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COVID 19, première mondiale au Havre : mise en sécurité d’un pétrolier pour cause de virus

Signal d’une aggravation de la situation sanitaire des marins embarqués.

Le samedi 24 avril à l’aube, deux pilotes du Havre ont été mis à bord du pétrolier Suezmax FAIRWAY, battant pavillon de Singapour, pour l’accoster au quai d’Osaka, assisté de quatre remorqueurs de la société Boluda, en absence de propulsion, non sur avarie, mais en raison d’un équipage décimé par le COVID 19 : 19 marins sur un équipage de 25 positifs au virus.

Fairway en transit vers le port © jeunemarine.fr

Le FAIRWAY avait préalablement fait escale au port du Havre-Antifer. Arrivé le 17 avril en milieu de journée, une suspicion de Covid avait été signalée par le bord. Après son appareillage le 19 avril à 04h, le FAIRWAY a rejoint la zone d’attente N°2 du Havre. Le mardi 20 avril vers 20h, une première évacuation sanitaire a été organisée par le CROSS Jobourg, en liaison avec le centre de consultations médicales maritimes [CCMM] de Toulouse. Le Chef Mécanicien et le Second Mécanicien ont été héliportés vers l’hôpital Jacques Monod du Havre. Depuis, le Chef Mécanicien est en réanimation. Le jeudi 22 avril, une seconde évacuation sanitaire est réalisée par l’hélicoptère Dragon 76 de la sécurité civile pour un autre marin philippin.

Pilote à bord du Fairway ©XdS pilLH

Les autorités maritimes en liaison avec la capitainerie du port du Havre décident de mettre en sécurité le pétrolier à quai. L’équipe machine étant réduite au 3éme mécanicien et à l’électricien, le Commandant ne souhaite pas utiliser la machine. Une première tentative est organisée l’après-midi du 22 avril. Deux pilotes sont hélitreuillés à bord, mais l’opération est annulée en raison d’une levée de houle trop importante pour crocher les remorqueurs. Seconde tentative repoussée pour la même raison le lendemain. La troisième sera la bonne, le 24 avril.

Fairway avant-port du Havre assisté d’un cinquième remorqueur Boluda pour sécurisé le passage des digues © jeunemarine.fr

Jamais dans l’histoire récente, un navire n’a été immobilisé par une contamination collective de l’équipage, sauf dans le cas récent du caboteur turc APRIL dans le port de Temryuk, en Russie, en février 2021, où la plupart des membres de l’équipage ont été empoisonnés par les vapeurs toxiques de la cargaison.

VB 22 Fairway © jeunemarine.fr

Que s’est-il passé à bord du FAIRWAY pour arriver à cette situation incontrôlée ? Alors que depuis le début de la pandémie en 2020, aucun navire dans le monde n’a été immobilisé en raison d’un équipage contaminé par le virus (l’épisode du DIAMOND PRINCESS au Japon concernait les passagers), aucun marin n’est mort (*), on observe depuis environ deux mois, coïncidant avec le début des programmes de vaccination de masse dans le monde entier, plusieurs situations étranges et inexpliquées de contamination collective d’équipages, avec une succession de décès, en particulièrement en Amérique du Sud. Un marin brésilien d’un porte-conteneurs décède le 19 mars sur l’Amazone, un marin philippin de 63 ans décède le 12 avril à Santos, etc.

Plus sordide, le 11 avril, le corps d’un marin philippin de 63 ans est retrouvé sur une plage (Pango Beach) de l’île d’Efaté au Vanuatu, à proximité de Port-Vila, la capitale. Sa dépouille est testée positive au COVID 19. Problème, le navire sur lequel il est embarqué, le gazier GPL INGE KOSAN a quitté le port la nuit précédente. Propriété de BW Epic Kosan, battant pavillon britannique, il a fait demi-tour vers Port-Vila pour les besoins de l’enquête. On ignore les causes du décès du marin et la raison pour laquelle son cadavre s’est retrouvé à l’eau : chute accidentelle, suicide, ou action délibérée ? N’ayant eu que trois cas de contamination au coronavirus par des voyageurs depuis le début de la pandémie, le gouvernement vanuatais a isolé l’archipel, suspendant toutes les liaisons aériennes, maritimes et en confinant sa population en l’absence d’un système de santé suffisant.

Corps du marin sur la plage de Pango © DR Vanuatupolice

Malgré les campagnes actives de l’ICS, de l’OMI, des armateurs et des syndicats, les marins sont toujours ignorés des gouvernements. Loin des yeux, loin du cœur, que représentent quelques milliers de marins au niveau des électeurs d’un pays ? Une quantité négligeable !…Tellement négligeable et ignorée, que l’Administration de la seconde puissance maritime mondiale – la France – n’hésite pas à redéfinir la profession de marin.

Contrairement à Singapour qui a vacciné en priorité 18.000 employés portuaires et marins, le ministère du Travail dans un communiqué de presse du 20 avril annonce l’ouverture à la vaccination aux « conducteurs de ferry », nouvelle profession inconnue dans le milieu maritime, âgés de plus de 55 ans. Cela ne risque pas d’entamer les stocks de vaccins, car la vaccination est déjà ouverte à toutes les personnes de plus de 55 ans, et les marins peuvent partir à la retraite à 55 ans.

C’est à se demander si l’ancienne titulaire du portefeuille des Transports s’est intéressée aux marins lors de son passage à l’hôtel de Roquelaure. Une telle ignorance de l’administration française qui assimile un Commandant de ferry à un conducteur de poids lourds doit nous interpeller sur l’efficacité réelle du lobbying maritime chargé d’éclairer nos décideurs sur le fait maritime. Il y a une grande différence entre les marins et les autres professions, c’est qu’ils exercent leur métier loin de toute structure sanitaire. Difficile de vous rendre à l’hôpital rapidement ou d’espérer l’ambulance des pompiers quand vous naviguez à plus de 20 jours d’un port d’escale. Deux marins des thoniers français dans l’Océan Indien en ont malheureusement fait les frais.

Pilotes et équipage à la passerelle du Fairway © XdS pilLH

Les marins n’attendent rien d’un Fontenoy de la mer. Ils veulent juste des vaccins pour pouvoir exercer sereinement leur métier, et permettre à toutes les populations d’être approvisionnées. Sinon, les ports vont être prochainement saturés par des FAIRWAY et le commerce mondial bien plus perturbé que par le blocage temporaire du canal de Suez fin mars 2021.

(*) Plusieurs suicides ont été signalés en rapport avec la pandémie COVID 19, en particulier parmi les membres d’équipage de paquebots confinés à bord.

 

Jean-Vincent Dujoncquoy

 

 

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