AEM2023

Souveraineté : sujets d’espoir et sujets d’inquiétude

Les Assises de l’économie de la mer sont une instance où les auditeurs écoutent avec grand plaisir des intervenants brillants et se sentent agréablement en communion avec cette intelligence collective qui doit préparer notre avenir maritime. Jeune Marine, tout en communiquant, se doit de conjuguer ces propos de grande politique avec les réalités du métier qui est au cœur de notre rédaction. Lorsque nous avons proposé aux Assises 2022 de débattre sur les « officiers stratégiques », nous anticipions les Assises 2023 qui sont placées sous les auspices de la souveraineté nationale, laquelle permet à un pays, lorsqu’elle est pleine et entière, de rester maître de son destin en ne dépendant pas pour sa survie de pays ne partageant pas sa culture.

Les Assises traitent de défense maritime, de construction navale, d’environnement maritime, et de bien d’autres aspects liés à la mer, mais quelle place prêtent-elles à la marine marchande ?

Marie-Christine Lombard, directrice générale de Geodis, a rappelé qu’il n’y aurait pas de souveraineté, au sens d’une maîtrise de ses approvisionnements critiques, sans une maîtrise de sa chaîne logistique, qui repose et reposera toujours sur un flux maritime, une autosuffisance complète étant utopique. Les navires marchands chargés de matières premières ou de produits manufacturés, demeureront les outils essentiels et stratégiques d’une sécurité des échanges, étant entendu que les officiers – a minima – devront en garantir une conduite fiable.

AEM23 © Jeune Marine DR

Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), a utilisé cette image très marine pour illustrer les préoccupations de la politique françaises : « un ressac ininterrompu entre la terre et la mer. »  La bonne nouvelle réside dans le retour du ressac en direction de l’océan, car, dit-il, « la souveraineté maritime revient à la mode ». Comme nous l’écrivions aux Assises 2022 : « on veut y croire », et cet espoir ne peut être que ravivé par les déclarations entendues en cette première matinée.

Philippe Louis-Dreyfus, président du conseil de surveillance de Louis—Dreyfus et Pierre-Eric Pommelet, PDG de Naval Group, ont rivalisé de verve pour évoquer les atouts de la France. Citons pêle-mêle

  • La tradition maritime du pays, dont l’Hydro est un bel exemple, tradition qui se ravive,
  • Notre expérience et nos compétences, y compris celles des navigants,
  • Notre capacité d’innovation, une capacité qui est dans les gènes de notre pays,
  • L’exemplarité de nos comportements en matières sociale et environnementale.

Pour demeurer lucides, évoquons les sujets d’inquiétude, ou les aspects futurs de la navigation qui pourraient changer assez radicalement. L’amiral Bernard Rogel a évoqué trois types de ruptures qui pourraient impacter le métier des marins de commerce :

  • Un retour des stratégies de puissance et d’affirmation de cette puissance : les routes maritimes resteront-elles libres ou seront-elles sujettes demain à des obstructions de type « fait accompli », interdisant de facto certains détroits ? Fort du bouclier des marines occidentales, nous nous sommes habitués à cette liberté de navigation, mais l’amiral nous alerte sur la fin de la suprématie occidentale, autorisant les puissances montantes à modifier les règles.
  • Une conflictualisation des espaces communs, dont la mer et le cyberespace, les perturbations sur le second espace pouvant s’avérer pour les navires aussi graves que sur le premier.
  • L’arrivée des stratégies hybrides, avec des attaques de navires marchands non revendiquées, le mouillage de mines, des prises d’otage, etc. Rappelons-nous la situation en mer Rouge et dans le golfe Persique lors de la guerre Iran-Irak des années 80.

Nous, marins du commerce, sommes concernés par les 3C de l’amiral :

  • La Coopération : nous sommes les vecteurs des échanges internationaux,
  • La Compétition : une certaine compétition qui ne connaissait que la rentabilité à court terme et ignorait la stratégie de souveraineté, a failli causer notre disparition au profit de pays à bas coût, et il serait imprudent de baisser la garde quand la politique nous a habitués à certains retournements.
  • La Confrontation : longtemps écarté et vu comme une scorie historique, le risque de confrontation augmente rapidement, entraînant dans son sillage des navires marchands.

 Pour répondre aux réflexions anticipatrices de nos décideurs, essayons d’imaginer quelles mutations pourraient entraîner les risques évoqués pour un métier hors du commun : verra-t-on le retour des convois escortés, souvenirs de la Seconde Guerre mondiale ? Connaîtra-t-on une hybridation des navires marchands et militaires, armant des porte-conteneurs comme l’étaient les navires de commerce du XVIIIème siècle ? La sécurité sera-t-elle supervisée demain par un PC central établi en métropole ?

De telles perspectives font encore sourire, mais anticiper, c’est aussi imaginer l’improbable.

 

Eric BLANC

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