Actualité MaritimegéopolitiqueJeune Marine N°273

Un navire ukrainien change de camp !!

Depuis février 2022, les principales conséquences du conflit en Ukraine au niveau du transport maritime sont l’organisation de corridors sécurisés pour les céréales ukrainiennes, et l’apparition d’une flotte fantôme permettant l’exportation du pétrole russe vers principalement l’Inde et la Chine, avec la complicité d’armateurs grecs et turcs notamment (225 pétroliers identifiés en avril 2024).

Plus surprenant est le passage début mai 2024 sous pavillon russe du navire Ropax Greifswald, propriété de la compagnie nationale ukrainienne UKRferry shipping compagny, basée à Odessa, rebaptisé Antey du nom de son nouvel utilisateur (2).

Destiné au trafic des trains en Baltique

Le Greifswald fait partie d’une série de 5 sister-ships (1) construit à la fin des années 80 au chantier Mathias-Thesen Werft à Wismar en ex-RDA destiné aux liaisons entre la RDA et l’URSS. Il transportait des machines, meubles et du papier de la RDA vers l’URSS et au retour du fer, des engrais et du bois.

Greifswald sous pavillon Panama ©UKRferry

Livré le 25 novembre 1988, d’une longueur de 190 m, ce navire conçu comme ferry (rail/ro-ro/pax)  pouvant transporter 103 wagons de marchandises en 48h entre Rügen et Klaipèda (aujourd’hui en Lituanie). Après la chute du mur de Berlin, il a été modifié en Ropax en 1994, portant sa capacité linéaire à 1570 m et en ajoutant des cabines permettant l’embarquement de 95 passagers (puis ultérieurement à 150 pax). Il a continué à être exploité en Baltique jusqu’en avril 2003 par divers armements allemands, suédois et danois sous pavillon allemand et du Libéria, en assurant des liaisons pendulaires entre différents ports de la Baltique.

L’originalité de cette série de 5 navires est dans la conception et l’échantillonnage de la coque. Conçus à la fin de la guerre froide, ces ferries étaient censés pouvoir acheminer rapidement le plus gros volume de fret militaire pour soutenir les 400 000 soldats russes basés en ex-RDA. Dotés d’une double coque prévue pour les protéger des torpilles, ils ont la particularité d’avoir une cale cachée sous le pont inférieur permettant le transport discret de 300 soldats équipés (3).

 

Reconversion en Mer Noire

En avril 2003, le Greifswald rejoint la mer Noire pour être exploité par UKRferry entre l’Ukraine et la Géorgie (Batumi – Illichivsk, Chornomorsk – Batumi etc.), d’abord sous pavillon géorgien jusqu’en 2011, puis sous pavillon de Panama. Acheté en 2003 par Régine Management SA, émanation de UKRferry, le navire est transféré en 2017 à Park Way Investors SA, boîte aux lettres panaméenne de la société éponyme basée en Slovaquie. Cette dernière assure pour le compte d’UKRferry l’armement du navire via sa filiale Navy Management SRO. Avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, UKRferry le propose sur le marché de l’affrètement. En 2022, l’exploitation du navire en mer Noire devenant compliquée, il est à vendre.

Ces deux dernières années et plus particulièrement en 2023, il est affrété notamment par le gouvernement des États-Unis, pour le compte de la flotte de soutien des forces armées US entre la Méditerranée et l’Europe du Nord, escalant à Bremerhaven, au Pirée, à Misrata en Libye, au Royaume-Uni, etc…

Transfert indirect de pavillons.

En décembre 2023, la société turque Camelot Bulkers Ltd, immatriculée au Libéria, mais gérée depuis Istanbul achète le Greifswald en l’immatriculant à Palau (Micronésie). Sa gestion est confiée à Go Shipping & Management Inc, société grecque de courtage et affrètement en janvier 2024. Le navire passe en cale sèche en mars 2024 au chantier Spanopoulos en Grèce, où il prend le nom d’Antey.

Le Greifswald sur le dock flottant du chantier Spanopoulos
©Spanopoulosgroup

Il quitte Paloukia en Grèce, le 8 avril 2024, avec pour destination Tanger (d’après les données AIS). Laissant le hub marocain sur bâbord, l’ex- Greifswald remonte vers la Baltique pour finalement arriver le 25 avril 2024 à Ust-Luga, port situé entre Saint-Pétersbourg et l’Estonie. Il passe alors le 1er mai sous pavillon russe, abandonnant le Det Norske Veritas pour le Russian Maritime Register of Shipping le 6 mai 2024, immatriculé à Sochi.(4)

Le 15 mai en soirée, l’Antey quitte Ust-Luga sans indiquer sa destination. Depuis cette date, le navire a repris une liaison quasi identique à celles pour lesquelles il a été conçu. Il assure un service pendulaire entre UST-Luga et l’enclave russe de Kaliningrad située entre la Pologne et la Lituanie. Vu ses caractéristiques d’origine et l’activité principale de son nouveau propriétaire, l’Antey doit probablement assurer un service de ravitaillement des forces armées russes de Kaliningrad.

Plus drôle, les informations AIS transmises n’ont pas été totalement corrigées, puisqu’il est indiqué lors de sa première rotation « Operated By: GOVERNMENT OF THE UNITED STATES », rappelant ainsi qu’il était très récemment dans l’autre camp !!!

Informations AIS de l’Antey au départ d’Ust Luga

Difficile de savoir si cette vente par UKRferry a été faite en parfaite connaissance de la destination finale du Greifswald. Vu d’Odessa, la vente du navire via des intermédiaires turc et grec  devait au minimum éveiller l’attention, au moment où nombre de sociétés du shipping turc et grec sont citées dans la liste des 225 pétroliers répertoriés de la flotte fantôme russe. Par le truchement de ces intermédiaires, les Russes peuvent l’utiliser pour transporter des marchandises en évitant les sanctions que d’autres pays ont imposées aux entreprises et aux marchandises russes. L’argent n’a pas d’odeur, mais aider la logistique guerrière de son ennemi du moment, c’est un peu baroque…

© JVD

 

(1) Greifswald et Mukran sous pavillon est-allemand, Kaunas, Vilnius et Klajpeda sous pavillon lituano-soviétique.

(2) Antey : Antey est une société du secteur aéronautique et de la défense d’armement créée par l’État russe en 2002. Visée par des sanctions de l’administration Obama en 2014 après la guerre du Donbass, Almaz-Antey produit une large gamme d’armes pour l’Armée rouge (missiles, centres de commandement, radars, systèmes de guidage, drones, etc.)

(3) : Un doute persiste sur l’éventualité d’une capacité de transport d’armements nucléaires, au regard de certains équipements à bord.

(4) : Russian Maritime Register of Shipping

 

 

CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE

Nos abonnés lisent aussi...

Bouton retour en haut de la page