À la uneCommandant CharcotInterviewJeune Marine N°266Vie à bord

PORTRAIT : Florence KUYPER, Cheffe d’Expédition à bord du Commandant Charcot

Le département expédition est un univers à part. Les autres services recrutent pour la plupart des profils homogènes, issus d’écoles particulières qui garantissent un niveau de compétence lissé et une interopérabilité optimale. Ce n’est pas le cas de notre équipe. L’école des guides naturalistes, ça n’existe pas. Nous venons d’horizons différents. Pour certains, nous avons suivi des cursus scientifiques à l’université. Nous sommes toujours un petit groupe à avoir participé à ou conduit des projets de recherche. Pas tous. D’autres nous arrivent avec une expérience de terrain : guides de randonnée en haute montagne, instructeurs de survie, guides de kayak de l’extrême, ex-militaires férus de faune, responsables de réserves naturelles, explorateurs, marins, journalistes scientifiques… Nous avons en commun une soif insatiable de transmettre. Notre rôle à bord n’est pas un rôle de service mais de partage, alors bien entendu, on ne chapeaute pas une telle équipe avec les mêmes méthodes qu’ailleurs.

À la tête de ce pot-pourri bardé de diplômes et de références se trouve un duo de femmes de choc : Cécile Manet, l’Assistant Expedition Leader (AEL), et Florence Kuyper, la Cheffe d’Expédition, reconnaissable entre toutes à son entrain inaltérable. Florence cache derrière la pointe d’accent ténue dans son français irréprochable son origine néerlandaise. « Nous, les Hollandais, sommes prédestinés à naviguer » s’amuse-t-elle. « Tout nous ramène à la mer. » Elle est encore étudiante lorsqu’elle prend pour la première fois la mer, entre amis sur un voilier en Grèce. « C’était un bateau minuscule, une espèce de baignoire avec un mât. Nous nous sommes régalés. »

C’est le début d’une longue aventure. À son retour, elle rejoint l’équipage des goélettes à hunier Mondrian et Rembrandt, puis peu de temps après embarque en Antarctique. Ça y est, le virus polaire fait son œuvre. Elle revient plusieurs fois sur le Mykheev, un ancien navire scientifique russe de quarante-deux passagers.

En parallèle, Florence n’a pas renoncé sa carrière à terre et dirige des projets d’innovation sociale. Malgré cela, elle ne peut résister à postuler lorsqu’elle apprend que la base antarctique de Port Locroy se cherche un ou une chef de base. Et la voilà partie sur ce caillou perdu au large de la terre de Graham. Ils sont quatre pour assurer la gestion du musée, répertorier les objets historiques, cataloguer, et entretenir les bâtiments. Il faut savoir tout faire : peindre, réparer, surveiller les populations de manchots, et même opérer le bureau de poste le plus méridional du monde.

Coll. ©Delphine GRANIER

C’est dans ce contexte qu’elle découvre les navires Ponant qui s’aventurent jusqu’à la Péninsule avec leurs passagers. « C’était toujours un plaisir de recevoir leurs équipes. Ça m’a ouvert de nouvelles perspectives. » Toutefois ce n’est pas sur la flotte aux trois voiles qu’elle fait ses premiers pas comme guide, mais sur le voilier australien Australis et ses soixante-quinze pieds d’aluminium. « Je faisais skipper, guide, hôtesse – tout, quoi. J’ai continué après sur le Philos puis sur l’Abel Tasman en Alaska, au Svalbard en beaucoup en Antarctique. Ce n’est qu’en 2014 que j’ai rejoint Ponant. Travailler comme ça avec des équipes passionnées, ça a été un vrai coup de cœur. Je n’ai jamais cessé d’être reconnaissante de pouvoir faire un métier que j’aime et que je peux partager. Les interactions avec les passagers sont riches intellectuellement mais aussi émotionnellement, et je crois sincèrement qu’on arrive à en reconnecter avec la nature. Qu’ils voient et vivent combien la Terre est magnifique. »

Je lui demande de définir ce que signifie l’expédition pour elle : « l’expédition, c’est aller à la rencontre de la nature mais sans jamais savoir ce que tu vas trouver. C’est l’opposé de l’excursion, qui par définition est planifiée et garantit des expériences. Nous, on part avec une idée. Souvent, le plan A, devient le plan B, ou le plan C, et tout aussi souvent, ce qu’on finit par faire est mieux que ce qu’on prévoyait au préalable. Il faut savoir se laisser surprendre, faire avec la nature en faisant preuve de souplesse. Ponant est particulièrement bon sur ce sujet, comme sur les itinéraires, d’ailleurs, car nous allons régulièrement là où les autres ne vont pas. Sur le Charcot c’est évident, mais c’est dans l’ADN de la compagnie. Nous sommes des précurseurs. »

La discussion se poursuit sur la figure de cheffe d’expédition. « Dans des croisières comme celle-ci, nous travaillons en duo avec le commandant. Nous mettons au point au jour le jour une stratégie d’opération en fonction des contraintes de navigation et de météorologie, mais en prenant en compte une vision globale de ce que nous souhaitons proposer dans la croisière. Mon rôle, c’est d’optimiser les moments passés à l’extérieur. C’est donc aussi un puzzle stratégique ; les pièces à assembler comptent le temps qui peut changer à tout moment, les conditions de glace, les caractéristiques du terrain, les compétences de l’équipe, et les possibilités matérielles. Je veux éviter le piège de la facilité pour aller chercher le meilleur. Un autre aspect important est que l’équipe s’éclate. C’est le meilleur moyen de garantir une expérience inoubliable aux passagers. »

Enfin, j’aborde Le Commandant Charcot. Florence plaisante : « je ne pouvais pas ne pas naviguer dessus. Il est baptisé d’après mon explorateur préféré. Plus sérieusement, j’aime infiniment où le navire peut nous amener. Nous opérons dans des lieux où je n’osais pas rêver venir un jour. Ça ouvre des horizons complètement fous. Par exemple, cette semi-circumnavigation, c’était inouï. Le peu de navires qui traversent vers le Mer de Ross sont repoussés au nord de la ceinture de glace. Grâce au Commandant Charcot, nous avons pu plonger au cœur de l’Antarctique et de son histoire. C’était un privilège immense, et je souhaite de tout cœur que nous tentions la circumnavigation complète un jour prochain. Je suis également attachée à l’intégration de la science à bord, ça donne du sens à notre présence, et j’espère même qu’un jour nous inviterons des artistes en résidence. Après tout, ce navire est un peu un OVNI. Si nous y parvenons, nous aurons rassemblé les deux domaines qui créent des horizons… »

Nicolas SERVEL

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