Le sujet très récent de l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie génère de nombreuses intérrogations chez les navigants mais aussi chez les armateurs. Loi votée et à faire appliquer pour les uns, incertaine pour les autres mais par prudence ils préfèrent provisionner au cas où, le sujet ne trouve pas de solution. Mais au fait, que dit exactement ce texte et doit-on réellement l’appliquer ou l’interpréter ? Frédérique HEURTEL et Sofia BONELLO du cabinet Stream nous proposent leur éclairage.
Le proverbe dit qu’il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Le législateur aurait pu méditer cet adage en mars 2024, lorsqu’il intégrait, à la hâte, au sein d’un projet de loi, un amendement portant sur l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie.
Il réagissait ainsi à plusieurs décisions de la Cour de cassation qui, balayant les principes alors applicables, confirmait fin 2023 que le salarié en arrêt maladie acquiert des congés payés. La Cour de cassation agissait elle-même en ce sens pour contraindre le législateur à appliquer les principes de la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de la Cour de justice de l’Union européenne.

La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne a finalement entériné, pour les salariés, l’acquisition de congés payés pendant les périodes d’arrêt maladie.
Ces évolutions ont créé un petit séisme pour les employeurs, qui ont vu, d’un coup, croître leurs provisions.
En effet, avant ces bouleversements récents, la règle en matière d’acquisition des congés payés était simple : les arrêts pour maladie d’origine professionnelle donnaient lieu à l’acquisition de congés payés dans la limite d’un an, tandis que les arrêts pour maladie non professionnelle ne donnaient lieu à l’acquisition d’aucun congé payé, sauf dispositions conventionnelles contraires.
La loi du 22 avril 2024 a complètement inversé ce principe. Désormais, tous les arrêts pour maladie, quelle qu’en soit leur origine, donnent lieu à l’acquisition de congés payés. Des règles complexes en matière de limitation du report des congés payés acquis pendant l’arrêt, d’information des salariés et de prescription ont été précisées par la loi du 22 avril 2024. Egalement, le rythme d’acquisition des congés payés varie en fonction de l’origine de la maladie. Ainsi, l’arrêt maladie d’origine professionnelle entraîne l’acquisition de congés payés au rythme classique, quand l’arrêt maladie d’origine non professionnelle entraîne quant à lui l’acquisition de congés payés à raison de 2 jours ouvrables par mois.
Les nouvelles règles sont ainsi complexes ; et la situation se corse davantage lorsque l’on cherche à appliquer ces nouvelles règles au monde maritime, déjà régi par des textes particuliers.
Le Code des transports prévoit ainsi des règles dérogatoires portant sur les congés payés des marins : acquisition à raison de 3 jours calendaires par mois au lieu de 2,5 ouvrables pour les sédentaires, possibilité de regrouper les repos et congés dans un taux unique dit de « repos-congés », etc.
Or, probablement faute de temps lors de la rédaction de la loi du 22 avril 2024, le législateur n’a pas évoqué la situation particulière des marins, créant ainsi une situation de doute et d’insécurité juridique tant pour les marins que pour les armements.

En premier lieu, le législateur aurait utilement pu préciser si les nouvelles règles fixées par la loi du 22 avril 2024 s’appliquent aux marins. En l’absence d’une telle précision, certains armements estiment que les marins sont purement et simplement exclus du champ des nouvelles règles, considérant que le texte européen qui a entraîné l’adoption de la loi du 22 avril 2024, la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, écarte expressément les « gens de mer » de son champ (Cons. 12). La Cour de cassation et le législateur n’ont quant à eux pas du tout évoqué la situation des marins ou des gens de mer. Nul doute que les juges seront amenés à trancher ce point dans les prochains mois.
En deuxième lieu, le législateur aurait pu prendre en compte les spécificités maritimes lors de la rédaction du projet de loi. En effet, les congés payés des marins ne sont pas exprimés en jours ouvrables, mais en jours calendaires. Comment, dès lors, décompter l’acquisition de 2 jours ouvrables par mois de congés payés en cas de maladie non professionnelle ? Les congés payés des marins sont bien souvent réunis avec d’autres repos pour constituer un taux global de « repos-congés ». Comment conjuguer cette particularité avec l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie ? Quelles règles s’appliquent à la maladie en cours de navigation, statut spécifique au monde maritime ? Comment définir la période d’acquisition des congés payés des marins, pour l’application des nouvelles règles de report des congés payés acquis pendant un arrêt ?
Enfin, en rédigeant le projet de loi du 22 avril 2024 dans une optique purement sédentaire, le législateur s’est placé dans des cas où les salariés perdent généralement, au bout d’un an, les congés acquis non utilisés. Or, là encore, la situation des marins est tout à fait particulière. En effet, dans nombre d’armements, les repos-congés acquis au titre des embarquements précédents ne sont jamais perdus, si bien que l’impact financier des nouvelles règles d’acquisition des congés payés en arrêt maladie est potentiellement majoré pour les compagnies maritimes.
En conclusion donc, en se dispensant de prendre en considération les particularités juridiques et opérationnelles du travail maritime lors de la préparation de la loi du 22 avril 2024, le législateur a créé une situation d’insécurité juridique pour les marins, comme pour les armements. Il apparaitrait donc utile que le législateur reprenne la plume et clarifie la situation des marins.
Frédérique HEURTEL et Sofia BONELLO