Règlementation

Il n’y aura pas de flotte stratégique sans marins nationaux

Le rapport parlementaire de Yannick Chevenard (juillet 2023)

À l’automne 2017, paraissait un décret sur la constitution d’une flotte stratégique française, décret qui devait permettre une application de la loi sur l’économie bleue du 20 juin 2016. La presse professionnelle se faisait l’écho de cette décision politique qui visait à restituer et conserver à la France une capacité d’approvisionnement indépendante des aléas géopolitiques. Armateurs de France contribuait à la réflexion sur sa mise en application et publiait une note intitulée « Promouvoir le made in France maritime ».

En mars 2023, la première ministre constatant que « le dispositif n’a jamais abouti », et « qu’il n’a jamais défini les droits et devoirs des armateurs ni de l’État », mandate le député Yannick Chevenard pour reprendre la réflexion sous la forme d’un rapport parlementaire. Après 6 années de tergiversations, elle prie le député de remettre sa copie sous 4 mois et, le 26 septembre, celui-ci la soumet au Secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville (Mission gouvernementale relative à la réévaluation du dispositif de flotte stratégique).

Nous pourrions ironiser ou, pour le moins, nous interroger sur cette inquiétante incapacité à mettre en œuvre une mesure aussi fondamentale pour notre sécurité nationale, mais elle témoigne de la difficulté de conjuguer une organisation destinée à être contrôlée par l’État avec un secteur de l’économie libérale et mondialisée, malgré un comportement très loyal, voire patriotique des principaux armateurs nationaux. Le GICAN, dans sa note sur le sujet, rappelait que des grandes nations comme les USA et la Chine se donnent les moyens de disposer en cas de crise d’une flotte sous contrôle, et s’étonne que l’Union Européenne ignore cet impératif.

 Le député Yannick Chevenard tire les leçons de cet échec et propose des mesures qui paraissent mieux à même d’être appliquées. Résumons et simplifions les deux conclusions essentielles : pour s’assurer d’une logistique maritime toujours disponible, il faut conserver des navires sous pavillon français avec à leur bord des marins nationaux. Ce qui peut sembler trivial nécessite malgré tout un long rapport qui détaille les mesures pratiques qui devraient permettre de respecter ces deux impératifs.

« Il est préférable pour la sécurité du dispositif que les bateaux battent pavillon français, seule garantie pour l’État de pouvoir les réquisitionner ». Sur cet aspect, le rapport rappelle qu’un progrès significatif a été fait en améliorant l’attractivité des pavillons français et RIF, avec le principe d’exonération des charges pour le personnel et de cotisations sociales patronales, la taxe au tonnage ou le système du crédit-bail fiscal. L’efficacité de ces mesures n’est plus à démontrer car un passé récent a vu entrer sous nos pavillons de nombreux navires, et le député encourage l’Etat à les proroger.  

(Note : le crédit-bail fiscal est l’achat d’un navire par un établissement de crédit qui le met à disposition d’un armateur sous la forme d’un affrêtement coque-nue, l’établissement de crédit faisant bénéficier l’armateur d’une partie de l’économie d’impôts réalisée grâce à l’amortissement accéléré.)

Le chapitre sur la formation et la gestion des officiers est celui qui intéressera le plus les lecteurs de Jeune Marine. Notons que la rédaction de la partie II (Recréer du lien entre toutes les marines) est largement due à Francois Lambert, Directeur de l’École Nationale Supérieure Maritime, et que le député a eu l’honnêteté de reconnaître cette contribution en plaçant en annexe sa note intitulée « De l’importance du marin français pour opérer en temps de crise ». Dans l’introduction, Francois Lambert, jugeant en effet que la flotte stratégique est devenue « l’Arlésienne du maritime », car « tout le monde est persuadé qu’elle existe mais personne ne sait la définir », se montre assez critique sur l’absence de clarté et sur les évolutions chaotiques qui ont prévalu jusqu’à présent. Il s’efforce donc de proposer des mesures concrètes sachant aussi répondre aux constats qu’il fait dans l’accomplissement de sa mission, et place les femmes et les hommes dont il organise la formation, au centre du dispositif. En cas de repli sur nos frontières, crise ou conflit, il serait difficile d’acheter des bateaux que nous n’aurions pas, mais il serait impossible de recruter des officiers qui n’auraient pas été formés. Comme l’écrit Yannick Chevenard, en période de crise, « l’origine de l’équipage peut s’avérer être une difficulté dans l’exécution loyale d’une mission ». Cette affirmation fait écho à un article que nous écrivions dans Jeune Marine en préparation aux Assises de la Mer 2022 : « On ne laisse pas la défense de nos frontières à des militaires recrutés parmi toutes les nations du monde. Pourquoi laisser notre logistique d’approvisionnement à des équipages cosmopolites ? »

Francois Lambert constate qu’un certain nombre d’élèves entrés à l’ENSM renoncent à embarquer une fois leur diplôme en poche (le souhaitaient-ils à l’origine ?) et font défaut aux armements, et il s’interroge sur le moyen d’assurer au pays un effectif navigant suffisant. Il dresse un parallèle avec les contrats d’engagement de service public instaurés pour les étudiants en médecine ou pour certains élèves destinés à la fonction publique, qui doivent plusieurs années de service à l’État en contrepartie de l’allocation d’étude qu’ils reçoivent. Le Directeur de l’École Nationale Supérieure Maritime et le député Chevenard s’accordent dans leurs notes sur la possibilité d’offrir à des candidats admis à l’ENSM une telle allocation d’étude. François Lambert va plus loin en proposant que les signataires de tels contrats s’engagent à embarquer à bord de navires dont la liste serait établie au regard de l’aspect stratégique de leur activité : câbliers, navires d’assistance, navires océanographiques, etc…

Si l’idée d’un contrat d’engagement est certainement à retenir, sa contrepartie ne pourrait-elle pas être plus simplement de travailler X années sur un navire sous pavillon français ? Un tel engagement répondrait à la nécessité de disposer d’officiers nationaux embarquant sous le pavillon national, tout en conservant plus de souplesse et de flexibilité. 

Le rapport parlementaire exprime d’autres craintes et d’autres propositions qu’il serait trop long de détailler ici. Retenons tout de même le constat que nous ne saurions plus renouveler notre flotte dans les frontières européennes et, a fortiori, dans celles de l’Hexagone, faute de chantiers navals capables de construire des unités de taille moyenne. Si la question des infrastructures se pose, avec un saut de dimensions entre Piriou et Saint-Nazaire, celle des compétences et des métiers n’est pas moins critique.

Enfin, la question de la gouvernance du « fait maritime » est posée, car, le Roi Ubu n’étant jamais très éloigné des instances étatiques, le rapport précise que « pour remplir cette mission, le COMITTPB est notamment assisté de la Mission de la flotte de commerce de la DGAMPA, relevant du secrétariat d’État chargé de la Mer et du COMIGETRA, organisme implanté au sein du … COMITTPB et relevant du chef d’état-major des armées ». Espérons que ce serpent de mer qui mord la queue de ses acronymes, réussira à enfin mettre en œuvre toutes ces bonnes idées.

Eric BLANC


 

  

 

 

 

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