AEM2022BrèvesJeune Marine N°265Règlementation

Quels carburants maritimes demain : à quel coût et quelle réglementation ?

Table ronde aux Assises de la Mer

« Quarante mille navires dans le monde affichent une capacité de plus de 3000 UMS, d’une moyenne d’âge de quinze ans : cette flotte, d’ici dix ans, doit changer. » Jean-Emmanuel Sauvée, Président d’Armateurs de France, s’interroge quant au défi que représente la décarbonation du transport maritime.

Le 9 novembre, une table ronde aux Assises de la Mer était consacrée aux futurs carburants qu’adoptera la flotte commerciale mondiale au fur et à mesure de sa décarbonation. Une transition déjà lancée de fait : voici déjà cinq ans que la convention MARPOL pose des limites sur les émissions d’oxyde de soufre et d’azote par les navires marchands. Mais cette transition s’attaque maintenant au dioxyde de carbone lui-même. « Concernant la décarbonation, la réglementation va entrer en vigueur au 1er janvier 2023 : là on arrive sur tous les fameux indices que les armateurs connaissent maintenant par cœur, les EEXI et C2I qui seront mis en place » décrit Christophe Chauvière, Directeur Maritime du Bureau Veritas. « Dès le 1er janvier 2023, il y aura des conséquence concrètes pour les navires qui auraient un mauvais indice. »

Et l’Union Européenne a scellé une volonté d’aller plus loin. « Nous visons -6 % d’émissions carbone au 1er janvier 2030, donc on n’est pas non plus sur des choses abracadabrantes qui vont complètement coincer armateurs et constructeurs » décrit pour les émissions de dioxyde de carbone Pierre Karleskind, député européen. « Cela va augmenter progressivement, pour obtenir -80 % au 1er janvier 2050. » Cette réglementation ambitieuse s’inscrit dans une démarche générale de l’UE : « tous secteurs confondus, l’UE a hissé un objectif de réduction de 63 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. »

Dans tous les cas, c’est une transition ambitieuse qui s’annonce pour le monde maritime. « 2030, c’est dans sept ans. C’est demain. Il va falloir qu’on fasse des choix aujourd’hui. Quand on voit les différentes options qui s’offrent à nous, c’est loin d’être facile ! » analyse Jean-Emmanuel Sauvée. Car au-delà des navires, c’est toute une filière énergique qui demeure à construire. « Les solutions, il y en a effectivement beaucoup aujourd’hui : et non pas une unique, comme on l’avait généralement répété ici aux Assises » reporte Christophe Chauvière. Gaz Naturel, biocombustibles, carburants décarbonés… les projets avancent et se multiplient.

La première incertitude repose sur la propulsion elle-même. Le Bureau Veritas décrit lui-même la propulsion au gaz comme une solution transitoire : « le GNL émet du CO2 donc si l’on veut continuer, il faut passer au bio-GNL ou au e-méthane. » Mais les autres méthodes n’ont pas encore toutes fait leurs preuves : par exemple, la propulsion à ammoniac n’est encore qu’un modèle théorique. « Les motoristes travaillent sur l’ammoniac, mais concrètement, on n’a pas encore aujourd’hui de moteur à l’ammoniac approuvé. »

Assises de la Mer - intervention Piriou
Table ronde concernant les futurs carburants maritime : Piriou présente les projets sur lesquels travaillent actuellement les chantier – ©Jeune Marine – DR

 

Les chantiers navals constatent eux-mêmes des problématiques difficiles à résoudre. « Nous faisons face à de vrais défis techniques, en terme de conception et de propulsion des navires, qu’il va falloir passer » explique Pascal Le Roy, Directeur Adjoint de Piriou. « Ce n’est pas parce qu’ils sont importants que l’on ne va pas les prendre à bras le corps ! » Les chantiers travaillent sur déjà de nombreux projets de navires plus propres, voire neutres en carbone.

La conception d’un navire est une étape parfaite pour mesurer la difficulté de ces nouvelles constructions. « Le travail d’un architecte naval c’est un peu la quadrature du cercle, rentrer toutes les exigences de l’armateur, toutes les contraintes, dans un certain volume. La densité énergétique beaucoup plus basse de l’hydrogène ou du GNL par rapport au fioul conduit à une optimisation différente des soutes. Cela conduit avec le client vers différents choix : si c’est un bateau de fret, réduire sa capacité ou au contraire augmenter la taille du navire. »

Le monde maritime s’appuie sur l’industrie qu’il sert lui-même pour cette recherche et la logistique dont il a besoin. « Ces recherches nécessitent du foncier, avec des contraintes liées (respect de la biodiversité locale) et disponibilité de l’énergie » explique Hervé Martel, Président du Directoire de Marseille-Fos. « Or, on a cela autour des ports : du foncier, on a de l’énergie, pas tout à fait propre mais cela avance en travaillant sur l’éolien offshore, sur l’e-powering, sur le photovoltaïque, on a vraiment une stratégie énergétique à mettre en place. »

Outre son statut de pionnier, parmi les ports ayant déployé un système de branchement à quai, le port de Fos-Marseille s’est affirmé comme un véritable laboratoire pour la production de GNL vert. « On va faire du carburant pour CMA-CGM avec les déchets de la métropole : autour du centre de méthanisation, avec Total et son navire d’avitaillement et avec CMA-CGM qui a besoin de gaz, on a tous les éléments sur une zone comme Fos, un écosystème pour monter une filière de biocarburants à partir des déchets de la métropole d’Aix-Marseille. »

Assises 2022 - table ronde futurs carburants maritimes
Table ronde consacrée aux futurs carburants : de g. à dr, J-E Sauvée, Armateur de France, C. Chauvière, BV, H. Martel, Port de Marseille-Fos, P. Le roy, Piriou et P. Karleskind, Député européen – ©Jeune Marine – DR

 

« Ce qu’il se passe sur les ports, avec ces nouvelles énergies, c’est ce qu’il s’est passé il y a un peu plus d’un demi-siècle pour créer ces grands complexes pétrochimiques » résume Hervé Martel. « On a longtemps perçu cette transition énergétique comme une contrainte : aujourd’hui, c’est une nouvelle révolution industrielle. »

S’adressant à nos gouvernants, Jean-Emmanuel Sauvée énonce avec enthousiasme : « il va falloir accompagner le mouvement ! Il y a des solutions, peut-être ; mais il faut aller vite. Les enjeux sont gigantesques, la période est formidable à vivre, incontestablement, pour nous tous,  acteurs de la Marine Marchande : par contre, elle est pleine d’incertitudes. »

« Les armateurs français, nous voulons être au rendez-vous et nous y serons ! Mais le chemin est semé d’embûches et nous fait naviguer entre les icebergs. En tous les cas, on veut être au rendez-vous de l’Histoire Maritime ! »

CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE

Nos abonnés lisent aussi...

Bouton retour en haut de la page