À la uneJeune Marine N°265Vie à bord

PORTRAIT : Aurélie LELIEVRE Directrice d’armement chez Euronav

« Il y a un très haut niveau de professionnalisme à bord des VLCC »

 
Depuis toujours Jeune Marine met en avant l’humain au sein des armements. Souvent critiqué, beaucoup ne connaissent même pas physiquement leur interlocuteur ! Nous avons aujourd’hui le plaisir de vous présenter un portrait inédit, celui d’Aurélie LELIEVRE, qui va nous expliquer son parcours et tous les détails de son métier.
 

Aurélie Lelièvre, Directrice d’armement (Crewing Manager) chez Euronav à Nantes est en charge de la gestion de l’ensemble des équipages sous pavillon français. Elle nous fait découvrir son métier.
Aurélie Lelièvre, Directrice d’armement (Crewing Manager) chez Euronav à Nantes est en charge de la gestion de l’ensemble des équipages sous pavillon français. Elle nous fait découvrir son métier.

De son bureau, à Nantes, Aurélie Lelièvre plonge sur la Loire, suffisamment proche de l’estuaire pour être encore sensible aux flux et reflux des marées. De la mer, excepté ses vacances sur la côte en famille, c’est à peu près tout ce qu’elle connaissait à sa prise de poste chez Euronav, en 2009. A l’époque, le Directeur d’Armement, qui l’a recrutée pour sa solide formation en anglais et son expérience de plus de 10 ans dans le domaine du recrutement, a vite pallié cette inexpérience en lui proposant d’embarquer à bord d’un navire qui remontait de Fos-sur-mer au Havre. Une tradition chez Euronav pour familiariser le personnel  au métier. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les fenêtres d’Aurélie. Devenue Crewing Manager, elle connaît les postes et les problématiques d’un équipage de VLCC sur le bout des doigts. C’est elle qui s’occupe des ressources humaines pour les 7 navires sous pavillon français, soit environ 65 officiers et élèves officiers nationaux et 250 marins étrangers.

 

Plongée dans un milieu à part.

Le métier ne s’apprend pas à l’école. « On a tout de suite eu à cœur de me former et de me faire connaître ce dont je parlais. Et comme je suis naturellement curieuse, j’ai plongé : les marins, à partir du moment où vous leur montrez de l’intérêt, c’est comme un livre ouvert ». L’embarquement, le déchargement, le vetting … les exigences et les spécificités de chaque poste, les relations humaines en vase clos, le multiculturalisme, la vie à bord dont le rythme contraste avec l’effervescence de la vie à quai … elle a vite mis des images sur les situations vécues par les marins qu’elle recrute à longueur d’année. « Un des enjeux de notre métier, c’est de créer un lien avec des personnes, qui vivent dans un monde à part et que, pour certains, on ne voit quasiment jamais ».  Le recrutement, les évaluations, le suivi des formations … ce qui fait le quotidien d’une professionnelle des ressources humaines s’effectue à distance, le plus souvent dans une autre langue et en désynchronisé, voire par l’intermédiaire des agences de manning qui proposent des CV, en Bulgarie ou aux Philippines par exemple. « On se rend sur place dans le cadre de crew conferences pour mieux faire connaissance et entretenir le lien, mais l’essentiel se fait à distance. Normal, notre terrain de jeu : l’ensemble du monde ». Ça suppose de s’adapter à un mille feuilles de singularités sectorielles, techniques, humaines et culturelles très différentes. Ça change des univers de cabinets conseils (Alexandre TIC, McKinsey) où Aurélie Lelièvre a fait ses armes. «La relation humaine avec les marins est très spécifique. Le milieu également. J’ai dû apprendre, mais on m’a aussi permis d’apporter des outils, des méthodes de mes expériences antérieures pour moderniser les process et développer des outils collaboratifs. Ça m’a permis de solidifier les aspects technico-administratifs pour me concentrer sur l’essentiel : l’individualisation de la relation ».

 
Individualiser la relation avec les navigants et maintenir le niveau opérationnel des navires à son maximum
Entre les visites sur les navires, l’organisation des « crew conferences », les audits des agences de manning à l’étranger, les journées armateurs sur les sites de l’ENSM et les déplacements au sein des filiales du Groupe, le quotidien ne se résume pas à rester derrière son ordinateur. Les contacts sont aussi permanents avec les collègues des autres filiales d’Euronav. Exercer le métier de Crewing manager, c’est savoir croiser en permanence et en équipe, les besoins de l’entreprise, les compétences, l’expérience, les disponibilités, les affinités, les situations personnelles… « Nous sommes à la croisée de tous les départements du Groupe : Commercial, Operations, Technique, Qualité,… » Pas toujours facile de trouver l’équilibre au bénéfice de l’entreprise et du marin sur un marché fortement concurrentiel et très cyclique où la prise en compte de tous ces facteurs complique la vie. « Ça fait partie du métier. On fait tout pour prendre en compte les contraintes personnelles de nos marins. Mais la gestion des plannings, c’est un vrai Mikado ! Les enjeux d’une personne peuvent avoir un impact sur tout le groupe. C’est important d’y répondre quand on peut et d’être claire en expliquant pourquoi quand on ne le peut pas. Je m’en fais un point d’honneur. Concrètement, on regarde les événements familiaux, cela va de soi (je plaisante parfois en disant que je suis la première informée avant la famille de l’arrivée prochaine d’un enfant), mais aussi les demandes plus particulières ». Par exemple, chez Euronav, il nous arrive de faciliter les fins de carrières des navigants seniors en proposant un seul embarquement annuel mixé avec des congés sans solde ; on développe une politique spécifique pour les apprentis auxquels on propose la prise en charge des coûts de leur formation et rapidement une embauche en CDI (la norme dans le groupe) ou on facilite des déplacements des marins non-résidents en France sans leur imposer de toujours repasser par la métropole. « Je n’hésite pas non plus à faire valoir nos impératifs dans un groupe international tenu par des process indispensables à sa bonne marche mais qu’on peut parfois assouplir avec agilité dans l’intérêt de tout le monde. Pour moi, c’est l’ensemble de ces signaux qui concourent à créer une qualité de relation et une ambiance de travail qu’on ne retrouve pas toujours ailleurs. Enfin, c’est ce que j’espère ».

M/T AMUNDSEN © Euronav DR

 

Le cœur du métier : « problem solver » !

D’autant que les nécessités du métier imposent de rester zen. La règle de base, c’est l’anticipation et la planification. Mais, c’est la théorie. En principe, on embarque pour 80 jours. Mais il peut arriver que les périodes à bord se prolongent sur 90 voire 100 jours. « C’est compensé par autant de jours de congés. Mais il faut pouvoir en accepter les contraintes : pas toujours facile pour les marins et leur famille», rappelle une Aurélie compréhensive.  A l’inverse, elle doit parfois gérer des remplacements imprévus. Ça aussi, c’est du sport. Sur un bateau, l’exception devient assez vite la règle, surtout en période de Covid. « On vient de vivre deux années très éprouvantes pour les équipages. Il a fallu gérer des situations parfois ubuesques, composer avec autant de réglementations sanitaires que de pays traversés ou de nationalités à bord, trouver des solutions pour de jeunes stagiaires partis pour deux mois et bloqués pendant des semaines avec les familles qui s’impatientent… On est sorti rincé ! ».

 

La gestion des équipages peut parfois être éprouvante. Mais ça, Aurélie Lelièvre le garde pour elle. « Ça fait partie du métier. On est là pour gérer les aléas, comme le font les équipes à bord. Chacun ses problèmes et ses responsabilités. La nôtre, c’est de trouver des solutions et de se rendre disponible pour nos marins. C’est la moindre des choses quand on s’occupe de personnes qui sont en pleine mer ». Sauf que les équipages, eux, décrochent pendant les relâches. Pour les équipes à terre, c’est parfois plus compliqué de déconnecter. « On met en place des astreintes qu’on se partage entre nous pour alléger la charge, mais on reste toujours en vigilance, en particulier en temps de crise ».

 

M/T ALSACE © Euronav DR

La passion, carburant du quotidien

Des contraintes qu’Aurélie Lelièvre accepte parce qu’elles présentent aussi des contre parties. « Je ne parle pas de « ressources humaines » mais de « relations humaines ». J’ai beaucoup de plaisir à travailler en équipe ici, à Nantes, et avec mes collègues du groupe et les marins reconnaissent notre implication. Et puis, on ne fait jamais la même chose. On est en veille et en recrutement permanents en essayant d’avoir toujours un coup d’avance pour s’adapter aux imprévus ».  Les aspects administratifs et réglementaires sont mis à jour en permanence pour faciliter la réactivité. Le portefeuille de CV doit toujours être bien rempli : « et tous ces CV, ce sont des gens qu’il faut fidéliser et auxquels nous devons donner envie de travailler avec nous. Tous nos métiers sont des métiers passion ».  Au-delà de la formule, Aurélie Lelièvre sait développer les arguments.  « C’est le message que je transmets aux jeunes quand je me déplace dans les écoles avec un argument supplémentaire pour le secteur pétrolier : il est passionnant parce qu’il est placé au cœur des enjeux du monde ». Et ce n’est pas l’actualité qui va la démentir : géopolitique, économie, environnement, ingénierie, mondialisation… le secteur a de quoi nourrir toutes les plus grandes curiosités… Donner l’envie de rejoindre un métier exigeant et une entreprise passionnante qui sait évoluer avec son temps : évolution des mentalités, féminisation de la profession, décarbonation du transport maritime… Il faut aussi parfois lever des réserves. « En arrivant, pour moi, l’industrie pétrolière c’était l’Erika, le Prestige… rien de très engageant et un univers assez éloigné de mes convictions personnelles. Depuis, j’ai compris que, tant qu’on aurait besoin de pétrole, il valait mieux qu’il soit transporté par des professionnels compétents et des compagnies sûres et contrôlées ».  Ces exigences présentent d’ailleurs un argument supplémentaire pour le recrutement : la grande technicité du secteur. « Sur un pétrolier, vous êtes formés à tout. Il n’y a pas plus exigeant en termes de compétences. Quand vous avez travaillé sur un VLCC, vous pouvez travailler partout. C’est très formateur de côtoyer ce niveau de professionnalisme, d’autant qu’il existe à bord une vraie culture de la transmission et du compagnonnage. Ça m’avait frappée à l’occasion de mon premier embarquement».  Treize ans après, Aurélie compte bien poursuivre son bail de Crewing Manager. Elle qui pratique la Zumba et la course à pied, prévoit aussi de se mettre à la boxe. Mais que les marins se rassurent : c’est juste destiné à entretenir l’énergie nécessaire à l’exercice de ce métier exigeant qu’elle apprécie d’effectuer avec une équipe impliquée …. toujours sur le pont.

Contact : crew.fr@euronav.com

M/T HAKATA © Euronav DR

 

La rédaction de Jeune Marine

 
 

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