À la uneJeune Marine N°265Vie de l'école

Assises de l’Économie de la Mer : mais de quoi voulons-nous donc débattre ?

Par Eric BLANC

Quelle mouche a donc piqué Jeune Marine pour proposer une table ronde au titre aussi grandiloquent quand modestie et discrétion sont en général l’apanage de notre métier : « demain, des officiers stratégiques » ? Rendons à l’Etat ce qui est à l’Etat : l’expression est empruntée au second thème du Fontenoy Maritime, cette consultation de madame et monsieur tout-le-monde sans laquelle nul ministère ne peut prétendre aujourd’hui décider de nouvelles orientations. Reconnaissons que la question est étrange, qui semble confondre dans une même expression l’objectif et les moyens. L’officier doit-il servir une stratégie ou est-il lui-même un objet stratégique, au même titre qu’un militaire défendant les frontières ou qu’un diplomate travaillant au rayonnement de la nation ?

 

Un pays ne saurait survivre sans une logistique d’approvisionnement et de distribution. Quel que soit le niveau de réindustrialisation auquel nous aspirons, les matériaux essentiels devront être importés et, enjeu de balance commerciale, des produits manufacturés ou agricoles seront exportés. Le transport maritime qui assure 90% des échanges entre pays et continents est donc bien une activité stratégique. Sans accès au fret, le dénuement et la pauvreté guettent un pays qui ne saurait vêtir, équiper et chauffer une population dont l’autosuffisance est un rêve obsolète. Les lois du commerce mondialisé et une certaine logique de rentabilité, de flexibilité et d’efficacité veulent que les échanges soient pratiqués dans un modèle croisé entre les différents pays, un méthanier français desservant le Japon quand un pétrolier japonais déchargera en France. Ce modèle est à risque quand il est dévoyé par des armements apatrides et mercenaires sur lesquels aucune nation de notre vieux continent n’a de pouvoir, et dont la disponibilité au bénéfice d’un pays client pourrait varier en fonction des troubles internationaux. Relativisons ce risque : même si les pavillons de complaisance représentent désormais plus de 50% de la flotte mondiale, un nombre significatif de navires demeurent sous le contrôle des pays propriétaires. Ainsi la flotte CMA-CGM, compagnie française, contrôle 583 navires quand nos pavillons affichent un total de 192 navires. Avec 22 millions d’EVP transportés, sa capacité couvre largement les besoins nationaux. Notre flotte gazière se découvre en 2022 une importance stratégique clef quand les allemands, n’en ayant pas, ont dû affréter 4 méthaniers en urgence et au prix fort. 

Mais que deviendrait, en cas de troubles internationaux, une flotte dite sous contrôle dont les marins ne le seraient pas ? Les épisodes du COVID puis du conflit russo-ukrainien ont montré comment des officiers mercenaires risquaient de faire défaut. Le marin est donc bien un objet stratégique puisque indispensable à la réalisation d’une activité stratégique. On ne laisse pas la défense de nos frontières à des militaires recrutés parmi toutes les nations du monde. Pourquoi laisser notre logistique d’approvisionnement à des équipages cosmopolites ?

Quel écho donne l’Etat à son envolée lyrique sur les « officiers stratégiques » ? Consultons le rapport CIMER de 2022, lequel renvoie aux deux mesures phares du Fontenoy Maritime qui sont

  • Accélération du verdissement de la flotte française,
  • Développement des emplois et des compétences dans le secteur maritime, formulation on ne peut plus vague.

Si la première action semble dotée d’un crédit de 25M€, la seconde n’est pas citée au titre des dotations. Le secteur maritime, dont il est question dans la deuxième action, étant vaste, nous, officiers et futurs officiers, restons sur notre faim, avec moins d’espace dédié dans ce rapport que l’échouement de la sargasse (39,5 M€) ou la surveillance du volcan sous-marin de Mayotte. 

Ce silence dans le rapport du Comité Interministériel de la Mer, pourtant baptisé « construire ensemble l’avenir maritime de la France », hélas symbolique du peu d’intérêt porté à une corporation que l’on considère stratégique, nous a conduits à susciter ce débat dont le titre complet est : « attirer, former, faire évoluer les marins… vers des officiers stratégiques ». Chaque mot a ici son importance.

Quelques propositions, non exhaustives, que la table ronde enrichira :

  • Sortir le métier de l’ombre: pour attirer, un métier doit avoir « une affiche ». Nous nous faisons peu d’illusion sur le résultat qu’aurait un sondage de notoriété dans la population. Quand une profession veut recruter, elle commence par une campagne de communication appuyée sur des symboles et des fragments de rêve.
  • Lui rendre sa spécificité et sa fierté: on ne forme pas des ingénieurs dont certains piloteront des avions, mais bien des aviateurs, ou des ingénieurs dont une partie pourrait opérer, mais des chirurgiens. De même, une jeune femme ou un jeune homme motivé doit se consacrer à obtenir un brevet de commandement ou de chef mécanicien pour faire son métier, et non pas acquérir un socle trop vaste, donc lâche et multicarte. Le pays regorge d’écoles d’ingénieurs aux finalités mal définies ; inutile d’en rajouter une.
  • Confirmer le rôle de l’officier sur les navires de demain: assez de littérature dévalorisante sur le remplacement futur de l’officier par des robots omniscients qui ne connaîtront plus l’erreur infamante car humaine. En supprimant l’officier, on ne fera que déplacer le lieu de cette erreur au niveau des concepteurs et des mainteneurs, sans possibilité de boucle de rattrapage pour des systèmes rendus aveugles. Seules une formation pratique et une expérience des situations à risque rendront la navigation plus sûre.
  • Considérer le métier, y compris dans les périodes de crise : l’épisode du COVID, les drames vécus par manque de solidarité, et la tragi-comédie des vaccins pour marins ont montré le peu de considération que les pouvoirs portaient à la profession. Jamais le dicton « loin des yeux, loin du cœur » n’a été aussi vrai. Le mal est fait, et il faudra de nombreux signes forts pour montrer aux marins qu’ils ne seront plus abandonnés.
  • Compenser l’accélération incessante du métier : les marins du siècle dernier partaient certes plus longtemps, et leurs conditions de navigation ont pu être plus dures, mais jamais la pression temporelle et économique n’avait été aussi élevée. Toutes les professions subissent une accélération, mais le lien constant terre-mer qui s’est établi, et le montant des investissements en jeu, ont affolé les montres des navigants. Polyvalents devenus multivalents, ils subissent un incontestable stress temporel que le contrat social doit prendre en compte.
  • Alléger la bureaucratie: les carcans règlementaires instaurés au nom de la sécurité ou de l’environnement, les nouvelles lubies sociétales, les exigences des actionnaires, finissent en pluie de … KPI, ces fameux indicateurs qui deviennent une fin en soi en masquant les réalités qu’ils étaient censés représenter. Tous les métiers opérationnels subissent cette inflation administrative qui détourne l’attention du réel et de l’humain, mais, confrontés aux pyramides de textes internationaux, les officiers ont franchement mal au clavier
  • Passer un contrat de responsabilité: il ne suffit pas de dire à un officier qu’il est pleinement responsable. Il le sait. Il faut aussi que la réalité du pouvoir et des décisions soit cohérente par rapport à cette responsabilité. Le routage, l’assistance aux résolutions de problèmes, le contrôle en ligne sont des réalités qui peuvent alléger la mission mais aussi se substituer aux décisions du bord quand la responsabilité de celui-ci reste entière. Une consigne téléphonique ne laisse pas de trace… Redéfinir la sphère de responsabilités et de pouvoir de décision de l’officier est un préalable.
  • Proposer des plans de carrière: l’officier ne peut plus être un supplétif plus ou moins anonyme. Les grands armements l’ont compris dont les cadres à terre sont majoritairement composés d’officiers expérimentés ayant posé temporairement ou définitivement leur sac à terre. La volatilité des jeunes générations, qui ne croient plus aux carrières mono-entreprise, est déjà intrinsèquement élevée : les retenir dans le monde maritime est un défi à relever !

 

Eric BLANC

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