantier de Keroman de Lorient.
L’arrivée de son successeur est encore retardée, ce qui permet de prolonger le plaisir jusqu’à début 2023 avec les dernières tempêtes hivernales à affronter et le rôle de traineau flottant du Père Noël à tenir une dernière fois. Les passagers se font de plus en plus rares en raison de la limitation à 20% de la capacité le temps des travaux de transformation des passerelles d’accès des gares maritimes. Malgré ses quarante années, sa vieille carcasse assure toujours le service bien que l’usure du temps se fasse de plus en plus sentir à mesure que la fin s’annonce.
La fin approche, l’Insula Oya III étant en vue des passes de Port-Joinville. Son dernier voyage sera sûrement le plus court, de son cher quai de la gare maritime au quai du Canada en face, en attente, prêt à reprendre du service en cas de besoin pendant le rodage du petit nouveau. De ce quai toute l’île et les Islais, de toujours ou de passage, viendront lui rendre un dernier hommage. Un dernier tour de son « caillou » lui sera offert avant son départ lors d’une cérémonie d’adieu durant la fête de la mer. L’Insula Oya II donnera alors son dernier coup de corne de brume, après une carrière de 41 ans entre Port-Joinville et Fromentine, la plus longue d’un navire dans l’histoire de la compagnie.
Alors laissons les mots de la fin à l’Insula Oya II pour conclure cette belle et longue histoire :
« Voilà, c’est fini. Le temps de la retraite est enfin venu pour moi. Quarante-et-une années de service qui s’achèvent à l’aube d’un nouveau printemps. Il est temps pour moi de laisser la place à plus jeune que moi, plus moderne aussi même si j’ai su traverser le temps et les époques avec ma technologie des années 1980, sans faillir à ma tâche malgré incendie et échouement.
Pendant quatre décennies, j’ai été le cordon ombilical de l’Ile d’Yeu avec le continent. J’ai transporté des centaines de milliers de tonnes de marchandises et des milliers de véhicules. Sans moi, les étals des commerçants et les rayons des supermarchés auraient été bien vides, les produits de la criée n’auraient pas été bien loin. J’ai participé au boom touristique de l’île en déversant des flots d’estivants chaque été, dont on pensera ce qu’on voudra.
Depuis 1982, des passagers qui ont voyagé avec moi, je peux les compter en plusieurs centaines de milliers : des visiteurs d’un jour aux Islais de toujours, des ouvriers venant travailler sur l’île aux sportifs le week-end. Certains se souviendront de moi, notamment les plus anciens qui ont connu mes salons et mon célèbre bar, même si désormais ils m’ont délaissé pour ces NGV si rapides et confortables. Pour les plus jeunes, je ne suis que le vieil Insula faisant partie du décor de Port-Joinville de l’autre côté des quais d’où ils aperçoivent ma silhouette assis à la terrasse d’un des nombreux bars.
Mais ceux pour qui j’ai une pensée particulière, ce sont les marins, qui ont pris soin de moi pendant toutes ces années. J’en ai vu passé des centaines qui m’appellent parfois familièrement « le vapeur » bien que j’aie toujours eu une motorisation Diesel ou « le vieux ». Je suis pour eux comme une 2e maison de l’autre côté de la mer, le long du quai de Fromentine, le temps d’une bordée de 6-7 jours une dizaine de semaines par an. Au fond, ils auront tous une petite pensée émue pour moi à mon désarmement, comme pour un vieux camarade qui s’en va.
Justement mon dernier commandant s’apprête à prendre ma barre une dernière fois pour laisser la place à quai à mon successeur. Un dernier voyage à travers le port pour un amarrage temporaire le long d’un quai dont j’espère qu’il ne sera pas celui de l’oubli. Je me souviens encore de ma première arrivée à Port-Joinville en avril 1982 sous le commandement de Marc Ricolleau comme si c’était hier, que le temps passe vite ! Me voilà devenu le plus vieux navire de Port-Joinville. Mon vœu le plus cher serait de finir mes jours ici, comme musée flottant ou épave au large, peu m’importe, même si au fond je sais que c’est impossible. Mais pourquoi m’arracher de mon caillou quand on est devenu un fragment de celui-ci ? Alors à tous qui m’avez tant aimé, je vous dis simplement « Adieu, bon vent et bonne mer ».»
Benoît TRICHEREAU
FIN
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