La croisière est aujourd’hui pointée de tous bords, par des personnalités politiques, par des lanceurs d’alertes, par des mouvements écologistes, comparant l’impact des croisières à la pollution de millions de voitures, pire que ce modèle serait responsable de milliers de morts de maladies respiratoires en encore même du réchauffement climatique. Mais au fait, quelqu’un a-t-il vérifié la véracité de ces propos ? Le modèle est-il vraiment responsable de tous les maux ? N’y a-t-il pas des aspects très positifs, voir écologiques ? Jeune Marine s’est posée la question et est allée à la rencontre de Jean-François SUHAS, Pilote Maritime & Président du Marseille Provence Cruise Club, afin de faire le tour du sujet mais surtout de regarder ce modèle droit dans les yeux et en extraire une image plus réaliste qu’opportuniste. Ce « On se dit tout ! » ouvre un nouveau volet de notre dossier spécial sur « Les ports : leurs activités et services », car oui, ce sujet est pris en main et géré par des marins et des amis de la mer via les clubs croisières et notamment le très dynamique Marseille Provence Cruise Club.
Aymeric AVISSE : Bonjour Jean-François, merci beaucoup de nous accorder cette interview. Nous sommes ici aujourd’hui pour parler marine marchande, plus précisément de la croisière et un peu de toi. Tu es donc un ancien élève de l’ENMM de Marseille, promotion 1985, actuellement pilote en activité sur le port de Marseille et Président du Club croisière de Marseille : peux-tu nous expliquer un plus en détail tes fonctions, ton parcours, et comment est né ton amour pour la croisière ?
Jean-François SUHAS : Effectivement, je suis un petit garçon qui est né au Pays basque, près de la mer, qui adore le surf d’ailleurs, qui continue à surfer et avec une vocation maritime. Très tôt, dès la 3ème/ 4ème, je savais ce que je voulais faire et en fait je voulais être commandant du France, tu vois déjà que c’était un beau projet mais assez rapidement je me suis rendu compte qu’il n’était plus là… mais il existait encore des bateaux de croisière dans le temps qui s’appelait le Mermoz j’ai eu la chance de pouvoir naviguer comme élève d’y rester ensuite sur le Club Med, donc j’ai quand même ma carrière d’officier avant d’être pilote, qui s’est passée dans le monde de la croisière, donc je sentais évidemment l’engouement et le potentiel qui était très fort puisque c’était le début des premiers grands bateaux construits à Saint-Nazaire comme le Sovereign of the Seas, ce type de navires qui emportaient déjà 2000 passagers ; le France existait, j’ai eu la chance de le piloter au départ, comme pilote, et donc voilà ce n’est vraiment le hasard. Après j’ai quitté le Club Med donc je vivais à Tahiti pour des questions familiales, je souhaitais fonder une famille et j’ai eu trois enfants donc je trouvais plus important d’être pilote mais c’était aussi assez tôt puisque cette vocation aussi je l’ai eue à Bayonne : en fait, je suis allé voir très tôt les pilotes j’ai fait des tours avec eux et je sentais bien quand même que le moment où on enlevait le bateau du quai, même si je n’étais pas capitaine, j’étais second à l’époque, tu vois de pouvoir enlever le bateau du quai ou l’y remettre c’était un moment un peu exaltant, avec de l’adrénaline par rapport au reste on va dire de la conduite au large. Et donc j’ai assez tôt, vers 27/28 ans, décidé de m’engager sur le pilotage à Marseille puisque finalement à Bayonne il n’y avait pas de place : il n’y avait que trois pilotes à l’époque, Marseille en comptait 50, donc j’avais plus de chance dans une période de fort recrutement. Voilà donc mon parcours on va dire marine marchande pur, avant d’être pilote puisque aujourd’hui j’ai 57 ans évidemment j’ai plus de temps de pilote que d’officier malheureusement, mais je n’oublie jamais ce que j’ai été. Justement, je suis ravi de voir que Jeune Marine existe toujours, avec ce mot « jeune », même si toi et moi nous ne le sommes plus vraiment. Mais il reste toujours des jeunes élèves et une école qui fonctionne bien, avec autant d’élèves, puis qu’il y en a bien plus que quand j’y étais en 85. A partir du moment où j’ai été pilote, je me suis engagé dans la vie syndicale [les stations de pilotage sont gérées par un Syndicat des pilotes, NDLR), en tant que Secrétaire du syndicat puis toutes sortes d’autres fonctions. J’ai été élu à la Chambre de Commerce donc j’avais envie à un moment de m’y investir, attristé par diverses grèves dans le port, par l’état de la ville de Marseille qui avait perdu la coupe America dans laquelle je m’étais un peu investi en tant que pilote, pour essayer de l’obtenir avec des pilotes anciens qui avaient beaucoup bossé sur le dossier, puisqu’on a quand même eu un avant-goût avec les qualifications. Bon, après Valence l’a emporté, c’est un autre sujet, mais c’étaient finalement les premiers pas de Marseille dans un renouveau, puisqu’aujourd’hui Marseille n’a pas grand chose à voir avec ce que j’ai connu en 85, voire même en 2000 quand j’y suis revenu. Et donc de la Chambre de Commerce, pour moi ça a été assez facile après de rentrer dans la vie économique à travers le MEDEF, l’Union patronale et donc je suis devenu Président du club de croisière et aujourd’hui je préside aussi le Conseil de Développement du port qui évidemment est plus vaste, s’occupe de tous les sujets, et voilà donc une dizaine d’années de vie sociale assez intense. D’ailleurs je suis plutôt à la fin non pas de ma carrière de pilote parce que c’est quand même l’essentiel de mon temps et de mes envies, de mes passions, mais de ce côté-là ça fait 10 ans que je préside le Club Croisière, 5 ans bientôt mon premier mandat au Conseil de Développement et je ne renouvellerai pas ces mandats lorsqu’ils arriveront à leur terme.
Aymeric AVISSE : Donc une forte emprise locale avec un amour de la mer et une appétence pour la croisière !
Jean-François SUHAS : Un fil conducteur qui est la mer et les loisirs, parce que la croisière c’est un peu ce que j’aime de la vie, c’est les bulles du champagne, la croisière ce sont des beaux moments je pense, et pour moi ça l’a été.
Aymeric AVISSE : Alors tu parles de bulles de champagne, justement Marseille a toujours été un peu le port de départ des navires à passagers en général, que ce soit des transbordeurs comme des navires de croisière. Aujourd’hui dans le port de Marseille il semble que justement la présence de tous ces navires dans les bassins Est soit un peu le cœur de tous les maux. Peux-tu nous préciser un peu quelles évolutions tu as pu constater au cours de ces deux dernières décennies et quelle est la situation de la fréquentation actuellement à Marseille ?
Jean-François SUHAS : On va aller un peu plus loin que deux décennies. Effectivement, Marseille a une histoire : on peut considérer que Marseille a été peut-être le premier port au monde en Occident au moins puisqu’ il y avait l’Égypte, il y avait la Grèce et cætera, mais c’est la plus vieille ville d’Europe avec un port, donc depuis 2600 ans qu’elle n’est née, elle n’a vécu que de son histoire maritime. Quand on regarde bien la façade maritime française, il y a une trentaine de ports et chaque fois les grandes villes, y compris Paris, sont connectées et je donne toujours ce chiffre quand je commence une conférence c’est que, parmi les 50 premières grandes villes mondiales il y en a 42/43 qui sont des ports et celles qui ne le sont pas, que ce soit Londres ou Paris, elles ont un port, souvent évidemment fluvial, mais un port maritime à côté. On me répondra que Sao Paulo et quelques grandes villes chinoises ne sont pas des ports, mais ce sont des villes administratives comme Washington ; mais pour le reste, c’est vérifié parce que la logistique c’est la vie, le mouvement, c’est la vie dans notre corps, qu’ il s’agisse de finances et qu’il s’agisse aussi des marchandises ou des hommes ! Donc sur les hommes, et les femmes évidemment, les êtres humains, Marseille a vraiment été un des premiers ports vraiment avec des échanges très tôt et qui après se sont intensifiés avec l’industrialisation. A partir du 18e, 19e siècle, quand le port de Marseille s’est beaucoup développé, il s’est développé par ses connexions avec ce qu’on appelait les colonies, qu’il s’agisse de l’Afrique comme de l’Asie du Sud-est, du Pacifique avec la Calédonie, Tahiti et cetera. Pour nous c’était plutôt vers l’est, Le Havre c’était plutôt vers l’ouest. Mais on peut dire que tous ces grands ports, dès le 15e/16e siècle, ont commercé évidemment avec ce qu’on n’appelait pas encore des croisières mais des paquebots, d’abord à voile, ensuite mixtes, surtout à vapeur. C’est vraiment là le développement en masse : il existe à partir la mécanisation quand les bateaux ont commencé vraiment à avoir des horaires qui se tenaient. On va dire que c’est plutôt à la fin du 19e siècle et donc Marseille a connu à ce moment-là un grand développement du transport à passagers, avec déjà des centaines de milliers de passagers qui passaient d’abord par la Joliette et après plutôt au nord. Mais ça c’est vraiment avec tout le 20e siècle qui est celui des passagers mais qui a un arrêt brutal qui est celui de la fin des liners qu’on connaît dans les années 60, que ce soit au Havre, Nantes, Marseille ou ailleurs. Tout cela remplacé finalement par l’avion mais aussi par des bateaux de croisière, le France étant évidemment assez emblématique d’un bateau qui est d’abord un liner et qui devient un paquebot ; il faut savoir, souvent je le raconte, et c’est un petit clin d’œil de l’histoire, parce que aujourd’hui il y a un paquebot qui s’appelle Renaissance, qui est un paquebot français qui se partage entre Marseille et Le Havre ; le premier paquebot conçu sur plan s’appelait Renaissance, imaginé par la compagnie Paquet puisque déjà avec leurs cargos ils transportaient des gens que pour leur plaisir et non pas pour des raisons professionnelles. Il y avait aussi des voyages professionnels majoritairement, avec malheureusement beaucoup de gens migrant de l’Europe vers les États-Unis, que ce soit les Italiens, les Irlandais, les Français ou autres. Par contre il y a eu dès le début du 20ème siècle, en Méditerranée en particulier, grâce à un climat favorable, des bateaux, des petits bateaux qui transportaient à la fois des gens qui avaient besoin de se déplacer pour leurs affaires ou de manière on va dire professionnelle, mais aussi des gens qui faisaient des voyages dans toute la Méditerranée pour leurs loisirs.
Aymeric AVISSE : Donc effectivement on a eu une évolution, les gens qui avaient besoin de se faire transporter ont plutôt migré vers l’avion, toutes ces lignes au long cours de passagers ont disparu au profit du loisir et, ces dernières années, on a quand même vu arriver et surtout construit en France des navires qui ont énormément augmenté leur capacité. Alors certains le voient d’un très mauvais œil, d’autres y voient l’avenir. Quelle est, selon toi, la vision réaliste que l’on peut retenir de ce modèle qui a émergé ?
Jean-François SUHAS : Je suis sûr que tu connais la réponse, la mienne au moins… Evidemment que c’est aujourd’hui ce que je dis souvent, parce qu’on voit que cette année 2023 va battre tous les records pour les croisières. Pourquoi ? Parce qu’ils ont le produit qui, en termes de rapport qualité-prix, vraiment ce qui est offert et le prix qui est demandé il n’y a pas la même chose ailleurs, surtout avec le déplacement en plus. Alors on aime se déplacer ou pas mais je dis quand vous visitez, par exemple, la croisière qui touche Marseille, ce qu’on appelle la croisière de Méditerranée occidentale, qui fait Espagne, Italie, France avec évidemment des villes à l’attractivité vraiment mondiale, que ce soit Barcelone, Rome, Marseille et cetera et vous allez le faire quel que soit le produit : de Ponant à Silver et la croisière de luxe, ce qu’on appelle la croisière Premium, ou la croisière dite de masse, avec de plus en plus de monde à bord et des prix un peu moins élevés ou beaucoup moins élevés, le prix qui vous sera demandé sera avec une offre qui est quand même assez dingue, ce qui fait un succès aujourd’hui qui est quand même quasiment trigénérationnel : vous trouvez aujourd’hui à bord toutes les familles mais sur trois générations, les grands-parents, les parents, les enfants. Ce qui fait le succès de la croisière d’aujourd’hui, c’est vraiment son internationalisation c’est-à-dire que pour remplir un bateau à 5000 passagers, vous ne le remplissez pas qu’avec des Français, des Espagnols ou des Italiens ; il n’y a plus un seul bateau de ces tailles-là qui soit uniquement sur une nationalité, à part les Allemands quand même avec Aida ou les Américains avec Carnival. Mais on va dire que, d’une manière générale, en Europe pour ce qui nous concerne, nos marchés, on internationalise sur ces capacités-là, ça c’est un premier point ! Deuxième point, on a une offre qu’il s’agisse de l’entertainment, c’est-à-dire tout ce qui est offert comme spectacles à bord, la gastronomie, le voyage, l’hôtellerie, que vous ne trouvez pas chez les autres tour opérateurs. Alors évidemment tout le monde ne fera pas des croisières, mais ça reste un marché tout petit avec une très forte croissance, je donne souvent ce chiffre : il y a en gros 33 millions, 34 peut-être cette année, de passagers croisière ; il y a un milliard et demi de gens qui font un voyage de type T.O, de type croisière avec quelqu’un qui prend en charge ce voyage, donc on est dans une niche mais une niche qui restera toujours à mon sens un parcours initiatique : c’est celui de la mer, de la découverte parce que je n’ai jamais croisé quelqu’un qui m’ait dit « la mer ne m’intéresse pas ». Après, évidemment, il y a des gens qui en ont fait leur métier, comme toi et moi ; il y a des gens qui préfèreront un petit voilier, d’autres voyager avec Ponant ou Costa, ce sera selon les moyens, les envies, mais ça existera ! Enfin, c’est intrinsèque à la nature humaine, je pense, cette notion de voyage, de découverte, de beauté, parce que finalement, un coucher de soleil ou un lever en arrivant par la mer à Rome, enfin Civitavecchia, ou à Marseille ou à Barcelone, ou ailleurs, c’est toujours un spectacle dingue, quand on ne connaît pas, pour des gens qui, le soir, sont sur des ponts. En Méditerranée, ils sont plutôt là en mai ou en juin, mais également au cœur de l’hiver, ce qui est assez dingue, car finalement ces produits-là même l’hiver fonctionnent, parce que ce sont des gros bateaux dans lesquels vous avez une vie intérieure, je parle du bateau pas de celle des passagers, suffisamment intéressante pour aussi fonctionner sans tous les envoyer on va dire suivre les 25 ou 30 degrés qui sont agréables le reste de l’année.
Aymeric AVISSE : C’est cela, parce qu’en fait il y a eu plusieurs étapes : effectivement ceux qui ne voulaient plus voyager en bateau ont pris l’avion, c’est devenu de la croisière comme on pourrait la connaître et aujourd’hui elle s’est même diversifiée avec un peu deux choses : le trajet, qui est quand même très culturel, notamment en Méditerranée, mais aujourd’hui le bateau reste aussi également la destination. Restons un petit peu factuel : ce gigantisme a réussi à mutualiser aussi beaucoup de moyens, on a une gestion alimentaire qui est impressionnante, on a du slow steaming, donc les navires en fait sont sous-motorisés par rapport à leur taille, ils ne consomment pas énormément, ils ne vont pas très vite pour certains. Les nouveaux qui ont été construits aux Chantiers de l’Atlantique sont sur des carburants plus vertueux, avec du GNL, peut-être même des options supplémentaires ensuite. Certains croisiéristes comparent même l’impact par passager à une semaine en mobil home, alors peut-on vraiment tirer à vue sur ce modèle ou n’y a-t-il pas des leçons à en tirer ?
Jean-François SUHAS : Alors à ta question il y a beaucoup d’éléments à donner et on a du temps, ça tombe bien ! Première réponse, par exemple, aujourd’hui à Marseille nous avons des polémiques violentes sur Airbnb ; alors je sais que tu es du Havre, elles viendront peut-être un jour aussi ; il est certain qu’aujourd’hui il y a des milliers, c’est 12 ou 14 000 appartements par exemple qui étaient dans le marché locatif classique qui passent en location saisonnière. Donc vous enlevez à des Marseillais l’opportunité de louer et évidemment, avec l’explosion des prix qui va avec, puisqu’on sort complètement du rationnel ; la croisière par exemple va vous amener des milliers de gens qui ne prendront pas 1 m2 de ce foncier-là, c’est un premier point. C’est que je crois beaucoup au tourisme diversifié, donc quand on a la chance d’avoir un port, c’est ce que j’explique souvent, il est quand même assez compliqué de mordre les passagers qui vont pouvoir débarquer des bateaux de croisière ou des ferries. C’est une dimension quand on a cette opportunité-là finalement quand on regarde hormis quelques politiques opportunistes qui cherchent le symbole, on a des mouvements raisonnés de gens qui disent « voilà on va travailler, on connecte et cetera » mais on n’a pas ce rejet que nous on a eu à Marseille qui d’ailleurs s’est beaucoup calmé par rapport finalement entre ce qui était raconté et la réalité ; il y avait une telle outrance, un tel gap…
Aymeric AVISSE : Il y a beaucoup de navires équipés de scrubbers, on a également le branchement à quai qui arrive, le GNL…
Jean-François SUHAS : Absolument, nous on a 25 % de nos passagers qui arrivent sur des navires utilisant le GNL, donc on ne parle plus de santé, on parle encore évidemment de carbone mais on ne parle plus de santé ! Pour revenir à ce point de friction, aujourd’hui évidemment que sur un bateau on consomme. J’ai lu quelque chose d’intéressant, je vais vous le donner parce que je pense que l’on s’adresse quand même beaucoup à un jeune public chez nous. On n’est pas qu’avec des professionnels. Il y a donc un scientifique de Bordeaux l’autre jour, un consultant, un ingénieur qui dit « on décrit toujours les grandes porte-conteneurs avec leurs 24 000 boîtes » et il ajoute « vous savez ce que c’est 24 000 boîtes ? On les tracte entre l’Asie, la Chine et l’Europe avec 70 MW ». Tu sais ce que c’est des mégawatts et bien ce Monsieur Jancovicci dit par exemple qu’ il a pris un système avec, pour donner beaucoup d’équivalents, avec des esclaves, enfin des humains, assez rigolo, en disant tant de personnes tirent une charrue et ça fait tant de watts, de kilowatts et il fait des comparaisons avec des Twingo, il dit « vous voyez, une Twingo en gros c’est 50 kW, donc », je te passe les calculs, « ça fait 1400 Twingo qui vont tirer ces 20 000 ou 24 000 boîtes ». Par contre si on mettait des camions à la place, il donne cette analogie pour que les gens comprennent mieux, il dit « vous voyez, un camion c’est 500 kg pour certains, on est presque à 0,7/0,8 MW, donc on est plutôt à 100 000 ou 120 000 camions puisqu’on va multiplier ce chiffre des Twingo, on va on va arriver pour les 20 000 boîtes à 20 000 camions pour les tirer, et ils sont cinq ou six fois plus puissants qu’évidemment la Twingo. Donc vous allez avoir 100 000 camions ou 120 000.
A quai le paquebot le plus gros, il est entre 5 et 10 MW : donc ça ne fait pas beaucoup de Twingo, ça en fait quelques centaines, que j’ai toujours dit, 150 ou 200. Donc quand 6000 ou 7000 passagers arrivent, c’est l’équivalent d’une centaine ou de 150 Twingo et voilà ! Et si par contre on avait ces 7000 passagers qui arrivaient avec leur voitures, ce qui est le cas tous les
jours à Marseille, puisqu’une grande partie du tourisme à Marseille est domestique : on a des milliers de voitures ! Nous, finalement, le bateau à quai ça reste quelques Twingo, c’est ça la réalité et en plus il se trouve que cette réalité va encore changer, puisqu’en 2025 ou 2026, ces bateaux on va les connecter à 90 %, c’est la loi européenne ! D’ailleurs c’est une réglementation qui l’impose pour 2030, mais nous on va l’anticiper. Pourquoi ? Parce qu’à
Marseille, on a commencé tout cela en 2017, on a les premiers ferries qui ont été connectés ; on a aujourd’hui tous les ferries de la Corse qui sont connectables, mais ils ne sont pas tous aujourd’hui équipés, mais c’est en cours et ça progresse ! On a ce qu’on appelle les ferries du Maghreb, là aussi un gros effort a été fait mais à terre, donc il faut aussi qu’il soit fait sur les bateaux pour qu’ils soient connectables. Et on a enfin la réparation navale et surtout les paquebots qui viendront dans les trois ou quatre prochaines années. Tout ça pour dire qu’effectivement loin de moi ou loin de qui que ce soit dans le monde maritime de contester qu’il n’existe pas de pollution, la pollution est réelle, il faut juste lui donner sa valeur scientifique ; c’est ce que nous faisons actuellement avec le Grand Port, nous avons lancé une grande étude avec le Pôle Mer qui donnera exactement et qui donne déjà, puisqu’on a commencé à la diffuser au Conseil de Surveillance et au Conseil de Développement les quantités de soufre, de particules de NOx et cetera, et de CO2 émis par tous les types de navires dans les deux bassins est et ouest. Parce que je crois à une seule chose sur ces sujets-là, c’est à la science, c’est-à-dire à la vérité, et absolument pas à quelques politiciens qui éructent dans des vidéos pour dire qu’ils suffoquent ou qu’ils meurent sous les fumées des bateaux à Marseille ! Parce que si vraiment on devait tous mourir sous les fumées des bateaux à Marseille, Jean-François Suhas, qui est depuis 40 ans à peu près sous les fumées, qu’il s’agisse des navires sur lesquels il naviguait ou quand il pilote physiquement à 20 m des cheminées – et tu en sais quelque chose sur un remorqueur – tous ces gens-là, ce million et demi de marins, il y a longtemps qu’il aurait disparu et pareil dans les villes portuaires ! Donc il faut raison garder et travailler sereinement avec les collectivités, avec tous les acteurs du monde économique et politique pour trouver cette voie. Evidemment la ligne de crête n’est pas simple, parce que ce sont des investissements de dizaines de milliards d’euros : quand on parle d’électrification des quais en Europe, on parle de centaines de milliards d’euros, on ne parle pas de quelques milliards ! A Marseille aujourd’hui le programme d’électrification est à 155 millions d’euros exactement, une première tranche de 70 qui est déjà quasiment réalisée et on bascule sur une deuxième pour avoir 90 % de nos bateaux qui seront connectés à l’orée de 2030.
Aymeric AVISSE : Donc vraiment un effort logistique et d’infrastructures qui est très important sur le port de Marseille.
Jean-François SUHAS : Absolument, et qui est accompagné en particulier par la Région sud, par le Département, la Métropole aussi à un degré moindre, et par l’État et l’Europe. Enfin c’est vraiment et même la Mairie de Marseille donc aujourd’hui, avec diverses conditions, que les paquebots par exemple n’en fassent pas partie. Alors ils ont un raisonnement qui pourrait tenir la route s’ils connaissaient le dossier, ils disent « mais nous on ne va pas payer pour des gens qui ont les moyens de le faire » ; ce qu’ils oublient, c’est que les opérateurs de croisière payent déjà depuis 2020 une taxe pour permettre cet investissement, donc ils en payent déjà une grande partie et ils payeront comme tout le monde le service lorsqu’ils se connecteront, mais je pense que dans le monde politique ce qu’on ignore c’est comment fonctionne une entreprise ; le Grand Port maritime est une entreprise comme les autres, même si elle a des capitaux publics, c’est une entreprise de droit privé, ça s’appelle un EPIC et donc, à partir du moment où il investit, il faut qu’il trouve de l’argent. Alors il se trouve que la loi lui autorise d’obtenir des subventions des collectivités sur un certain montant, mais pour le reste donc, il investit et il fait payer à ses clients le service qu’il leur fournit comme n’importe quelle entreprise.
Aymeric AVISSE : Alors tu nous parlais de CFC et on là on vient de traiter un petit peu le gigantisme, le gigantisme c’est plus le domaine étranger, notamment avec les Italiens MSC et Costa, mais dans le port de Marseille il n’y a pas que ça : on trouve CFC, on peut trouver aussi Ponant, il y a d’autres acteurs et les Français sont plus tournés vers les navires à taille humaine, voire des navires très pointus dans la technologie pour optimiser les émissions de CO2. On a aussi Latitude Blanche qui lui plutôt recycle, qui prend un vieux bateau pour éviter d’en construire un. Ces navires neufs sont généralement très technologiques et vertueux en propulsion hybride et vélique et/ou vélique : est-ce que c’est l’avenir de la croisière ? Est-ce que ce modèle est plus vertueux ?
Jean-François SUHAS : Alors c’est vrai qu’aujourd’hui on voit foisonner ces grands groupes hôteliers, par exemple on voit Accor avec son projet, on voit évidemment de nombreux acteurs qui vont s’attaquer à MSC, Costa, Carnival, Aïda ou je ne sais qui, sur des marchés où ces derniers sont très présents et où les bateaux coûtent quand même ! Le droit d’entrée c’est1 milliard d’euros ! C’est quand même compliqué car le marché français est en partie absorbé par les compagnies italiennes MSC et Costa. MSC fait construire ses bateaux à Saint-Nazaire, et Costa ou MSC d’ailleurs les font aussi réparer à Marseille, à Brest ou ailleurs. Donc il y a vraiment aujourd’hui deux types de marché et on voit dans les commandes le développement très important de la croisière de niche, l’expédition pour Ponant, Exploris aussi. Alors nous, on est très fiers à Marseille, moi en particulier, d’avoir cet écosystème de Latitude Blanche, justement avec un bateau à 12 passagers, d’avoir Ponant avec ses 13 paquebots et ce 14ème bateau emblématique qui existera bientôt en zéro émission, puisque de toute façon leur objectif c’est de ne le signer, de ne le sortir que lorsqu’ils auront la garantie d’avoir un bateau qui est en autonomie de CO2 sur plus d’un mois, garantir donc du zéro émission sur plusieurs croisières ! On a cet écosystème à Marseille qui effectivement est plutôt tourné vers une croisière qui reste quand même très élitiste. J’ai navigué sur le Club Med 2 ou sur les croisières Paquet, donc c’est ce monde que j’ai aimé : je viens de passer deux demi-journées sur le Ponant (voilier), c’est une merveille absolue, mais il n’y a que 30 passagers à bord. Enfin, il y a le marché français, c’est donc beaucoup de monde et effectivement notre fierté c’est que les grands projets de décarbonation aujourd’hui sont à l’échelle des petits navire, on le voit bien ça a été assez facile de faire les vélos c’est un peu plus compliqué de faire les voitures, et on voit bien que sur les camions, les bus on a beaucoup de mal ! Les bateaux, c’est un peu pareil, on va s’attaquer aux petits bateaux, on le voit avec Le Commandant Charcot, c’est un petit bateau hybride avec des batteries. On voit des ferries avec beaucoup de projets : aujourd’hui les batteries tiennent bien la corde quand même, il ne faut pas les enterrer trop tôt par rapport à tout ce qui est piles à combustible, hydrogène. Evidemment, une grande partie de l’avenir pour ces bateaux-là c’est quand même les carburants alternatifs, puisque sur ces petits bateaux la consommation par passager est relativement élevée mais la consommation totale est très faible. Donc trouver des nouveaux carburants, qu’on connaît bien aujourd’hui, qui sont identifiés mais qui ne sont pas encore fabriqués, pas à l’échelle des besoins du transport maritime. Ce qui est certain c’est que ces projets correspondent aussi à la France, c’est un pays particulier ! On est bien d’accord sur les goûts touristiques, entre autres, et il y a un public pour ces petits navires. On va parler du Renaissance, c’est un petit navire avec quand même 900 passagers, mais il est vrai que c’est le vraiment modèle des croisières Paquet où on était 4 ou 500 passagers avec évidemment une ambiance plutôt familiale, fraternelle, où tout le monde se croise ; parce que, quand vous êtes 200 sur un bateau ou 300 sur une semaine, il y a bien un moment où vous allez rencontrer à peu près tous les passagers ! Les coursives sont étroites, ce sont des petits bateaux, les restaurants ne sont pas immenses, donc voilà, c’est cette proximité je crois aussi qu’aiment les Français, on le voit dans leur attitude globale, donc c’est là un marché très prometteur et alors ce qui est bien, c’est que, petit ou grand bateau le nombre d’officiers français à peu près le même. Chez Costa ou chez MSC par contre, quand ils sont 2400 à l’équipage, il faut les trouver !
Aymeric AVISSE : On a donc fait un petit tour des bateaux, parlé du gigantisme, des navires à taille humaine, du modèle français, mais alors, avec notre bagage maritime, on parle beaucoup bateau mais l’impact écologique des croisières ce n’est pas que le bateau, parce que ce sont des retombées économiques locales, des retombées écologiques aussi, puisqu’on n’a pas besoin de bétonner à l’excès une côte, en plus temporairement, sur certains événements. On l’a vu par exemple au Qatar, on avait des navires de croisière tout neufs qui sont arrivés, ça a évité de construire des hôtels qui n’auraient plus été utilisés par la suite. Mais il y a également un impact sur la nourriture, sur l’ensemble des traitements des eaux, puisqu’on n’a pas de livraison en petites camionnettes dans le cœur de la ville, on n’a pas le retraitement des eaux, tout cela ce sont des infrastructures supplémentaires à investir dans un cœur de ville : est-ce qu’il y a une prise de conscience par les autorités ou par les ports qui reçoivent, de ces bons côtés de la croisière ?
Jean-François SUHAS : Oui les professionnels du monde maritime connaissent parfaitement et les paquebots, évidemment, ont un devoir d’exemplarité ! Quand vous trimbalez 3000 personnes on ne peut pas faire n’importe quoi, à commencer par évidemment le jugement qu’on aura de ses propres clients s’ils voient des fumées noires ou s’ils vous voient balancer des poubelles, ce qui n’existe jamais, et ce qui certain aujourd’hui, ce que j’explique souvent parce que je visite beaucoup de bateaux, on voit bien enfin ceux qui sortent de Saint-Nazaire, on les reçoit en général 15 jours après, ils ont juste le temps de faire le tour par Gibraltar, c’est que tout fonctionne mieux à bord en général, qu’à 90 %, de ce qui se passe à terre, qu’il s’agisse du traitement des déchets, qu’il s’agisse du traitement organique, du traitement des fumées, du traitement de l’eau et cetera, des eaux grises… ça c’est ma certitude ! J’ai aussi une certitude, c’est que souvent on dit « le Paris-New York c’est 1,5 tonne », et cetera, aujourd’hui ce qui manque vraiment peut-être à la croisière, surtout à celle qui est tant décriée, la croisière de masse, c’est juste d’expliquer ce que fait un citoyen lambda chez lui avec sa voiture, son chauffage, ses déchets, son traitement de l’eau, sa consommation d’eau. Qu’est-ce qu’il va faire lorsqu’il est sur un bateau ? Ma seule certitude, c’est que, lorsqu’il est sur un bateau, il va faire mieux que chez lui dans 90 ou 95 % des cas, sauf celui qui est vraiment toute la journée en vélo, qui peut-être se chauffe au bois et va émettre beaucoup plus de particules que le bateau et cetera et cetera. La grande aberration, c’est qu’il y a des gens qui pensent que finalement pensent ces 5000 personnes elles n’ont pas de vie ailleurs c’est-à-dire que quand elles viennent alors moi ils me répondent toujours « monsieur laissez-les ailleurs qu’à Marseille, si ils sont aussi vertueux que ça ». Il y a toujours cette réponse-là, moi je leur réponds quand même que 500 millions à peu près ou 450 millions de cash qui arrivent dans la ville, une grande partie pour le port évidemment, mais il se trouve que quand vous mettez des conteneurs dans le port ça fait vivre les pilotes, que je suis, les dockers et autres, le Grand port, pas beaucoup vivre la ville autour. Par contre, là on a un trafic qui aussi apporte de l’économie au reste de la ville, je leur dis toujours ce serait quand même dommage de pas de pas l’utiliser mais ce qui est certain c’est que ces calculs-là je pense qu’aujourd’hui les croisières commencent à les faire, c’est-à-dire voilà ce que vous représentez quand vous êtes à bord, voilà ce que vous présentez quand vous êtes à terre parce que à terre vous n’êtes pas à zéro et on vous explique toujours que quand vous allez venir sur un bateau ou ce que vous allez faire pendant vos loisirs, c’est beaucoup de CO2 et cetera mais il y a du CO2 aussi, il y a des déchets, il y a de la consommation d’eau, c’est ce rapport-là qu’il faut faire à mon avis qui serait intéressant
Aymeric AVISSE : Une vraie comparaison, parce que vivre ça pollue, et on ne peut pas non plus empêcher les gens de vivre…
Jean-François SUHAS : Absolument, alors après évidemment, aujourd’hui une grande partie de la croisière marseillaise, par exemple la croisière de Méditerranée, ce sont des gens qui arrivent ; alors peut-être ils sont amenés par leur famille sur le terminal, ils prennent le bateau, ils redescendent. Alors quand vous partez à l’autre bout de la terre en avion, que vous reprenez un paquebot, évidemment que le bilan n’est pas bon, personne ne peut le contester ; mais ce qui est certain, la seule certitude que j’ai aujourd’hui, c’est que les bateaux ont les réponses à toutes ces questions : d’abord, les batteries, le GNL et tous les carburants de transition, parce qu’on a du volume, de la place, et qu’on peut mettre du poids à bord, y compris des capteurs de CO2 un jour. Voilà, sur un avion ce sera très compliqué l’avion fonctionnera avec, les premiers ils vont vraiment se battre pour avoir les SAF pour avoir les les e-carburants on va dire ce sont les nouveaux carburants qui seront évidemment décarbonés puisqu’on va assembler des molécules, mais c’est d’une très grande complexité. Je donne souvent ce chiffre quand même, parce qu’il est intéressant : aujourd’hui on évalue les soutes maritimes mondiales à 450 millions de tonnes, la croisière en consommant à peu près moins de 2 %. Mais juste pour vous donner l’idée c’est que toutes les grande une raffinerie quand vous la construisez aujourd’hui avec un milliard d’euros vous arrivez à tirer 4 à 5 millions de tonnes assez facilement, 4 millions de tonnes avec un carburant qu’on amène on vous fait chauffer vous et vous récupérez du gasoil, du FO et cetera quand vous voulez fabriquer du SAF ou des e-carburants on va dire et ce sont aujourd’hui que des tout petits projets qui existent, vous arrivez péniblement à 150, 200 000 tonnes annuelles avec un projet à 4, 5, 6, 7 milliards avec de l’hydrogène fabriqué des quantités d’électricité mais qui sont phénoménales, donc voyez on n’est pas du tout encore à l’échelle ! Pour autant, il faut avancer et c’est quoi la sobriété ? Evidemment, ce que tu as très bien cité, c’est-à-dire qu’aujourd’hui moi ce que je vois avec l’AIS, c’est assez facile pour toi et moi, et tous ceux qui nous écoutent, de voir les vitesses des paquebots, des ferries ou des autres bateaux, c’est le slow steaming, c’est, de toute façon, c’est 2024 2025 qui va l’imposer à travers toutes les nouvelles réglementations européennes ; mais il est vrai qu’une des clés c’est évidemment d’abaisser les consommations, d’avoir des bateaux neufs, ce qui est le cas évidemment pour la plupart, on n’a que 300 paquebots dans le monde, 340 exactement, et donc ce n’est pas beaucoup mais c’est vrai qu’ils sont plutôt très jeunes, ils sont plutôt récents avec des technologies de pointe ! On voit bien à Saint-Nazaire à chaque fois les nouveautés, je ne parle même pas des carburants, c’est-à-dire la réutilisation de chaleur, de froid, et cetera ; c’est tout ça qui fait qu’on abaisse toujours et ce que dit toujours et je trouve c’est très juste, Laurent Castaing qui le dit, c’est que entre les deux générations, c’est ce que tu as connu toi au début de ta carrière comme moi on va dire dans le début des années 2000, et aujourd’hui le même bateau avec le même nombre de passagers consomme quasiment la moitié c’est-à-dire ça c’est la réalité ! Et si Monsieur Castaing dit toujours « si j’avais attendu de mettre de l’hydrogène ou des batteries à bord je serais toujours à 100 % mais j’ai déjà fait la moitié du chemin et aujourd’hui on peut continuer et arriver peut-être à 70 % du chemin et là, les 30 % qui restent de consommation on aura sans doute les carburants du futur pour pouvoir les utiliser, c’est ça la réalité et c’est ce chemin-là auquel je crois ». Parce que les bateaux, peut-être que des gens élimineront des paquebots dans certaines villes, ça peut arriver, mais il y a 60 000 bateaux qui tournent et ils continueront à tourner, on l’a vu, c’était rappelé par beaucoup de monde. Enfin on vient de passer un hiver qui était compliqué, rien qu’avec le gaz c’est 200, 250 méthaniers…
Aymeric AVISSE : Il ne faut pas oublier que 95 % des échanges dans le monde, c’est grâce au maritime.
Jean-François SUHAS : Exactement, c’est plus de 90 % et ça ne va pas s’arrêter tant qu’on est 7 milliards et demi sur cette terre bientôt neuf – on est plutôt plus près de huit maintenant – et voilà, il y a une croissance mondiale de la démographie, il y a une croissance des envies surtout je crois, et du rêve, parce que là je vois qu’en Chine par exemple, d’après les dernières annonces, ils sortent leur premier paquebot : le marché chinois, qui était fermé, se rouvre à nouveau, donc de toute façon les paquebots auront toujours un avenir, il y aura toujours des gens alors c’est vrai que on peut parler de woquisme – on peut parler du sujet – ce n’est peut-être pas très à la mode pour certains, c’est quelque chose du passé ; moi ce que je vois, c’est que Marseille ça va être 2 600 000 personnes cette année qui vont qui vont embarquer ou débarquer, ou de passage, ce qui est quand même incroyable puisqu’on est parti avec 20 000 il y a 25 ans et qu’il y a un engouement de la part on va dire de n’importe quel endroit pour le rêve de la mer tout simplement parce que toi et moi on l’a eu. Il y a des gens, même si ce n’est pas leur job, ils n’ont qu’une envie, c’est de passer une semaine à bord avec leur famille, parce qu’en plus ils savent que leurs enfants seront heureux ! Et aussi donc ça continuera.
Aymeric AVISSE : Merci Jean-François. Pour conclure, on a bien compris que tu es passionné et très investi dans la croisière. Est-ce que tu penses que le public doit s’adapter à ce nouveau modèle ou le modèle doit-il encore évoluer pour s’adapter au public ?
Jean-François SUHAS : Il est évident que le modèle doit continuer à évoluer ; alors après, si le modèle n’était pas le bon, les bateaux n’auraient pas été à 99 et 100 % tout l’été, toute la saison, à Marseille. Juste pour te donner une idée, en 2022, sortie de crise Covid on était encore à 45 %, 50 % de taux de remplissage sur beaucoup de bateaux. Aujourd’hui, on est à 100 %. Et en novembre, j’ai vu les premiers chiffres hier, on dépasse tous les chiffres des années 2018/2019, c’est-à-dire qu’il y a encore plus de monde, même au mois de novembre, et avec une offre avant Covid évidemment, et avec une offre qui est spectaculaire. Au départ de Marseille, en novembre, on a eu une soixantaine d’escales, qui était notre chiffre record du mois d’octobre, qui était le meilleur mois en moyenne et donc qui était notre chiffre record des années 2018/2019. 2020 était tronquée, donc 2019 ou 2018 sont pour nous les deux dernières années de référence. Il y a vraiment à ce niveau-là un engouement, y compris à des moments où tout le monde n’a pas envie de partir, c’est-à-dire au mois novembre : pourquoi ? Parce que toujours pareil, l’offre au prix où elle est, à mon avis ne rencontre pas de véritables concurrents, sauf à partir à l’autre bout de la terre, là il n’y a pas de doute, mais pour des gens qui embarquent à Marseille sur tous ces bateaux de 3, 4000, 5000 passagers, ce sont 1000 personnes qui embarquent tous les vendredis et il y en a autant tous les samedis, tous les dimanches, tous les lundis, parce qu’il y a des têtes de lignes et on aura à peu près 700 000 pax en têtes de lignes cette année.
Aymeric AVISSE : Donc le port de Marseille et la croisière ont de l’avenir, un beau modèle et surtout une belle source d’innovation pour avancer de manière plus vertueuse vers un avenir du passager en Méditerranée et dans le monde.
Jean-François SUHAS : Absolument, c’est exactement ça, c’est à la fois l’innovation et remercions les chantiers de Saint-Nazaire et tous les constructeurs parce qu’ils ne restent pas les deux pieds dans le même sabot, c’est le moins qu’on puisse dire, parce qu’innover c’est compliqué, à chaque fois vous avez besoin de ces bateaux-là quand ils sortent. Le lendemain, il faut qu’ils fonctionnent et donc les ruptures, ce qu’on appelle vraiment les ruptures d’innovation trop fortes, c’est quand même toujours très délicat. Mais on voit évidemment, moi je ne rêve que de bateaux à la voile, je ne rêve que de bateaux décarbonés, j’espère et je crois que, peut-être pas durant ma carrière de pilote mais après, j’aurai sans doute une retraite, j’espère longue et paisible, que je verrai arriver à Marseille des bateaux vraiment décarbonés. Je sais que je vais les voir rapidement à quai, ils seront décarbonés puisqu’on va les brancher, mais surtout dans le petit saut de puce qu’ils auront fait peut-être entre, je ne sais pas moi, Toulon et Marseille, parce que je crois beaucoup à cette croisière de sauts de puce où on recharge des batteries, on recharge, on trouve du carburant alternatif, on fait un petit voyage en mer parce que les gens ont quand même envie d’être au large et de sentir la mer comme on dit, mais avec un autre type de croisière. Je crois que c’est celui-là qui a vraiment de l’avenir, c’est une croisière domestique avec toujours un public qui a du temps parce qu’évidemment on s’adressera quand même toujours plus facilement à des gens qui ont une dizaine, quinzaine de jours devant eux qu’en weekend et plutôt que de faire le tour de Méditerranée en 3 jours à 25 nœuds comme on a pu le voir, ou à 22 ou 23 nds ; ça je n’y crois plus beaucoup.
Aymeric AVISSE : Parfait, un grand merci de nous avoir à accordé cette interview, et j’espère à bientôt sur le port de Marseille ou à bord d’un bateau.
Jean-François SUHAS : Un dernier petit mot, merci à toi pour tout ce que tu fais, parce qu’évidemment nous nous connaissons depuis des années, alors c’est remarquable tout ce que tu fais vivre, et je pense à tous nos élèves, à tous les gens qui ont cette chance, parce qu’à notre époque c’est tout ça n’existait pas trop finalement, on n’avait pas ce lien ; parce qu’aujourd’hui je trouve que c’est compliqué quand même, quand on vous explique que vous êtes un tueur parce que vous êtes sur un bateau et que vous vous émettez des fumées. Pour la jeune génération qui adore la mer, j’imagine comme nous, de se culpabiliser parce qu’il y a quelques opportunistes politiques qui tous les jours, alors tous les jours ils ont besoin de vivre, donc il faut s’attendre à leur retour régulier, une fois qu’on a compris comment ils fonctionnent, on arrive assez bien à les contrer, mais il est vrai que cette petite musique est insupportable. Donc bravo pour tout ce que vous faites et pour donner toujours l’envie de mer et d’aventure aux jeunes générations.
Aymeric AVISSE : Les plus jeunes ne sont pas des tueurs, ils sont plutôt les acteurs du futur de la croisière ! Merci beaucoup, à très bientôt, pour d’autres aventures.