Le Commandant Charcot s’aventure dans les zones les plus reculées de la planète et la pression sur les épaules de l’équipe médicale n’en est qu’accrue. Les deux médecins et l’infirmier doivent être capables de faire face en toute autonomie aux pires situations. J’ai interrogé Delphine, notre médecin de bord, qui est aussi la photographe de ce reportage. Son sourire spontané et sa personnalité conciliante dissimulent un caractère trempé et une volonté de fer, pré-requis aux responsabilités qu’elle endosse avec le plus grand naturel.
Petite, cette Bretonne d’adoption se rêvait océanographe. « J’étais passionnée par la mer. Les vagues, le courant… je voulais tout savoir de ce mouvement perpétuel. C’est ma conseillère d’orientation qui m’a dissuadée de m’engager sur cette voie. Du coup j’ai choisi les études médicales. Je me suis dit que je pourrais toujours embarquer sur des navires scientifiques en tant que médecin. »
Chassez-la par la porte, elle revient par la fenêtre ! Et la voilà qui se lance dans le long cursus des études de médecine générale. En 2017, elle prête serment et, fidèle à ses projets, embarque sur le voilier Le Ponant en Méditerranée. « C’était difficile. Certes, au début, j’ai apprécié l’autonomie organisationnelle que la gestion de l’hôpital de bord me permettait. Je profitais aussi d’un avantage relationnel réel. J’étais un peu le médecin de famille de l’équipage, et je conservais le suivi complet des pathologies. Tous les matins, on se réveillait dans un lieu différent… En revanche, c’était pesant d’un point de vue des responsabilités. Gérer les urgences et les évacuations, ça m’a mis le doigt sur mes limites. »
Là où d’autres changeraient sûrement d’avis, Delphine ne se laisse pas intimider. Elle relève le défi du concours d’urgentiste et retourne à l’école. « Je voulais pouvoir gérer toutes les urgences. D’ailleurs, même ce concours, je l’ai passé en urgence : je n’ai eu qu’un mois pour le préparer à mon débarquement. J’ai été acceptée à Marseille, où j’ai suivi un premier stage chez les marins-pompiers. Pour le deuxième, je suis partie en Polynésie. »
L’année suivante, elle se sent prête à affronter son rêve. Elle embarque comme médecin de bord sur le Marion Dufresne, le navire océanographique des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Elle sillonnera les mers du sud, jusqu’à ce qu’éclate la crise de la COVID-19.
C’est aux urgences de Thonon-les-Bains qu’elle se retrousse les gants. « C’était violent et intense. Je venais de passer beaucoup de temps en mer, c’était mon premier poste dans un service d’urgences hospitalières. Après la première vague, j’ai déménagé en Bretagne. Je suis passée par les urgences de Brest, puis de Morlaix. Quand la situation s’est calmée, je me suis dit que c’était l’occasion de reprendre la mer. Avec ce qu’on avait vécu à l’hôpital, je n’avais plus d’appréhension. »
Elle signe donc pour un contrat sur Le Soléal en Mer de Ross. « Je rêvais de l’Antarctique, mais la vague Omicron en a décidé autrement. Je me suis retrouvée sur Le Champlain en Amérique Centrale. Ça s’est très bien passé. Depuis je suis retournée aux urgences de Lorient, mais uniquement en CDD. Comme ça, je suis libre d’alterner avec des contrats embarqués. »
En janvier 2023, elle la découvre enfin, cette Antarctique tant désirée, sur un navire hybride entre science et croisière dans une situation d’isolement absolu. « Jamais je n’aurais accepté ce contrat avant de devenir urgentiste. Cette semi-circumnavigation, c’est un mois au milieu des glaces. Il peut se passer beaucoup de choses en un mois, et l’évacuation n’est pas une option. » Pour l’avoir côtoyée en passerelle, détendue, un œil sur le viseur de l’appareil photo et l’autre sur le téléphone médical, je constate que Delphine a vaincu ses réserves, et que ce contrat sur Le Commandant Charcot a tout l’air d’un aboutissement personnel.
Nicolas SERVEL
