Jeune Marine N°276Libre billetVie à bord

On nous enfume de parité mais qui promet l’égalité ? : la Marine Marchande !

Cette tribune ne va pas plaire à tout le monde… Mais il faut bien dire les choses pour lancer et faire avancer les débats. Les inégalités professionnelles existent, dans beaucoup de domaines, tout le monde en est conscient, tout est désormais mis en œuvre pour les lisser et une solution simple a été appliquée pour régler ces inégalités de genres : la parité. Bonne idée à l’instant t ? Fausse bonne idée créant plus d’inégalités sous couvert d’une bien pensance et d’une vertueuse  parité ? Mais au fait, avez-vous demandé aux principaux intéressés leur retour d’expérience ? Vous avez bien lu, ma phrase n’est pas au féminin car l’avis doit être mixte, et c’est ce que je souhaite développer dans cette tribune.

 

Depuis les années 80, la place de la femme dans l’entreprise n’a cessé d’évoluer. Les années 2000 ont accéléré la tendance avec les prémices de quotas de représentation du sexe minoritaire concrétisé en 2011 par la loi COPE-ZIMMERMANN  « Accès des femmes aux Responsabilités : de la parité à l’égalité professionnelle », ne parlant plus cette fois de sexe minoritaire mais bien des femmes : dès l’intitulé le ton est donné, l’égalité n’est plus qu’un objectif lointain, le but étant de promouvoir  la femme sans même traiter les métiers où l’homme est sous-représenté.

Je n’irai pas traiter tous les métiers, je vous rassure, mon domaine de compétences est le monde maritime, et tout particulièrement le monde maritime embarqué, et dans ce domaine notre environnement professionnel a de quoi remettre à sa place bien des contradicteurs sur l’égalité professionnelle femme-homme. La raison est simple, il n’a jamais été envisagé dans les premiers temps de la marine marchande qu’il y ait un second sexe, engendrant évidemment un fonctionnement  totalement égalitaire sans considération de genre : concours d’entrée à l’ENMM totalement anonyme, grilles de salaire selon diplômes mais aussi expérience et ancienneté, ou encore une promotion au mérite et/ou selon un ordre de passage en fonction de la date d’entrée dans la compagnie. Cette égalité est même complétée dans notre monde par une prise en compte de l’équité professionnelle. Et bien oui, avant de crier au loup sur l’inégalité au regard d’une parité non respectée, il faut étudier l’entièreté de la situation. Aussi, prendre en compte uniquement la parité n’est qu’une vision tronquée de la situation, car si la parité est un outil pour forcer à tendre vers une égalité professionnelle, il ne faut pas oublier les 3 axes : égalité, équité et parité.

La parité est un outil démagogique pour atteindre un graal : l’égalité. Or le maritime dans sa dimension embarquée connaît par essence cette égalité qui est son ADN. Elle a complété cette égalité structurelle par des mesures d’équité pour les femmes, avec une considération adaptée aux périodes de grossesse, récemment complétée par des congés paternité plus longs afin de  rééquilibrer les absences de l’entreprise pour réduire la stigmatisation et leur permettre un retour à bord.

Si je reste focalisé sur les hommes et les femmes, c’est que les textes sont aujourd’hui encore restreints, mais sans nul doute faudra-t-il qu’ils s’ouvrent vers de nouvelles sources d’inclusivité comme développé lors de la Conférence sur le bien-être des gens de mer à Bruxelles, et à ce titre, ne considérant qu’une seule entité dans ses textes, à savoir le marin, le monde maritime est d’ores et déjà prêt et en avance sur le législateur.

 

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De l’égalité à la parité : comment partir de la solution pour se créer des problèmes ?

L’égalité étant l’objectif, et la parité un moyen mécanique de tendre vers cette égalité, il faut également se poser la question de l’instant d’après lorsque la parité sera atteinte sans égalité : devra-t-on imposer aux personnes nommées de rester à leur place pour respecter la parité hologramme d’une égalité virtuelle ? Est-on réellement en train d’agir dans l’intérêt des femmes ? Et par effet de conséquence ne discriminerions-nous pas les hommes ?

A ce titre, dans la Marine Marchande, les ENMM ont toujours été ouvertes à tous, si tant est que les candidats puissent complaire aux tests médicaux et sous réserve de réussite au concours anonyme. Depuis l’ENSM, ou plutôt dans les environs de la création des ENSM, le concours a été remanié puis remplacé par la sélection via Parcours’ Sup. Une immense majorité du monde maritime, soucieuse de faire rayonner notre formation et de voir le nouveau champ des possibles en termes de candidats, a applaudi cette initiative. Force est de constater que plusieurs années après le résultat est en demi-teinte : les personnes réellement et uniquement motivées pour naviguer peuvent être écartées, et d’un autre côté la politique ambiante de féminisation peut pousser inconsciemment les sélectionneurs à booster les profils sous-représentés : les filles. En finale, elles nous confient leurs impressions, très décevantes : à l’issue de la 1ère année nombre d’entre elles ne sont plus là car mal sélectionnées ou plutôt sélectionnées pour leur genre et non leur dossier, et celles qui restent passent pour le « mauvais sexe » car ces échecs viennent stigmatiser les jeunes filles comme moins capables…alors même qu’elles sont souvent plus motivées ! En conséquence, on se retrouve avec le même taux de féminisation qu’aux concours d’entrée à l’ENMM des années 2000/2010….

Il est fréquent de voir dans la presse plus de femmes qu’il n’est en réalité. Mais lorsque nous embarquons pour mettre en avant les profils marine marchande, il n’est pas rare, et loin s’en faut, de croiser des femmes. Des associations très influentes font la promotion des métiers maritimes exercés par des femmes, ce sont ces exemples qui élèvent le niveau des possibilités,  comme La Touline qui a proposé toute une série de portraits de femmes à des postes très divers, ou comme la très belle association Women Of The Seas qui a proposé des podcasts très inspirants sur les métiers embarqués, jusqu’à nos propres reportages embarqués avec Marine LE FELT, Caroline FOUCHER ou les scientifiques embarquées de l’ATALANTE. Les femmes ont des parcours professionnels embarqués très riches, sont très présentes, quoi qu’on en dise, mais ne sont pas non plus des animaux de foire… L’appétence pour le maritime se révèle différemment selon les sexes : il est très rare de trouver des femmes sur des navires de charge au long cours alors qu’on en retrouve parfois en totale parité sur des navires de recherche scientifique, d’exploration ou sur les transbordeurs à passagers. L’appétence pour le maritime est réelle quel que soit le sexe mais peut s’exprimer différemment selon la navigation, voire les débouchés : on peut déplorer un faible taux de filles à l’entrée de l’ENSM sur des carrières embarquées avec environ 15/20% alors même que l’ESPMER en comptabilise 53% : l’appétence est donc bien là, l’adhésion aux contraintes est peut-être moins évidente ou plus exactement les orientations de vie peuvent différer entre hommes et femmes….. La seule et unique règle qui doit compter pour tendre à l’égalité c’est la réciprocité : toute règle doit pouvoir invariablement remplacer les termes femmes par hommes et vice-versa. Les femmes ne sont pas absentes des bords, elles ont totale latitude et effectuent les carrières complètes qu’elles souhaitent sans aucune restriction en toute égalité et avec équité : il faut le faire savoir et le promouvoir, mais il serait très inconvenant de les contraindre à faire ce qu’on a décidé pour elles.

 

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Cette stigmatisation se retrouve également dans l’entreprise, cette fois-ci au dépend du législateur….

Pour favoriser l’expression des sexes sous-représentés dans les entreprise, et certainement aussi pour donner une image conforme à la population de l’entreprise, le législateur interdit que le sexe sous-représenté ne soit tête de liste aux élections professionnelles. L’esprit de la loi est très intéressant et on entend bien la raison qui serait d’éviter qu’un homme ne soit tête de liste lorsque le collège est majoritairement féminin et ainsi laisser une parole plus libre aux femmes ; mais dans le cas du maritime, le législateur interdit donc aux femmes de se présenter aux élections en candidat tête de liste alors que les règles maritimes ont toujours pris en compte une qualité professionnelle d’officier sans se soucier de son sexe…. En reprenant la règle du paragraphe précédent on se rend bien compte que cette loi pour les élections professionnelles est totalement inégalitaire et entrave la liberté d’expression des femmes dans le cas du maritime : au final quel intérêt de refuser la tête de liste à un genre si on arrive à l’image de mixité recherchée ? Par ailleurs le législateur s’est bien gardé d’appliquer ce principe aux élections présidentielles où nous devrions, avec cette règle, avoir systématiquement une femme….

Illustration adaptée du blog élues locales : https://blog.elueslocales.fr/femmes-en-politique/parite-toutes-les-propositions-concretes-du-haut-conseil-a-legalite/

Mais le boomerang est sur le chemin retour…..

A l’heure où nombre de mandats se renouvèlent, il est très fréquent d’entendre que des personnes totalement légitimes pour ce mandat puissent en être écartées en raison de leur sexe, et ce quel que soit le sexe ! Qui s’est penché sur l’injustice ressentie construite par une loi qui remplace le plafond de verre par une chape de plomb pour les personnes écartées ?

La machine devient folle, on évince une femme car le précédent mandat était féminin selon un principe d’alternance, et on évince un homme pour féminiser…. La règle de réciprocité est pour autant respectée me direz-vous ! Mais quelle image donnez-vous aux institutions ? Quelle conclusion doit-on en retenir ? Mieux vaut être du bon sexe au bon moment que de travailler, de faire avancer une cause et d’être le meilleur dans son domaine ? A ce jeu le maritime ne voit que des officiers….

Que penseriez-vous d’élargir la totale parité à tous les métiers ? Seriez-vous prêts à occulter toute égalité et équité au profit de la parité ? Je ne vous donnerai pas d’exemple, je vous laisse réfléchir au métier ou fonction où vous ne vous verriez pas du tout, une fois trouvé que penseriez-vous qu’on vous contraigne à le faire car à la vue de votre sexe c’est ce qu’on a décidé pour vous en vertu de la parité ? Ne parlez pas pour les femmes mais ne parlez pas non plus contre les hommes.

Mesdames, Messieurs, législateurs, armateurs, responsables politiques, influenceurs, avant de tirer sur un modèle empirique égalitaire et équitable en vue de renverser la table avec la parité, n’hésitez pas à appliquer à vous-même vos propres idées en embarquant avec nous, en embrassant la profession via nos écoles d’excellence maritime, les ENSM. Ce n’est pas au détour d’une semaine à la Baule, d’une ballade  en voilier ou d’une croisière d’exploration qu’on pourra vous appeler « Marin ». Les marins ne sont pas « engagés », comme n’importe quel acteur qui s’engagerait pour une cause toute autre que son métier mais qui lui tient à cœur, les marins ne parlent pas dans le vide pour attirer l’attention, ils embarquent dans le silence pour exercer leur passion qui est également leur métier. Que l’on soit homme ou femme, aucun de nous ne rentrera tous les soirs à la maison, aucun de nous ne verra ses enfants grandir comme à terre, aucun de nous ne pourra partager tous les moments que vous vivrez vous à terre, mais tous seront embarqués, fiers de leurs métiers, fiers de transmettre leurs savoir-faire, fiers du maritime car le maritime n’a pas de sexe….

La Marine Marchande vous attend, non pas avec un champ des possibles mais avec un océan d’opportunités de s’épanouir quel que soit son sexe et beaucoup plus généralement quel que soit son être. Avant de parler, osez le maritime et embarquez dans la plus belle aventure de votre vie : les hommes et les femmes ayant franchi le pas ne le regrettent jamais !

A bientôt sur l’eau !

Aymeric AVISSE

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