A la toute fin espérée d’une crise sanitaire mondiale mettant en lumière les limites du modèle humain en mer, nombreux sont en attente d’un minimum de considération des marins et surtout de solutions à apporter à une population essentielle aujourd’hui et encore plus demain. Le Colloque sur l’emploi et les compétences dans le secteur du transport et des services maritimes était LE rendez-vous incontournable pour présenter les problématiques mais surtout les solutions à apporter aux navigants ; le colloque tient-il ses promesses ou est-ce encore un coup d’épée dans l’eau ? Les équipes de Jeune Marine étaient là pour vous, voici leur retour :
COLLOQUE SUR L’EMPLOI ET LES COMPETENCES
DANS LE SECTEUR DU TRANSPORT ET DES SERVICES MARITIMES
09 FEVRIER 2022
Ce colloque s’est ouvert à l’ombre du ONE OCEAN SUMMIT de Brest et n’a pas bénéficié de la visibilité médiatique qu’elle méritait. Quasiment pas de compte-rendu de cette journée y compris dans la presse spécialisée maritime.
Il était possible de poser des questions par écrit limitées à 160 caractères ainsi que des questions en live. Mais ces dernières se sont heurtées à une impossibilité technique le matin pendant les 2 ateliers pleinement consacrés aux gens de mer. Dans l’après-midi, 2 responsables syndicaux français purent cependant intervenir en visio.
Sur le plateau la présence par roulement de quelques-uns des 106 jeunes Européens, qui avaient été sélectionnés en septembre dernier et formés au côté d’experts des métiers de la mer et du transport maritime et qui ont pu intervenir tout au long de la journée, a fait souffler un vent de fraîcheur et d’enthousiasme sur le monde maritime. Mais comme l’a souligné un intervenant anonyme par un message écrit, l’absence de témoignage de gens de mer en activité fut regrettée.
Les gens de mer ont été longuement cités, félicités, mis en lumière tout au long de cette journée. Madame la Ministre de la Mer a ouvert ce colloque. Puis un message du secrétaire général de l’OMI a confirmé sans ambiguïté l’intérêt porté au gens de mer qui devaient avoir le statut de travailleurs clés pour lesquels les Etats devaient s’engager à favoriser les relèves. Le président d’Armateurs de France a souligné la nécessité de lutter contre le dumping social, qui met surtout en concurrence les marins au sein de l’espace communautaire.
Le premier atelier fut consacré à l’amélioration des conditions de vie au travail des marins dans le contexte de crise sanitaire. La proposition de la France auprès de l’OIT de limiter à 11 mois la durée d’embarquement maximal sur un navire fut quelque peu douchée par le représentant français de l’ITF, qui a suggéré de venir passer 11 mois sur un navire plus particulièrement dans le contexte actuel où les gens de mer ont dans des conditions de vie quasiment carcérales. Il fut question de santé mentale. Et quand la question par écrit d’abus de confinement à bord de navires par des capitaines sur ordre de leurs armateurs y compris au cours d’escales dans des pays, dont la France, où la libre circulation des marins à terre était autorisée, pouvant générer des problèmes de santé mentale, tous les intervenants en perdirent leurs voix. La présentatrice se tourna alors vers le chef du guichet unique du Rif, qui répondit simplement qu’il n’était pas au courant de ce genre de pratiques.
L’objet du deuxième atelier fut de « promouvoir l’emploi et les compétences maritimes à l’échelle européenne ». L’on apprit que les Norvégiens envisageaient d’engager des marins philippins sur les navires en cabotage national et communautaire, ce qui montrait que tous les armateurs et les gouvernements de chaque pays de l’UE préfèrent tirer la couverture vers eux. Le colloque ayant pris du retard, l’animatrice expédia quelque peu la séance de questions prévue pour 45 minutes en se retournant vers les 4 jeunes Européens présents sur le plateau pour connaître leurs questions sur ce sujet. Seuls 2 jeunes se lancèrent pour des questions d’ordre général. Les questions du public ne furent pas prises en compte.
Puis vint le temps d’un troisième atelier avec comme thématique « Favoriser la fluidité des parcours professionnels des marins au sein de l’union européenne. » où l’on apprit par le Directeur général de CMA Ships qu’aujourd’hui les marins dans le monde sont environ 1.500.000 et que d’ici 2025 il sera nécessaire d’en trouver 500.000 de plus, dont un grand nombre hautement qualifiés, notamment en raison de la transition énergétique qui passe par le remplacement du fuel lourd par le GNL. Il fut convenu d’améliorer les équivalences de formation entre les pays européens, car aujourd’hui un marin européen qui se forme dans un pays est très souvent obligé de repasser ses certifications s’il souhaite naviguer sous le pavillon d’un autre pays. Enfin, les jeunes ambassadeurs portèrent la nécessité d’un Erasmus + pour les formations maritimes.
Puis vint une table ronde avec de jeunes Européens sur « Objectif 2050 : comment se réinventer ». Pendant ce débat, animé par Surfrider, qui tourna plus sur les questions environnementales et la transition écologique, les marins retournèrent sur le monde du silence.
Enfin, l’on assista au retour d’une quasi-unanimité autour des marins par les déclarations de quelques ministres européens en charge de la marine marchande.
En conclusion, la ministre de la Mer a :
- Réaffirmé sa volonté de maintenir et de promouvoir le statut de « travailleurs essentiels » pour tous les salariés du monde maritime et a souligné l’importance de multiplier le travail de concertation pour aboutir à une harmonisation européenne des normes et des conditions sociales.
- Déclaré qu’une réponse adaptée au niveau européen était indispensable à l’Union pour préserver durablement ses emplois et renforcer son attractivité. Une initiative des États membres pour appliquer des règles sociales uniformes pour les travailleurs à bord des navires devrait donc pouvoir se faire jour afin d’assurer, partout dans ce qui doit devenir l’espace maritime européen, le respect des conditions de travail au niveau des standards européens et de sauvegarder l’employabilité des marins dans une concurrence loyale.
- Appelé enfin à engager des travaux d’harmonisation de l’ensemble des formations européennes, dans une logique de diplômes d’excellence, ce qui favorisera la compétitivité comme la qualité du marin européen. Annick Girardin a préconisé une reconnaissance de l’équivalence des formations, invitant à désigner l’agence européenne de sécurité maritime comme entité responsable du contrôle des organismes de formation, et encourageant la construction d’un fonds dédié à la formation des marins en Europe.
L’auditeur averti aura senti, qu’au-delà d’une relative unanimité sur le sort des marins, les divergences entre les armateurs européens qui sont en concurrence entre eux et les divergences des Etats sur le statut social des marins, étaient réelles et profondes. Et toute cette sollicitude affichée par les armateurs et les ministres lui aura semblé, malgré tout, plus portée par cet éclairage sur la pénurie annoncée de marins, qui pourrait gripper le transport maritime et par la même l’économie mondiale.
La rédaction de Jeune Marine