ÉvènementJeune Marine N°274Vie des associations

Regards croisés

Portraits de trois femmes d'exception

Le 13 juin 2024, l’ENSM du Havre a accueilli la conférence de l’association WISTA intitulée “Regards croisés” sur les femmes et l’exploration marine. Les invités étaient Marion Moriceau, Maeva Onde et Marie Sciboz. La conférence a débuté par une intervention de François Lambert, Directeur général de l’ENSM, suivie de celle de Guillaume de Beauregard, Directeur de l’école. Ils ont présenté l’école à un public nombreux et mixte.

 

Public qui a pu profiter tout au long de la conférence de magnifiques vidéos du quotidien des intervenantes, ici Marion Moriceau en action. © Phoebé Glatre

 

Avec des effectifs en hausse constante et l’objectif d’atteindre 1600 élèves d’ici quelques années, l’école affiche un dynamisme certain. Cependant, un déséquilibre persiste : les femmes ne représentent que 15% des élèves. Consciente de cette situation, l’ENSM met tout en œuvre pour promouvoir la mixité et offrir des opportunités égales aux femmes dans le domaine maritime. La lutte contre les violences sexuelles et sexistes est une priorité. L’école a ainsi instauré une politique de prévention et de prise en charge adaptée. 

L’histoire de l’ENSM avec les femmes est  récente ;  en 1973, Alix Daujat devient la première élève de l’école. Depuis, le chemin parcouru est notable, mais il reste encore beaucoup à faire pour atteindre une réelle parité. L’ENSM est déterminée à relever ce défi, en s’attaquant aux stéréotypes et en créant un environnement inclusif, l’école entend donner aux femmes les moyens de s’épanouir dans tous les domaines du maritime. Enfin, il est crucial d’encourager les femmes à rester dans le secteur maritime. “L’ENIM doit offrir des perspectives de carrière aux femmes et faciliter leur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale”, déclare François Lambert.

Madame Marie-Noëlle Tiné-Dyèvre, présidente de WISTA France a ensuite pris la parole pour remercier chacun des intervenants ainsi que les membres de l’assemblée pour leur présence. WISTA (Women’s International Shipping & Trading Association), créée il y a une cinquantaine d’années, a pour objectif de rassembler les femmes occupant des postes à responsabilité dans les secteurs maritime et portuaire, civil ou militaire. L’organisation compte 170 membres répartis sur toute la France. WISTA promeut également la mixité au sein des entreprises, une mixité qui, selon sa présidente, témoigne de l’efficience des entreprises.

Gaëlle Hardy, chargée de mission pour la Fondation ENSM, et Delphine Lefrancois, déléguée générale de Normandie Maritime, ont ensuite animé la soirée. Elles ont posé une série de questions aux trois invités, dont nous avons compilé les réponses dans les portraits suivants :

Maeva Onde, qui fêtait son anniversaire le jour de la conférence, s’est vu offrir par l’assemblée ce magnifique bouquet. © Nicolas VILLAUME

 

Hydrographe depuis 20 ans, Maeva Onde a été formée en océanographie à Intechmer (Cherbourg). Elle a intégré une société spécialisée dans la recherche d’épaves en eau profonde. En 2017, après être devenue maman, elle a travaillé à terre dans le domaine maritime en tant que chef de projet. Toutefois, en 2022, elle a succombé à nouveau à l’appel de la mer et a repris la recherche d’épaves.

Concernant ses motivations, Maeva raconte que l’envie a toujours été présente, inspirée par son père passionné, bercé par Cousteau, Le Grand Bleu et les documentaires. Fascinée par l’exploration et les récits de naufrages, elle a toutefois trouvé très compliqué de trouver des stages après ses diplômes. Elle souligne l’importance de ne pas écouter les gens qui disent que c’est impossible.

Pour une journée type embarquée, elle raconte son expédition lors de la mission Endurance, Maeva explique qu’il fallait s’habiller chaudement car il faisait -30°. La prise de quart commençait par un échange avec l’équipe quittante, suivie par l’acquisition des données sonars pour obtenir une photographie du fond. Elle vérifiait l’équipement, notamment les AUV (Autonomous Underwater Vehicle – robot autonome sous-marin) qui ont une précision centimétrique, puis procédait au traitement des données et à l’étude de la cartographie des fonds marins.

En ce qui concerne l’organisation du quotidien familial quand elle n’est pas là, Maeva indique que son compagnon fait le même métier qu’elle et qu’ils essaient d’embarquer en même temps. Pour que leurs enfants ne se retrouvent pas seuls, ils peuvent compter sur des grands-parents très présents. Elle a dû faire un travail particulier avec sa fille pour la préparer à ses missions. Grâce à Internet, Maeva peut échanger régulièrement avec sa famille, ce qui a permis à sa fille de vivre la mission Endurance avec elle et de peu en souffrir.

Lorsqu’on aborde l’évolution de la présence des femmes dans son secteur, Maeva évoque qu’en 2006, elles étaient peu nombreuses et souvent mal accueillies sous prétexte d’une supposée absence de force physique. Au début, elle a même tenté de “se faire passer pour un homme”. Aujourd’hui, les hommes sont davantage habitués à voir des femmes dans ce domaine. Cependant, Maeva constate encore récemment une sous-représentation des femmes. Elle encourage vivement les futures générations à poursuivre dans ce métier.

© Nicolas VILLAUME

Directrice de la société CERES (Centre d’Études, de Recherche et d’Expertise Sous-marines). Formée à Intechmer, elle a commencé sa carrière en embarquant au long cours sur des navires câbliers. Au fil de huit années de navigation avec un régime 2 mois embarquée / 2 mois à terre, elle a acquis le statut d’officier de la marine marchande. À partir de 2017, elle a progressivement développé un intérêt pour l’entreprise familiale, qu’elle a finalement rachetée en 2021, consolidant ainsi son engagement dans le domaine de la recherche et de l’exploration sous-marine.

Élevée au sein d’une famille de chercheurs d’épaves, notamment sur les littoraux, Marie a été bercée par les récits historiques et la recherche sous-marine. Pour elle, la mer était toujours liée au voyage, et elle a rapidement aspiré à partir à l’étranger. À la fin de ses études, trouver un stage a été particulièrement difficile en raison des préjugés contre les femmes, mais elle a persévéré, puis réussi dans cette voie.

Dans sa journée type, Marie décrit l’hydrographie comme un domaine très vaste, centré sur l’exploration des fonds marins. Dans son nouveau métier de gérante et chef de projet, elle passe ses journées à effectuer des collectes de marchés et à mener un travail de bureau plus classique. Son nouveau défi est d’ouvrir une antenne à Mayotte, confie-t-elle à l’auditoire.

Concernant l’organisation quotidienne de sa famille lorsqu’elle n’est pas là, Marie raconte qu’elle a eu son fils très tôt, dès la fin de ses études, pour ne pas perturber son parcours académique. Avec du recul, elle reconnaît que mener cette double vie est difficile, mais elle affirme que c’est possible avec une bonne organisation.

Marie observe également une évolution de la présence des femmes dans son secteur, depuis son premier embarquement jusqu’à aujourd’hui.

© Nicolas VILLAUME

Plongeuse scaphandrière, née aux Sables-d’Olonne, Marion a ressenti l’appel de la mer depuis son plus jeune âge. Malgré des découragements initiaux de la part de plongeurs qui lui disaient que ce métier n’était pas pour elle (et non plus pour les femmes en général), elle a persisté. Marion a postulé avec succès pour rejoindre les plongeurs de la Marine nationale, où elle a servi sous les drapeaux et participé à des missions opérationnelles, notamment contre la piraterie en Somalie et des OPEX (Opérations Extérieures) en Libye. À la fin de son contrat avec la Marine, elle s’offre la coûteuse formation de scaphandrière. Elle souligne que cette spécialité est déficitaire. Elle est toujours la seule femme sur les chantiers maritimes et sous-marins. En 2021, elle a fondé l’entreprise « Mon Miracle », spécialisée dans les cosmétiques marins écoresponsables.

Concernant ses motivations, Marion cite les documentaires de Cousteau et ses livres qui l’ont passionnée, ainsi que son origine dans une famille de marins-pêcheurs. Malgré les doutes exprimés par ses oncles, Marion est revenue à ses aspirations après une pause temporaire. Elle a découvert sa passion lors de ses activités de surf et d’apnée, et a été particulièrement marquée par la plongée qui l’a sensibilisée aux écosystèmes sous-marins. Cela l’a motivée à œuvrer pour la sauvegarde de la biodiversité marine et à sensibiliser sur l’impact de l’homme sur ces écosystèmes.

Pour sa journée type de travail, Marion explique qu’elle travaille en équipe de 3 à 5 personnes. Chaque matin commence par un briefing où ils préparent le matériel de chantier. Ils plongent ensuite pendant environ 3 heures par jour chacun, en échangeant les rôles à chaque plongée : chef de plongée, assistant « tender » qui aide le plongeur avec les outils, etc. Leur travail inclut la soudure, la découpe, l’assemblage de coffrages, le tirage de câbles, la réparation de fibre optique et l’assemblage de structures en acier.

Quant à l’évolution de la présence des femmes, elle est encore faible, il n’y aurait que 1% de scaphandrières en France. Cependant Marion se félicite d’être directement contactée par le directeur de l’école plongée à chaque nouvelle recrue et elle établit alors une relation de compagnonnage avec cette dernière.

De gauche à droite, Maeva Onde, Marie Sciboz, Gaëlle Hardy, Marie-Noëlle Tiné-Dyèvre, Marion Moriceau, Delphine Lefrancois. © Phoebé Glatre

 

Lorsqu’on leur demande quel est le secret pour combiner plusieurs occupations très prenantes, les réponses des expertes sont éloquentes. Pour Marie, c’est une question de gestion du temps : « Si on veut du temps, on arrive toujours à en trouver. » Pour Maeva, la passion joue un rôle essentiel : « La passion est le moteur. » Enfin, Marion souligne un objectif clair : « L’objectif c’est de passer le plus de temps sous l’eau. »

Nicolas VILLAUME

 

©PIERRE OLIVIER/6TER ©deepoceansearch ©actu.fr
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