CroisièreJeune Marine N°270

Des croisières pour quel modèle de société ?

La croisière, et particulièrement la croisière dite « de masse », qui mobilise les nouveaux géants de la mer, est un sujet qui ne laisse personne indifférent : il y a ceux qui sont sentimentalement attachés à cette douce image du farniente, et ceux qui contestent intuitivement cette activité comme contraire à la morale climatique. Les uns seront fascinés par la technologie et les équipements de ces nouveaux palais flottants ; d’autres détesteront ces immeubles dressés sur les flots, symboles d’un consumérisme marin.

Les Assises de l’économie de la mer 2023 (28 et 29 novembre) prévoient un débat animé sur le thème de l’acceptabilité environnementale de la croisière. Jeune Marine propose à ses lecteurs d’anticiper en leur fournissant dans le dossier « croisière » quelques pistes de réflexion. Est-il possible d’appréhender avec lucidité et objectivité le statut sociétal et environnemental de la croisière sans tomber dans des idées préconçues et des clichés simplistes ?
Avant de se congratuler sur les rendements énergétiques des paquebots modernes ou de contester leur dépense énergétique en elle-même, il faut commencer par poser les fondations du débat : quelle est la place de la croisière dans nos sociétés ? Quel rôle joue-t-elle, voire même, quelle est son utilité dans notre monde moderne ? Un esprit cartésien serait tenté de répondre du tac au tac : nous pouvons vivre sans ; sa valeur ajoutée est donc nulle. Est-ce si simple ?

Bien sûr, nous pourrions aisément nous en passer, mais il y a quantité de choses qui nous entourent et dont nous pourrions, dans l’absolu, nous passer, depuis les téléviseurs jusqu’aux tondeuses à gazon, mais qui sont entrées dans nos habitudes de vie sans que la question de leur utilité, ou de leur caractère indispensable, se pose dans l’absolu. Quand elle se pose, pour l’automobile ou l’avion par exemple, la réponse est biaisée car ces deux modes de transport dont on vante l’aspect utilitaire, sont en grande majorité utilisés pour nos loisirs. Loisirs : le mot est jeté. Face aux défis du changement climatique, à quels loisirs peut-on encore s’adonner sans craindre le jugement des prochaines générations ? Réponse : bien peu, à part la culture de son potager et la marche à pied, à condition que cette dernière ne soit pas soutenue au fil de la course par un internet glouton.

Que ce constat nous consterne ou nous ravisse, il faut admettre que nous vivons à l’ère des loisirs et que ceux-ci sont considérés comme un droit, comme une compensation au labeur, comme un plaisir attendu. Nous pouvons critiquer le symbole consumériste que représente la croisière, mais il faut alors aller au bout de notre raisonnement et associer à cette critique, comme le fait une minorité d’idéalistes en quête de cohérence, les autres loisirs dont l’empreinte environnementale est moins ostensible mais toute aussi importante, en commençant par ceux qui se pratiquent sur un canapé en streaming.

Il y a deux modèles de sociétés : les sociétés libérales et les sociétés sous contrainte. Les premières sont régies par la loi de l’offre et de la demande : à partir du moment où des clients sont demandeurs, une offre se construit, offre dont l’existence peut aussi susciter la demande. Dans l’autre modèle, la société peut être sous contrainte politique et règlementaire (le pouvoir en place décide d’interdire ou de durcir l’accès à un loisir), sous contrainte financière (les citoyens n’ont pas les moyens d’accéder à un produit dont le coût peut aussi être renchéri par les taxes issues des règlements), et désormais sous contrainte morale (la société véhicule un discours culpabilisant).

Nous vivons dans des pays plutôt libéraux : le choix du loisir reste libre dans la mesure où il est proposé et accessible, mais ce libéralisme se teinte de contraintes. Les états instaurent des règlements pour limiter les pollutions de toutes sortes et assurer la sécurité du trafic. Même si la croisière de masse s’efforce, par son effet volume, d’abaisser la contrainte financière, c’est-à-dire le seuil de richesse à partir duquel ce loisir peut être acquis, une grande partie de la population mondiale n’y aura jamais accès, sauf sous forme de rêve, comme bien d’autres loisirs. Enfin, la contrainte morale tente de créer chez le consommateur une prise de conscience environnementale, laquelle doit se refléter dans la qualité de l’offre, mettant le système sous pression pour en réduire l’empreinte environnementale.

La boucle est bouclée : à partir du moment où la société rend la croisière accessible mais la met légitimement sous contraintes, celle-ci se doit de trouver les meilleures solutions pour réduire tant que faire se peut son impact. Accepter ou refuser ce mode de loisir demeure un choix personnel, esthétique ou éthique, ou simplement dicté par le goût et une envie irrationnelle.

Comment juger de l’impact d’une semaine de croisière en Méditerranée, en le comparant à l’impact d’un voyage automobile, d’un séjour en hôtel, d’un trekking au bout du monde (dont l’acheminement fut aérien) … ou à une tente canadienne plantée dans le bocage normand, loisir peu tentateur pour nos seniors perclus d’arthrite ? 

Estimer cet impact, le comparer, découvrir tous les efforts déployés pour le réduire, comprendre les effets d’échelle, et discuter des recours à la technologie : c’est l’objet du dossier initié par Jeune Marine !       

 

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